Pacta sunt servanda dans le droit des obligations OHADA de lege ferenda
Traouré Durve Mathieu Red GOUDJO
Assistant à l’université Aube Nouvelle de Bobo-Dioulasso
Résumé
Dans le système juridique civiliste, le droit OHADA se déploie avec ses marques propres caractérisées par des sources hétéroclites pour un même système. C’est dans ce système juridique que la présente étude, portant sur la question cruciale, essentielle, voire unique du pacta sunt servanda se déploie. Cette étude envisage d’explorer l’un des remèdes aux difficultés du respect de la parole donnée dans le dernier projet en date d’harmonisation du droit des obligations OHADA. Ce remède semble être plus proche des spécificités africaines et s’en inspire. La solidarité[1] propre au peuple africain, la fraternité et la camaraderie d’affaire nous orientent vers la renégociation en cas de difficulté d’exécution du contrat, pour que celui-ci, conservant son caractère sacré, soit respecté. Ce recours à la renégociation pour permettre le respect des engagements est justifié par une admission largement partagée de la sacralité du principe. Seulement, l’analyse purement économique de son admission parait critiquable. La renégociation envisagée comme remède aux difficultés d’exécution du contrat devra donc se départir de sa connotation économique pour se mettre en conformité avec les réalités de l’Afrique.
Introduction
« On lie les bœufs par les cornes et les hommes par les paroles », disait Loysel[2] au XVIIe siècle. Une fois la parole donnée et le contrat conclu, il est de son essence que les obligations qu’il contient soient exécutées[3]. Le substantif latin Pacta, pluriel de Pactum, désigne un accord, un pacte ou même un contrat. Le mot Sunt est le verbe être à la troisième personne du pluriel. Enfin, le mot Servanda, gérondif du verbe servo, signifie « faire attention », « observer », « considérer. »[4] Cette expression affirme le principe selon lequel les parties doivent respecter les accords, les traités, les contrats, qu’elles ont conclus. En termes juridiques, l’expression Pacta Sunt Servanda signifie que le contrat, dès lors qu’il est valablement formé, fait loi entre les parties qui doivent exécuter loyalement leurs obligations dans les conditions prévues par celui-ci[5]. C’est-à-dire que le contrat liant les parties doit être respecté, sous peine de sanction. Le Code civil français de 1804, encore applicable dans les États membres de l’OHADA[6], a accueilli le principe Pacta Sunt Servanda dans son article 1134 selon lequel « les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits. »[7] Dans les cas d’inexécution du contrat, la loi prévoit des sanctions pour répondre à la défaillance du débiteur. L’article 1134 postule l’effet obligatoire du contrat. Le principe de l’effet obligatoire du contrat a un double fondement. Un fondement moral qui appelle le respect de la parole donnée « pacta sunt servanda », et un fondement économique qui tient dans la sécurité des transactions. Cette sécurité est nécessaire non seulement au créancier, mais présente également une utilité incontestable pour le débiteur du fait que, si elle faisait défaut, le créancier perdrait confiance et exigerait toujours une contrepartie immédiate, autrement dit qu’il refuserait tout crédit au débiteur[8].
À s’intéresser au fondement moral, on ne peut manquer en effet d’être frappé par le nombre de penseurs qui ont considéré ce principe comme une vérité éthico-juridique si évidente qu’ils en ont fait la base de leur philosophie politique[9]. Dans les sociétés primitives, le langage avait un pouvoir magique. Les noms et les formules, accompagnés de gestes le cas échéant, permettaient d’évoquer les forces occultes dont l’intervention n’était pas nécessairement bénéfique[10]. La mise en œuvre des forces obscures fut le plus souvent monopolisée par les prêtres qui prétendaient être les seuls à connaître les formules et les gestes adéquats[11]. Malgré la disparition de ces considérations au sujet du langage dans ces sociétés, le degré d’analphabétisme largement répandu dans les États membres de l’OHADA[12] postule d’accorder une grande place à l’oralité de la culture africaine et donc à la parole. Aujourd’hui encore, certains États exigent qu’une déclaration sous serment soit prêtée sur la Bible, ou sur le Coran[13]. Ailleurs encore, ce sont les mannes des ancêtres qui sont invoquées[14]. Et il est courant que, lors de leur entrée en fonction, des autorités soient astreintes à prêter un serment, comme pour situer l’engagement sur un plan surnaturel ou quasi surnaturel. Ceci pourrait se justifier par le fait que le respect des engagements ne serait pas programmé tel quel par nos gènes, ni inscrit dans notre raison[15]. Le respect de la parole donnée ne serait donc pas inné en l’homme[16]. Au mécanisme psychologique qui essaie d’expliquer en quoi on est astreint à respecter les engagements, s’est donc ajoutée une prise de conscience de la valeur d’autrui et des relations intersubjectives, auxquelles les manquements à la loyauté portent atteinte. Ceci explique la pression exercée par le groupe social pour obtenir le respect des engagements, et les sanctions attachées à la violation du principe pacta sunt servanda. La démarche ainsi objectivée devient une source d’obligation pour l’individu qui reçoit une pression sociale déterminante.
