De quoi l’article 22 de l’Acte uniforme sur les sûretés est-il le nom ?
Mon-espoir MFINI
Membre du laboratoire THEMISUM
Enseignant à l’université d’Angers – Faculté de droit
Rédacteur en chef de la revue africaine de droit des affaires
Pendant des années, la doctrine africaine a essayé de jongler avec l’article 22 de l’Acte uniforme portant organisation des sûretés[1], en tentant de sortir de cette disposition un prétendu cautionnement réel[2]. Dans leurs analyses, les auteurs africains ont tous avancé que cette disposition consacre tantôt une sûreté personnelle, tantôt une sûreté réelle[3]. La CCJA en 2016[4] a même défendu la nature réelle de la prétendue figure consacrée à l’article 22 de l’Acte uniforme sur les sûretés. Or, en prenant du recul et en portant un regard objectif sur les travaux de la doctrine, force est de constater que ceux-ci ne commentent pas vraiment l’article 22 de l’Acte uniforme sur les sûretés. À tout le moins, les auteurs, lorsqu’ils traitent cette disposition, mettent en avant leurs nombreuses connaissances sur le cautionnement réel au regard des acquis du droit français[5]. Pourtant, une exégèse de l’article 22 donnerait une solution toute différente. Mais, sans vite aller en besogne, il est intéressant de poser la définition du cautionnement réel.
À la question de savoir ce qu’est le cautionnement réel, trois conceptions se sont opposées. D’abord, le cautionnement réel a été défini comme une simple réelle pour autrui. C’est-à-dire qu’une personne constitue par exemple un nantissement sur l’un de ses biens[6], pour garantir non pas sa propre dette[7], mais la dette d’un tiers. « Dans cette conception, le cautionnement réel est une sûreté exclusivement, purement, réelle. »[8] Le droit de l’OHADA consacre cette figure à l’article 4, al. 3, in fine, de l’Acte uniforme portant organisation des sûretés, au titre duquel : « Les sûretés réelles peuvent être constituées par le débiteur lui-même ou un tiers en garantie de l’obligation sous réserve des dispositions particulières du présent Acte uniforme. » Ensuite, selon la deuxième conception du cautionnement réel, celui-ci est une sûreté réelle, mais qui devrait être soumis à certaines règles du cautionnement. « Cette idée est fondée sur le fait que le tiers constituant est placé dans une situation analogue à celle de la caution, puisqu’il garantit la dette d’autrui. »[9] Cette figure se retrouve, en droit français[10], depuis la réforme du 15 septembre 2021[11], à l’article 2325 du Code civil. Enfin, selon la dernière conception, « le tiers qui consent un cautionnement réel souscrit un engagement personnel de caution, assorti d’une sûreté réelle sur l’un de ses biens. Cette sûreté réelle constitue à la fois la garantie de cet engagement personnel et la mesure de celui-ci »[12]. Cette troisième conception est certainement celle que l’on retrouve à l’article 22 de l’Acte uniforme sur les sûretés. En effet, comme nous allons l’écrire, une personne, se portant caution des dettes d’une autre, garantit son engagement personnel par l’affectation d’un bien, donc par la constitution d’une sûreté réelle.
Aux termes de l’article 22 de l’Acte uniforme portant organisation des sûretés : « La caution peut garantir son engagement en consentant une sûreté réelle sur un ou plusieurs de ses biens. Elle peut également limiter son engagement à la valeur de réalisation du ou des biens sur lesquels elle a consenti une telle sûreté. » Cette disposition comporte deux alinéas. L’alinéa 1er fait d’abord référence à une personne qui se porte caution des dettes d’une autre personne, le cautionnement étant la sûreté pour autrui par excellence[13]. Le début de l’alinéa 1er ne pose donc aucune difficulté, tant il ne consacre que ce qui existe déjà à l’article 13 du même Acte uniforme, aux termes duquel le cautionnement est un contrat par lequel la caution s’engage, envers le créancier qui accepte, à exécuter une obligation[14] présente ou future contractée par le débiteur, si celui-ci n’y satisfait pas lui-même. Il s’agit donc là d’une sûreté pour autrui, mais pas d’une sûreté réelle pour autrui, laquelle a son assise textuelle à l’article 4, alinéa 3, in fine. En outre, l’alinéa 1er fait ensuite référence à une sûreté réelle, au sens premier, c’est-à-dire une sûreté pour soi. En effet, la caution qui se porte garant de la dette d’autrui garantit son propre engagement par l’affectation d’un bien. Il y a donc un cautionnement garanti, ce qu’un auteur qualifie de « cautionnement contre-garanti par une sûreté réelle. »[15] L’auteur va plus loin, en écrivant que cette formule « renvoie non pas à un cautionnement réel, mais à une figure voisine au terme de laquelle le garant souscrit un engagement de caution personnelle pour sécuriser la dette d’un tiers et, en outre, consent au bénéficiaire dudit cautionnement une sûreté réelle visant à assurer le paiement de son propre engagement de caution. »[16] À la vérité, le constituant « la caution personnelle » ne fait que garantir sa propre dette en utilisant la sûreté réelle « selon son usage le plus traditionnel, à savoir comme une technique destinée à s’exprimer principalement dans les rapports entre le débiteur d’une dette et son créancier. »[17] Cette garantie obéit ainsi strictement au régime de la sûreté réelle choisi par la caution, tandis que son engagement personnel (premier point de l’alinéa 1er) obéit au régime du cautionnement.