Gaius, dans ses Institutes, définit l’obligation comme « le lien de droit qui nous conduit à faire quelque chose selon le droit de notre cité »[17]. En France, pays d’inspiration du droit des obligations de bon nombre d’États membres de l’OHADA, la reconnaissance de la parole donnée en tant que règle morale, inspirée par les écritures et la jurisprudence des canonistes médiévaux, a été convertie en obligation juridique au XIIIe siècle et, dans la première moitié du XVe siècle[18]. L’État est devenu, ainsi, le garant de la parole donnée, à travers l’encadrement du contrat par le seul ordre public, et le contrôle des vices du consentement[19]. L’obligation est devenue un juris vinculum[20] entre deux ou plusieurs parties en vertu duquel le créancier peut exiger du débiteur, l’exécution d’une prestation de faire, de ne pas faire ou de donner. Les parties sont, par conséquent, liées par une convention et doivent exécuter de bonne foi les obligations qui y sont incluses. Mais la force de ce principe semble disparaître quand survient l’inexécution contractuelle. Tout se passe comme si cette formule perdait de sa superbe aux vues des nombreux assouplissements et dérogations[21]. Les remèdes proposés et qui ont été réceptionnés dans les droits positifs des différents États membres de l’OHADA paraissent ne pas prendre en considération la sacralité de la parole en Afrique.
Les orientations à donner aux obligations contractuelles sont tellement vitales pour l’espace OHADA que le premier projet d’harmonisation du droit des contrats[22] dans cet espace a échoué pour des raisons aussi bien politiques que techniques[23]. Le second projet d’harmonisation à ce jour[24], pour ne pas connaitre le même sort que le premier, a renié la forme législative de départ du droit dérivé de l’OHADA. En effet, le texte a été adopté comme un instrument juridique de référence auquel les États membres peuvent avoir recours afin de moderniser leurs droits des obligations. On est bien loin de l’effet immédiat, de l’applicabilité directe et de la primauté des actes uniformes de l’OHADA.
Dans le système juridique civiliste, le droit OHADA se déploie avec ses marques propres caractérisées par des sources aussi hétéroclites pour un même système. C’est dans ce système juridique que la présente étude, portant sur la question cruciale, essentielle, voire unique du pacta sunt servanda se déploie. Cette étude envisage d’explorer l’un des remèdes aux difficultés du respect de la parole donnée. Celui-là même qui semble être plus proche des spécificités africaines et s’en inspire, comme le recommandait le secrétariat permanent de l’OHADA au professeur Marcel FONTAINE lors de sa première tentative d’harmonisation du droit OHADA des obligations[25]. Ces spécificités ont été introuvables d’après cet auteur suite à la consultation des experts du droit des obligations dans l’espace OHADA[26]. Et pourtant ! La solidarité[27] propre au peuple africain, la fraternité et la camaraderie d’affaires nous orientent vers la renégociation en cas de difficulté d’exécution du contrat, pour que celui-ci, conservant son caractère sacré, soit respecté.
L’industrialisation, le libéralisme, la mondialisation et la globalisation ont fait du pacta sunt servanda au XXIᵉ siècle, presque un vœu pieux. En témoignent les restrictions toujours grandissantes au respect de la parole contractuelle donnée par les parties.
De lege lata, si le créancier d’un engagement se trouve confronté à une absence d’exécution définitive, il se trouve placé devant le choix fondamental inscrit, dans l’article 1184 du Code civil : « ou de forcer l’autre à l’exécution de la convention lorsqu’elle est possible, ou d’en demander la résolution avec dommages et intérêts ». C’est le choix entre la vie et la mort du contrat[28]. Le droit substantiel qui devrait servir de référence face à l’inexécution contractuelle devrait, à notre sens, être l’unique qui tende vers l’exécution du contrat[29]. Rappelons, à cet effet, la conception que le professeur ANCEL avait du contrat, qu’il assimilait à une norme au même titre que la loi. « La norme née du contrat s’impose aux parties de la même façon que le ferait une norme légale »[30]. Cette force obligatoire revêt un double aspect : d’une part, les parties sont assujetties au contrat et d’autre part, en cas de conflit, le juge doit se référer à la norme juridique que constitue le contrat »[31]. Pour qu’il soit donc possible aux parties de respecter leur parole scellée dans le contrat, la voie royale à leur disposition est celle qui leur permet de refaire leur contrat par le biais d’un nouvel accord. C’est la renégociation. Ceci d’autant qu’on sait que dans les sociétés africaines nourries de fraternité contractuelle, la sacralité de la parole donnée laisse peu de place à l’admission des concepts de force majeure ou de lésion pouvant faire penser à une autre issue. Les parties ont une large possibilité[32] de revoir de leur propre chef leur accord de volonté pour que celui-ci soit toujours possible d’exécution. C’est cette possibilité de respect de la parole donnée par le biais d’une renégociation en amont qui cristallise notre attention. Elle a fait l’objet d’une évolution législative, jurisprudentielle et doctrinale assez fournie. Ce qui hisse la renégociation contractuelle au rang des préoccupations majeures du droit des obligations.
Tirant leçon de l’échec de la première tentative d’harmonisation, un projet de texte uniforme portant droit général des obligations dans l’espace OHADA a été mis sur pied avec pour objectif de moderniser la théorie des obligations vue comme un indispensable soubassement de toute la vie juridique et économique. Dans ce projet, vieux déjà d’une décennie, on aperçoit distinctement l’ouverture de la prochaine législation OHADA vers la renégociation[33] comme un écho aux législations contemporaines sur la question[34]. Mais cette orientation est-elle réellement un répondant aux moules des aspirations du droit des obligations OHADA ?
Par le truchement de la théorie de l’imprévision, qui suppose un changement de circonstances raisonnablement imprévisibles au moment de la formation du contrat et qui survient pendant la phase d’exécution avec pour conséquence le bouleversement des prévisions d’au moins une des parties, la renégociation a été admise dans le projet de texte uniforme portant Droit général des obligations dans l’espace OHADA. Cette théorie de l’imprévision se distingue de la force majeure[35].
Cette faveur accordée au pacta sunt servanda dans le droit futur des obligations OHADA par le truchement d’une théorie de l’imprévision objectivée (I) semble laisser un goût d’inachevé aux possibilités qu’offrent les aspirations africaines vers la renégociation. Le pacta sunt servanda peut être dans les États membres de l’OHADA renforcé par une conception plus subjective de l’imprévision (II).
I. Le pacta sunt servanda favorisé par l’admission de la renégociation pour imprévision
Dans l’espace OHADA, la renégociation comme facteur de pérennité du contrat devrait s’établir d’elle-même. Les usages dans les relations aidant en dépit du silence du Code civil encore en vigueur dans les États africains. Si l’article 1103 du Code civil de 1804 introduit dans le droit positif des États membres de l’OHADA semble s’opposer au recours unilatéral à la renégociation dans les échanges, le premier réflexe des parties en cas de difficultés d’exécution devrait être d’adapter leur convention. Ce recours à la renégociation pour permettre le respect des engagements est justifié par une admission largement partagée de la sacralité du principe (A). Seulement, l’analyse purement économique de son admission parait critiquable (B).
A. Une admission partagée du pacta sunt servanda
Du dogme religieux fondant le respect des engagements pris dans le Code civil (1) à l’esprit de collaboration avec le partenaire d’affaire présent dans les usages[36] en Afrique (2), le moins qu’on puisse affirmer, c’est que le respect des engagements pris constitue un principe commun.
1- Le dogme religieux fondement du pacta sunt servanda dans le Code civil
Pour d’AQUIN, la justice est, parmi les vertus, celle qui a pour fonction propre d’ordonner l’Homme en ce qui est relatif à autrui[37]. La justice, qui est la finalité de toute œuvre législative, dans son sens téléologique premier, loin de traduire un rapport arithmétique, désigne l’intemporalité du lien qui unit Dieu au genre humain. De même que la fidélité de Dieu à sa promesse envers les hommes est inébranlable, l’homme doit d’abord respecter son engagement à l’égard de Dieu, qui est de se conformer en tout à sa volonté. Être juste, c’est être en accord avec la volonté divine, observer parfaitement sa loi[38]. Ayant transposé cette fidélité de Dieu envers les hommes aux rapports entre ces derniers, les théologiens catholiques ont déduit l’obligation de respecter de façon inébranlable les simples promesses. Par respect pour son prochain, le chrétien doit s’abstenir de tout mensonge, acte sévèrement condamné dans l’Ancien et le Nouveau Testament. Les théologiens en déduisent que violer la promesse faite à autrui, c’est manquer à la vérité et commettre un mensonge. C’est le fondement de la règle pacta sunt servanda. Cette règle de respect de la parole donnée a été reprise par DOMAT dans le Code civil de 1804. Pour lui, Dieu a multiplié les besoins des hommes à l’effet de les rendre nécessaires les uns aux autres et de les inciter à conclure des engagements volontaires. Ces engagements, dictés par le commandement d’amour mutuel, imposent certains devoirs moraux à l’égard d’autrui. L’un de ces devoirs est de rester fidèle à son engagement, de respecter la parole donnée. Mais bien sûr, à condition que cet engagement soit moralement juste. Cette règle se justifie moralement. On est tenu, en quelque sorte par sa conscience, de respecter sa promesse, de respecter ses engagements. Tenir sa parole engage l’homme, c’est une question de conscience, voire d’honneur, et cette idée est certainement partagée dans toutes les civilisations. Avant donc d’être un principe contractuel, le respect de la parole donnée avait été élevé au rang de principe juridique par les canonistes. Cette prescription de conduite se rapportait à quelque chose de supérieur : Dieu. Dans le Deutéronome, on lit : « Tu observeras et tu accompliras ce qui sortira de tes lèvres »[39]. Dans le Coran, on lit : « Respectez vos engagements, car on vous en demandera certainement compte » Sourate 17, verset 34 du Coran. Ou encore, « O vous qui avez cru ! Pourquoi dites-vous ce que vous ne faites pas ? C’est une grande abomination auprès de Dieu que de dire ce que vous ne faites pas » Sourate 61, versets 2 et 3 du Coran.
Si en France, pays d’influence historique de la législation OHADA, le respect de la parole donnée est toujours considérée comme un idéal, c’est parce que la France est un pays dont la culture est fortement imprégnée par la religion catholique ; où le respect de la parole donnée va de pair avec un certain dédain par cette même religion de l’argent[40].