Au regard de ce qui précède, une question se pose : où se situe le cautionnement réel dans l’alinéa 1er de l’article 22 de l’Acte uniforme sur les sûretés ? La question n’est pas anodine, au regard des trois figures que nous avons présentées. En effet, au regard de ces figures, l’alinéa 1er nous propose un cautionnement réel, car le tiers qui consent un cautionnement réel souscrit un engagement personnel de caution, assorti d’une sûreté réelle sur l’un de ses biens. Cette sûreté réelle constitue à la fois la garantie de cet engagement personnel et la mesure de celui-ci. Cependant, ce n’est pas la position qui nous semble la plus pertinente. En effet, à notre sens, il y a cautionnement réel lorsqu’une personne constitue par exemple un nantissement sur l’un de ses biens pour garantir non pas sa propre dette, mais la dette d’un tiers. « Dans cette conception, le cautionnement réel est une sûreté exclusivement, purement, réelle. »[18] Ainsi, en droit de l’OHADA, le cautionnement réel se trouve, non pas à l’article 22 de l’Acte uniforme, mais à l’article 4, alinéa 3, in fine de l’Acte uniforme sur les sûretés : il s’agit d’une pure sûreté réelle pour autrui. Comme l’a bien dit Jean-Jacques ANSAULT, ce que propose l’article 22 de l’Acte uniforme n’est qu’une figure voisine au cautionnement réel. Il s’agit, comme nous l’avons déjà écrit, d’un simple cautionnement garanti par un engagement réel. Il y a dans l’alinéa 1er de l’article 22 deux sûretés qu’il convient de distinguer, car ces sûretés ne garantissent pas la même dette : un cautionnement qui garantit la dette de (A) et une sûreté réelle qui garantit la dette de la caution de (A). La sûreté réelle n’existe pas en considération de la dette de (A), mais en considération de la dette de la caution de (A) envers le créancier de (A) qui est aussi son créancier. Ainsi, la garantie réelle se présente comme l’accessoire de l’obligation de la caution « d’acquitter la dette d’autrui en cas de défaillance du débiteur principal. »[19] C’est-à-dire que la disparition du cautionnement entrainera automatiquement celle de la sûreté réelle. Cependant, en cas d’irrégularité constitutive de la sûreté réelle, son anéantissement n’entrainera pas la remise en cause du cautionnement. Comme a pu le relever un auteur : « le cautionnement et la sûreté réelle qui le garantit ne forment pas un tout indivisible, car le cautionnement pourrait exister sans l’hypothèque ou le gage, et il leur survit lorsqu’ils sont annulés. »[20] Il s’agit donc de deux sûretés qui n’ont pas le même objectif, parce qu’elles ne garantissent pas la même dette.
Par ailleurs, l’alinéa 2 de l’article 22 est marqué au coin de l’obscurité. En effet, dans la mesure où ce n’est pas le cautionnement qui est accessoire à la sûreté réelle, mais l’inverse, il est assez étonnant de dire que le cautionnement peut être limité à la valeur de réalisation du ou des biens sur lesquels la caution a consenti une telle sûreté. L’ajout de cet alinéa n’a fait que rendre le texte plus sombre qu’il ne l’est déjà. Il place le principe derrière l’accessoire. À tout le moins, il est caractérisé par son ambigüité. Nonobstant cette observation, deux questions demeurent et les réponses à ces questions sont probablement dans notre analyse : faut-il chercher à appliquer une nature stricte à la « figure » contenue à l’article 22 de l’Acte uniforme sur les sûretés ? L’article 22, rappelons-le, est un concentré de deux sûretés qu’il convient de ne pas confondre tant elles ne garantissent pas la même dette : un cautionnement, d’abord, qui garantit la dette d’un tiers et une sûreté réelle, ensuite, qui garantit la dette de la caution. S’agit-il d’un cautionnement réel ? Une réponse affirmative ne serait pas trop osée, au regard des différentes définitions du cautionnement réel. Pourtant, la définition la plus plausible qu’il convient de retenir est la première : le cautionnement réel est une simple réelle pour autrui. C’est-à-dire qu’une personne constitue par exemple un nantissement sur l’un de ses biens[21] pour garantir non pas sa propre dette, mais la dette d’un tiers. Dans cette conception, le cautionnement réel est une sûreté exclusivement, purement, réelle. Donc, l’article 22 ne consacre pas un cautionnement réel, mais un « cautionnement garanti ».