2- L’idée de collaboration accommodant du pacta sunt servanda en Afrique
Dans les sociétés africaines et surtout celles traditionnelles, le contrat, avant d’être une technique d’échange, est un véritable pacte d’amitiés entre les parties[41]. Il se nourrit, ainsi, de la solidarité mutuelle entre les parties et ne se résume pas aux seuls intérêts égoïstes et individualistes des parties. En Afrique, l’essence d’un contrat se situe généralement dans une approche de coopération entre les parties. Le contrat repose sur la connaissance mutuelle plutôt que sur une adversité ou une concurrence d’intérêts. L’on ne s’engage pas avec toute personne qui veut ou avec toute personne qu’on veut. On s’engage avec une personne connue ou avec une personne dont la famille est connue. La relation est en quelque sorte le fondement de l’obligation. Ainsi, l’alliance ou les relations amicales ou familiales constituent les préceptes de tout engagement contractuel[42]. C’est une résultante de la conception de la société africaine. Cette dernière est essentiellement construite sur les valeurs de justice, d’entraide, de solidarité et de fraternité[43]. L’esprit de collaboration, de coopération et de solidarité innerve les relations contractuelles en cela que, les rapports entre les parties sont envisagés dans la perspective d’une réciprocité de services. Les vestiges de cette conception solidariste ou collectiviste du contrat en Afrique sont perceptibles dans la société moderne africaine, malgré le fait que le contrat en Afrique a fait un petit saut dans la modernité. La division sociale du travail avait favorisé en Afrique la dépendance des peuples qui échangeaient entre eux et hors de leurs territoires[44]. Ils cherchaient à obtenir les spécialités dont le climat ou la végétation ne facilitaient pas la culture ou les objets dont la fabrication échappait à leur intellect. Le concept de camaraderie de commerce innervait tous les échanges, qu’ils soient de proximité ou inter-claniques, basés sur les concepts de filiation et de parenté (clanique, lignagère ou ethnique) ou avec les peuples venant de territoires étrangers. Ce concept se caractérisait par une « lutte » nécessaire pour « ne pas briser la relation »[45]. La camaraderie de commerce jouait un rôle essentiel dans les échanges commerciaux durant la période précoloniale. C’étaient des rapports semblables qui régissaient les échanges au sein des groupes d’une région avec ceux d’une autre. En Afrique, on n’entre pas en relation d’affaire avec un ennemi, c’est-à-dire quelqu’un qu’on ne veut pas voir prospérer. La relation mettait en contact des groupes qui devenaient des « partenaires » d’échanges. La notion de bonne foi était rarement évoquée ; tellement elle était intrinsèquement liée à celle d’échange qu’il était inimaginable d’entrer en relation commerciale avec un partenaire sans elle. Les transactions pouvaient se faire entre deux camarades de façon différée. Autrement dit, l’un des camarades apportait à l’autre ce qu’il avait sans forcément en recevoir immédiatement la contrepartie. L’existence d’un courant commercial continu résultait de la suite d’échanges réalisés entre paires de camarades de commerce. Ainsi, chaque partenaire était tenu de fournir à l’autre plus que celui-ci ne lui avait donné. De ce fait, au lieu que l’échange entre les deux satisfasse immédiatement la réciprocité restreinte, il donnait lieu à une surenchère sans fin. Autrement dit, ce système visait à remettre à crédit une certaine quantité de marchandises à l’autre. Quand le donateur jugeait suffisant le temps écoulé pour que le débiteur ait pu lui constituer son paiement, il allait récupérer son dû. Les produits allaient de partenaire en partenaire afin de se faire écouler[46].
Dans ces conditions, les difficultés d’exécution de ce qui a été convenu sont difficiles à imaginer ; l’idée de collaboration et de satisfaction du partenaire, au-delà même de ses attentes guidant les parties. Au demeurant, s’il devait survenir des difficultés d’exécution, on conçoit bien que les partenaires choisissent la pérennité du contrat. Cette pérennité choisie passe par une renégociation de leur accord.
C’est donc sans surprise que la renégociation s’invite comme remède à l’inexécution contractuelle ou aux difficultés d’exécution du contrat. Mais les conditions édictées pour son admission future peuvent faire douter de sa conformité aux aspirations africaines.
B. Un conditionnement économique de la renégociation
Puisqu’il faut respecter la parole donnée par devoir sacré et par souci de considération dépassant les intérêts des partenaires d’affaires, la parade humaine, face à l’impossibilité ou à la difficulté d’exécution de certaines situations contractuelles, est de revenir sceller un nouveau pacte. Ceci, les rédacteurs du projet de loi uniforme OHADA l’ont bien assimilé. Mais ils ont assorti la renégociation à des conditions essentiellement économiques. Les unes indépendamment des parties, les autres en lien avec les parties.
1- Les conditions indépendantes de la volonté des parties
Les rédacteurs du projet de loi uniforme OHADA soumettent le déclenchement du mécanisme de la renégociation à un bouleversement de circonstances imprévisibles. L’article 161 dudit projet définit la notion de bouleversement de circonstances. Selon ce texte : Il y a bouleversement des circonstances lorsque surviennent des événements qui altèrent fondamentalement l’équilibre des prestations, soit que le coût de l’exécution des obligations ait augmenté, soit que la valeur de la contre-prestation ait diminué et que : – ces événements sont survenus ou ont été connus de la partie lésée après la conclusion du contrat; – la partie lésée n’a pu, lors de la conclusion du contrat, raisonnablement prendre de tels événements en considération; – ces événements échappent au contrôle de la partie lésée ; – et le risque de ces événements n’a pas été assumé par la partie lésée.
Ce texte n’est que la reprise des dispositions de l’article 6/23 du projet Fontaine lui-même inspiré des principes d’Unidroit. La renégociation prévue dans ce nouveau projet nécessite, d’abord, la survenance d’un bouleversement des circonstances qui se différencie d’un simple changement de circonstances. Un bouleversement est un changement brusque accompagné de désordres tels que l’altération fondamentale de l’équilibre des prestations initialement prévues. L’altération est un changement ou une modification qui dénature l’état normal de quelque chose[47]. L’événement doit donc entrainer un déséquilibre important des prestations initiales d’au moins une des parties au contrat. L’équilibre du contrat sera par exemple altéré, lorsque le coût de l’exécution des obligations d’une des parties aura significativement augmenté à la suite de l’événement non prévu, ou encore, lorsque la valeur de la contre-prestation de l’une des parties au contrat se trouve considérablement diminuée ou amoindrie par la survenance de cet événement. La référence à « une altération fondamentale » permet d’éviter que les parties se saisissent de toute sorte de circonstances ou de prétexte pour demander une renégociation du contrat initialement conclu. Une simple altération ne peut pas entrainer une adaptation du contrat. La force obligatoire du contrat initialement conclu doit être maintenue dans ce cas. L’appréciation de l’altération fondamentale devra se faire in concreto[48]. L’événement en question doit, par ailleurs, intervenir en cours d’exécution du contrat. Sont exclus, les événements connus ou susceptibles d’être connus par les parties au moment de la conclusion du contrat[49].
De même, l’article 161 ajoute que : « la partie lésée n’a pu, lors de la conclusion du contrat, raisonnablement prendre de tels événements en considération » et que « ces événements doivent échapper au contrôle de la partie lésée ». Il s’agit là, de l’impossibilité pour les parties de prévoir au moment de la conclusion du contrat la survenance de l’événement qui altère fondamentalement l’équilibre des prestations du contrat. L’événement imprévisible doit non seulement ne pas avoir été prévu au contrat, mais n’avoir pas été prévisible au moment de la conclusion du contrat. Il s’agit de l’imprévu imprévisible qui se distingue de l’imprévu prévisible[50].
2- Les conditions liées à la volonté des parties
La survenance du bouleversement de circonstances donne droit à la partie victime ou lésée qui n’a pas accepté d’assumer le risque[51], de demander à son contractant, une renégociation du contrat. L’article 162 du projet de loi uniforme OHADA prévoit en ce sens qu’en cas de bouleversement des circonstances, la partie lésée peut demander l’ouverture de renégociations. La demande doit être faite sans retard injustifié et être motivée. La demande ne donne pas, par elle-même, à la partie lésée, le droit de suspendre l’exécution de ses obligations. Faute d’accord entre les parties dans un délai raisonnable, l’une ou l’autre peut saisir le président de la juridiction compétente. Il se dégage de ce texte qu’il s’agit d’une faculté au gré des intérêts et non d’une obligation de renégocier le contrat mis à la charge de la partie lésée. L’obligation générale de renégocier n’a donc pas été consacrée même s’il a été prévu dans le projet la saisine du juge en cas de refus ou d’échec de la renégociation : « faute d’accord entre les parties dans un délai raisonnable, l’une ou l’autre peut saisir le président de la juridiction compétente »[52].
L’autre exigence de l’article 162 qui attire l’attention est la nécessité de motiver la demande de renégociation. En effet, l’article 162, tout comme l’article 6.2.3 des Principes d’Unidroit exige que la demande de renégociation soit motivée. Le texte impose ainsi à la partie lésée, une obligation d’indiquer les raisons sur lesquelles la demande d’ouverture des renégociations est fondée, pour permettre à l’autre partie de mieux se rendre compte si cette demande est ou non justifiée. Ceci présuppose que le bouleversement des circonstances peut être diversement apprécié par les parties. Ceci ne correspond pas très exactement à l’idée de camaraderie et de solidarité contractuelle. La solidarité contractuelle postule justement que la partie qui est lésée par le bouleversement de circonstance trouve à ses côtés son partenaire d’affaires non pas comme un juge d’appréciation de la gravité de la situation, mais comme un véritable partenaire. A ce titre, il devrait lui venir en aide en se montrant le plus favorable que possible à la renégociation. C’est sûrement l’une des raisons pour lesquelles les Principes d’Unidroit enseignent que si les motifs du prétendu hardship sont tellement évidents, « …il est inutile de les exposer dans la demande ». L’on comprend bien que la partie lésée peut se passer de la motivation de la demande de négociation du moment où elles paraîtront évidentes. Mais en pratique, il est certain que la partie lésée motivera toujours sa demande de renégociation en cas de changement de circonstances imprévisibles. Elle paraît assurément certaine que certaines législations, prenant en considération la théorie de l’imprévision, n’ont pas jugé opportun, d’inclure, de manière expresse, l’exigence de motivation de la demande de renégociation dans le texte consacrant cette théorie[53].
II. Le pacta sunt servanda à renforcer par une approche tropicale de l’imprévision
Sous les tropiques en Afrique, l’individu ne jouit pas aujourd’hui tant que cela puisse paraître d’une liberté de nouer les rapports qu’il veut, avec qui il veut et comme il veut ; puisque la seule norme qui existe ne se réduit pas au consentement entre les personnes. Les relations entre individus sont encore en charge d’établir le lien social. L’individu est requis à mettre sa vie au service de l’existence même de la société dans sa transcendance temporelle »[54]. Une politique législative aussi importante pour les relations humaines, en général, et pour le monde des affaires, en particulier, que celle qui se rapporte à l’exécution contractuelle par le respect de la parole donnée, doit être justifiée pour emporter l’adhésion de tous. La solution, tout comme sa justification, doit puiser dans les aspirations et les réalités africaines. Pour le respect des engagements souscrits, pour le respect de la parole donnée, la renégociation envisagée comme remède aux difficultés d’exécution du contrat ne doit pas se fonder exclusivement sur des considérations économiques (A). Du reste, le rôle des parties prenantes doit être redéfini à la renégociation (B).