L’article 22 n’est-il pas simplement un innommé par alliage[22] ? Probablement.
[1] Voir en ce sens : M.-E. MFINI, « Le cautionnement réel en droit de l’OHADA : cette sûreté atypique », Revue congolaise de droit et des affaires, n° 51, 2023. ; M.-T. ATANGANA-MALONGUE, « Le cautionnement réel dans l’Acte uniforme OHADA », Revue Penant, n° 872, 2010, p. 277 ; M. YOUBI-BOUHARI, « Le cautionnement réel est une sûreté réelle » ; M. YOUBI-BOUHARI, « Les cautionnements en droit uniforme », Ohadata D-18-17 ; W. KABRE, « La nature réelle du cautionnement hypothécaire consacrée », CCJA, 3e ch., 27 oct. 2016, n° 156- 2016, L’essentiel droits africains des affaires n° 2 du 1er février 2017, p. 3.
[2] Sur le cautionnement réel, voir : F. GRUA, « Le cautionnement réel », JCP G 1984, I, 3167 ; Ph. SIMLER, « Le cautionnement réel est réellement-aussi-un cautionnement réel », JCP G, 2001, I, 367 ; Ph. SIMLER., « Eppur, si muove ! Et pourtant, une sûreté réelle constituée en garantie de la dette d’un tiers est un cautionnement… réel », JCP G, 2006, I, 172.
[3] Les auteurs ont tenté d’appliquer à la prétendue « figure » consacrée à l’article 22 une nature unitaire.
[4] CCJA, 3e ch., 27 oct. 2016, n° 156/2016, M. Cisse c/ La société malienne de prestation, La Banque Commerciale du Sahel, et Me Sow, LEDAF févr. 2017, n° 110d1, p. 3, note W.-D. KABRE.
[5] Pour une analyse générale, voir : M.-E. MFINI, Droit OHADA des sûretés et des garanties du crédit, 1er éd., préf. S.D. NDIR, édition du CREDIJ, 2024.
[6] Voir aussi : A. AYNES, « La personne morale constituante d’une sûreté réelle pour autrui », Revue Lamy droit des affaires, nº 175, 1er nov. 2021.
[7] Voir : Ch. BOERIO, La dette, thèse, Paris 1, 2023.
[8] G. PIETTE, Droit des sûretés, 18ème éd., Lextenso, 2024, p. 121.
[9] G. PIETTE, Droit des sûretés, 18ème éd., Lextenso, 2024, p. 121.
[10] Voir sur ce point : Ph. SIMLER, « Réforme des sûretés : sûreté réelle constituée par un tiers, renaissance du cautionnement réel ? » JCP N, n° 48, 2021.
[11] Ord. n° 2021-1192, 15 sept. 2021, portant réforme du droit des sûretés : JO 16 sept. 2021, texte n° 19 ; JCP N 2021, n° 38-39, act. 885, obs. Cl. SEJEAN-CHAZAL ; JCP N2021, n° 38-39, act. 887 ; JCP N 2021, n° 46, 1322-1327 ; JCP N 2021, n° 47, 1328-1334 ; JCP N 2021, n° 48, 1335-1341.
[12] G. PIETTE, Droit des sûretés, 18ème éd., Lextenso, 2024, p. 121.
[13] En ce sens : M.-E. MFINI, Droit OHADA des sûretés et des garanties du crédit, op. cit., 2024.
[14] Sur la notion d’obligation, voir : G. FOREST, Essai sur la notion d’obligation en droit privé, thèse, Tours, 2010.
[15] J.-J. ANSAULT, « Des difficultés nouvelles à appréhender le cautionnement réel en droit OHADA », op. cit.
[16] Ibid. Voir notamment pour une illustration, CCJA, 3e ch., 30 mars 2017, n° 076/2017, Sté BOA-CI c/ Toricaf-SA.
[17] J.-J. ANSAULT, Voir sur la démonstration de ce que les sûretés réelles ont été historiquement façonnées pour permettre à un débiteur de façonner sa propre dette, J.-J. ANSAULT, Le cautionnement réel, thèse, op. cit., n° 40 et suivants.
[18] G. PIETTE, Droit des sûretés, 18ème éd., Lextenso, 2024, p. 121.
[19] J.-J. ANSAULT, « Des difficultés nouvelles à appréhender le cautionnement réel en droit OHADA », op. cit.
[20] F. GRUA, « Le cautionnement réel », op. cit., spéc. n° 42.
[21] Sur la notion de bien : P. BERLIOZ, La notion de bien, thèse, Paris 1, 2006.
[22] Voir en ce sens : M.-E. MFINI, « Le cautionnement réel OHADA : un innommé par alliage », Lexbase Afrique-OHADA, n. 60, 2022.
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