A. L’assouplissement de l’économie
Comme précédemment démontré, l’admission de la renégociation par le biais de la caractérisation du déséquilibre hisse le critère économique au rang de seule condition qui prévaut dans le contrat. Ceci ne semble pas restituer la plénitude des considérations du droit des obligations en Afrique. De toute évidence, l’engagement en Afrique n’est pas mû uniquement par des considérations économiques. Il faut tenir grand compte de la place de l’humain dans le contrat en Afrique. Ceci passe par une distance vis-à-vis de l’analyse économique des conditions d’admission de la renégociation (1) et un renforcement de l’humanisme dans le contrat (2).
1- La nécessaire distanciation de l’approche économique de la renégociation
L’analyse économique du droit[55] tire ses racines de la Common Law. Dans le monde anglo-saxon, faute de normes juridiques supérieures, le critère de l’efficacité économique apparaît comme une référence unificatrice. Cela explique le développement important de l’analyse des propriétés économiques des règles de droit propres à la Common Law. L’analyse économique du droit trouve réception au sein du droit de l’exécution des obligations des pays anglo-américains. De fait, c’est tout d’abord aux États-Unis que le mouvement Law and Economics s’est développé, et en particulier sur la question de la violation efficace[56]. Cette théorie approuve l’inexécution des obligations du débiteur si ce dernier a pour seul motif de contracter ailleurs plus avantageusement et qu’il indemnise à hauteur du préjudice subi par le créancier[57]. La primauté des dommages-intérêts en droit anglo-américain conduit à la théorie de la violation efficace du contrat. Le juge Holmes a, dès 1897, initié ce mouvement qui tend à détacher le mode d’exécution forcée de toute considération morale[58]. Le débiteur possède dès lors le choix entre exécuter ou alors indemniser si l’exécution lui est moins favorable économiquement. On est ici loin de la lettre et de l’esprit de l’article 1134 al 1 du Code civil français.
2- La nécessité de l’humanisme dans la renégociation
Dans les sociétés africaines modernes, emportées par les ballets de la mondialisation et la globalisation, le législateur africain aura du mal à justifier ou à légitimer le mécanisme qui voudrait qu’en cas d’inexécution contractuelle, l’on ne puisse aboutir qu’à des succédanés d’exécution de l’obligation contractuelle en lieu et place de l’exécution de l’obligation telle que promise. Le besoin d’attractivité de l’espace OHADA n’est pas incompatible avec le maintien d’une identité culturelle. Aussi, l’universalité du droit ne doit pas conduire à faire disparaître les particularités si ces dernières ne sont pas nuisibles au développement. Le droit des contrats, malgré son caractère technique, est dominé par la loi morale[59] et, le juriste doit s’efforcer de faire passer dans le droit son idéal moral parce qu’il a une parcelle de la puissance intellectuelle qu’il doit utiliser en luttant pour ses croyances[60].
Les sociétés les mieux organisées sont celles qui mettent la justice et l’équité sociale au-devant de tout. L’Afrique n’est pas en marge de cette considération, car, avant et même après l’arrivée du colon, elle est dominée par la Mâat[61]. Elle représente l’état juste de la nature et de la société tel que l’a fixé l’acte créateur, et, à partir de là, dans un cas, ce qui est correct, exact, et dans l’autre, le droit, l’ordre, la justice et la vérité. Cette considération n’a pas disparu. La traduction de ces principes en matière contractuelle conduit au respect de la parole donnée, quoiqu’il advienne comme difficulté d’exécution. Cette solution doit innerver la théorie générale des obligations dans l’espace OHADA.
Alors que des pays historiquement connus pour l’orientation très individualiste de leur droit inclinent aujourd’hui à réserver une place au solidarisme, il est étonnant de constater que l’Afrique s’éloigne de l’assise idéaliste de sa philosophie sociale pour verser dans un positivisme juridique difficilement compréhensible[62]. La fraternité et la camaraderie sont des valeurs africaines qui doivent pousser à respecter la parole donnée telle que prévu ou à renégocier ensemble le contrat pour in fine exécuter ce qui a été promis.
B. La redéfinition du rôle des parties dans la renégociation souhaitée
Les modalités de la renégociation souhaitée passent par une redéfinition de la place et du rôle du juge et des parties au service du respect des engagements souscrits. À cet effet, le contrat n’est pas que la chose des parties, certes, mais elles sont à son origine. Si, conformément au courant de solidarité qui n’a pas disparu en Afrique, l’individu est conscient de ce que ses actions isolées impactent la cohésion dans la société, les parties doivent jouer un rôle central dans la renégociation (1). Le juge devra occuper son rôle régalien : celui-là même qui est de permettre que force reste toujours au contrat (2).
1- Le rôle central des parties contractantes dans la renégociation
La renégociation devrait être à l’initiative des parties et conduite par elles. Pour évincer le juge de la convention des parties, une solution à double exigence se présente. D’une part, il faut arracher au créancier le droit de demander la réparation sous quelque forme que ce soit lorsqu’il est confronté à l’inexécution de la prestation qui lui est due. Cette exigence est respectueuse du contrat qui, non seulement, impose des obligations au débiteur, mais également met à la charge du créancier de ne pas exiger autre chose que ce qui a été convenu entre les parties[63].
Pour que cette solution soit réaliste, il faudrait agir en amont, au moment de la formation du contrat ou en cours d’exécution du contrat. Les parties doivent insérer dans le contrat toutes les clauses leur permettant de régler le différend qui naîtra, que ce soit en cas d’impossibilité matérielle, morale ou juridique d’exécution du contrat. Le but de la manœuvre est d’éviter de laisser le dénouement du contrat au juge. Il n’interviendra éventuellement que pour constater la validité ou non des clauses et leur donner effet. En guise d’illustration, le versement d’une somme d’argent au créancier, lorsque la prestation devient matériellement, juridiquement ou moralement impossible ne serait pas considéré comme la réparation d’un préjudice, si une clause contractuelle avait prévu cette forme de règlement. Ces clauses d’exécution du contrat doivent être systématiquement insérées dans tous les contrats. Elles doivent être marquées par leurs caractères très subjectifs, concrets et simples de compréhension. C’est ce qui fera leur particularité.
Avec l’exigence africaine de camaraderie contractuelle qui vise à tout prix à maintenir la relation contractuelle, à l’exécuter dans son propre intérêt, mais aussi dans l’intérêt de son cocontractant, le droit des obligations dans l’espace OHADA n’aura pas de peine à justifier l’exécution obligatoire du contrat en toutes circonstances. La proposition traduit une contrainte ferme quand survient l’inexécution ou les difficultés d’exécution du contrat. Cette contrainte est adoucie par l’exigence faite aux parties contractantes de recourir à la renégociation de leur convention avant de subir l’interdiction de toutes autres formes d’issues contractuelles par respect du pact sunt servanda. La proposition est plus respectueuse du contrat et est beaucoup plus en conformité avec les conceptions africaines.
L’exigence de renégociation que la loi imposerait aux parties, nous la voulons légitime par une adhésion de tous les acteurs de la vie économique de l’espace OHADA. Qu’on la situe dans le domaine de la morale, du droit ou même d’autres activités humaines, ce qui fait l’essence de l’obligation, c’est l’idée de contrainte, de coercition. L’obligation juridique se distingue de l’obligation morale seulement par le fait que la contrainte concernée est, dans le premier cas, prescrite et sanctionnée par la loi, tandis que dans le second cas, elle est simplement un devoir qu’un sujet se donne à lui-même, conformément aux prescriptions de sa conscience et en accord avec les convictions morales partagées dans la société à laquelle il appartient[64]. La norme juridique gagnerait beaucoup plus en légitimité si elle s’évertue à justifier son existence et son bien-fondé dans la conscience des sujets de droit et, particulièrement, des parties contractantes pour que l’obligation légale soit perçue comme moins contraignante dans la conscience de ces derniers. Dans un État de droit, toute obligation imposée à un sujet est tenue de se justifier ou de prouver sa légitimité, sans quoi elle ne serait qu’une injonction définissant la relation maître-esclave[65].
2- Le juge garant du pacta sunt servanda
La consécration de l’obligation de renégocier un contrat[66] a été curieusement l’œuvre de la jurisprudence française qui après avoir rejeté toute intervention du juge dans la loi contractuelle dans l’arrêt canal de Craponne[67], a admis sur le fondement de la bonne foi en 1992 dans l’arrêt Huart, le devoir de renégocier le contrat à la suite d’un changement de circonstance. Même si ce devoir de renégocier n’a pas été suivi de l’exigence du respect des engagements pris. En Afrique, les usages incitent non seulement à la consécration de cette obligation de renégocier, mais aussi au respect des engagements pris quel que soit le type d’obligation.
Toutes les obligations contractuelles (faire, ne pas faire, transférer la propriété ou donner à usage) peuvent faire l’objet de renégociations contractuelles. Les obligations contenant une forte dose d’intuitu personae sont surtout visées ici. Pour une partie tenue d’une obligation de faire à un contrat[68] qui est confronté à des difficultés d’exécuter sa prestation, une obligation d’avoir à renégocier les termes de son contrat avec son cocontractant, sous peine de se voir interdire par le juge l’exercice de son activité ou plus généralement le retrait du droit de contracter tant que durera l’inexécution pourrait conduire à une exécution en nature de la prestation. Cette solution présente l’avantage de forcer les parties aux contrats à toujours trouver d’elles-mêmes les solutions aux difficultés d’exécution du contrat tout en respectant l’institution qu’est le contrat. L’intervention du juge ne sera que pour vérifier le respect de cette obligation de renégociation par les parties. L’inexécution de l’obligation dans ces conditions étant à imputer à la partie n’ayant pas été favorable à la renégociation. La pression dans cette solution sera toujours sur la partie la moins diligente. Peut-être reprochera-t-on à cette solution de violer la liberté contractuelle ou plus généralement la liberté d’exercer le métier de son choix prônée par le décret d’Allarde[69]. Il faut dire qu’en amont, cette obligation ne pèse pas ex nihilo sur les parties. Elles ont donné leur consentement au contrat originel avant de se retrouver liées. D’après la théorie de l’autonomie de la volonté qui demeure malgré tout, « l’homme est libre et ne peut être lié que parce qu’il a voulu et ceci, dans la limite de ce qu’il a voulu »[70]. C’est donc volontairement qu’un contractant voit sa liberté se réduire. L’impossibilité d’exécuter sous quelque forme que ce soit, le coût manifestement déraisonnable ne sont donc pas des obstacles objectifs au respect des engagements souscrits. Les deux contractants ont manifesté leur volonté qui est devenue pour eux une loi. Le contrat peut être revu si les deux contractants en décident ainsi à nouveau. La menace d’une déchéance du droit de contracter à nouveau en cas de refus d’entrer en renégociation ou même en cas d’échec des renégociations peut accentuer le désir des parties à parvenir à un accord.
Conclusion
En raison de ce qu’il est de l’essence du contrat d’être exécuté, le droit des contrats dans l’espace OHADA devrait considérer l’exécution des engagements souscrits comme son « point de perspective »[71]. L’objectif du droit des obligations devrait être que le créancier obtienne réellement ce qui lui a été promis. Avec l’exigence africaine de camaraderie contractuelle qui vise à tout prix à maintenir la relation contractuelle, à l’exécuter dans son propre intérêt, mais aussi dans l’intérêt de son cocontractant, le droit des obligations dans l’espace OHADA n’aura pas de peine à se servir du remède de la renégociation comme atout fondamental du maintien et du respect des engagements. Plutôt que de réclamer au prime abord l’exécution de la prestation en cas d’inexécution, quel qu’en soit le motif, le créancier devrait être contraint à collaborer avec son débiteur afin de sortir de l’inexécution. Ainsi, le débiteur, sujet actif de la prestation, tout en étant lié, pourra compter sur la collaboration du créancier pour sortir des liens de l’obligation. Une sortie par le paiement du contrat qui aura été renégocié. Cette exigence va au-delà des considérations de bonne foi du Code civil. Ce serait une manifestation des usages africains qui consistent à toujours offrir plus à son partenaire qu’on a reçu de lui. Rendant celui-ci, même après le paiement au contrat débiteur d’une dette morale, d’exécuter à son tour et dans de meilleures conditions ses obligations futures. Cette chaine de solidarité qui va au-delà de la relation contractuelle est mue par la conception de l’humain en Afrique qui n’a pas disparu malgré le libéralisme ou le néolibéralisme qui caractérise aujourd’hui les relations humaines[72]. Les petites bonifications en compléments de ce qui est dû au créancier par le débiteur encore très courant en Afrique, les conventions entre familles où il faut aller travailler dans le champ du voisin pour recevoir de lui plus tard la même prestation sinon plus, témoignent du caractère peu économique, mais surtout humain des échanges en Afrique. La renégociation est très proche de l’une des institutions africaines n’ayant pas été dévalorisée par la mondialisation et la globalisation de l’économie : la palabre[73]. Elle se manifeste par la rhétorique « asseyons-nous et discutons » et intervient pour la plupart des tensions sociales. L’issue de celle-ci est moins de chercher à condamner que de trouver un consensus permanent. La voie de la renégociation permet de déboucher sur une justice qui réconcilie les parties, en les mettant au cœur de la résolution du litige né de l’inexécution contractuelle[74].
En Afrique règne une tradition négro-africaine du Droit reposant essentiellement sur une perception de l’univers comme un ordre métaphysique qui délégitime la perception occidentale du droit bâtie autour de la dichotomie Être-Avoir[75]. Ceci semble plus conforme aux aspirations de la justice en Afrique plutôt qu’une justice contractuelle qui conduit à rendre au créancier ce qui lui est dû au besoin par le versement de dommage-intérêt en exacerbant les tensions entre les parties.
[1] La solidarité est comprise comme un lien unissant un humain à un autre et réciproquement. Ce lien est imaginé et vécu comme dépendance : d’abord en tant qu’acceptation tacite des valeurs, des paradigmes et des lois en vigueur dans la communauté ; puis en tant que manque de liberté pour l’individu qui peine à trouver les voies et les moyens pour se réaliser. T. BONI, « Solidarité et insécurité humaine : penser la solidarité depuis l’Afrique », Diogène n° 235-236, juillet 2011, p.105.
[2] A. LOYSEL, Institutes coutumières. 1e éd., Videcoq, 1846, n° 357.
[3] E. DARANKOUM, « La protection du contrat dans l’Avant-projet d’Acte uniforme OHADA sur le droit des contrats : conclusion, exécution et remèdes en cas d’inexécution », Revue de droit uniforme, 2008, p.239.
[4] R.M VIANNA GONSALVES, « Le principe Pacta Sunt Servanda. Considération sur la force obligatoire des contrats dans le transport maritime. », Neptunus, e.revue, vol. 24, 2018/2
[5] Ibid.
[6] Bénin, Burkina Faso….
[7] Même les Etats qui se sont dotés d’une législation propre ne se sont pas éloignés de cette formule. Le Sénégal, à travers la Loi du 10 juillet 1963 relative au Code des Obligations Civiles et Commerciales (COCC) dispose en son article 96 que « le contrat légalement formé crée entre les parties un lien irrévocable ». Le Mali, à travers l’article 77 de la Loi du 29 août 1987 fixant le régime général des obligations, reprend en des termes identiques l’article 1134 du Code civil.
[8] D.C. SOSSA, « L’adaptation dirigée du contrat du commerce international aux circonstances », Revue béninoise des sciences juridiques et administratives, n°23, 2010, p.12.
[9] Hobbes, Spinoza, Locke et Rousseau.
[10] B. JOHANNES, « Pacta sunt servanda. Considérations sur l’histoire du contrat consensuel », In Revue internationale de droit comparé. Vol. 13 N°1, janvier-mars 1961. p. 22.
[11] Ibid.
[12] M. FONTAINE, « L’harmonisation du droit des contrats dans l’OHADA au lendemain de la réforme française », in Mélange en l’honneur du Professeur Cossi Dorothé SOSSA, Tome 1, CREDIJ, 2021, p. 294.
[13] Aux Etats-Unis par exemple.
[14] Article 53 de la constitution « … « Devant Dieu, les Mânes des Ancêtres, la Nation et devant le Peuple béninois, seul détenteur de la souveraineté ; Nous…….., président de la République, élu conformément aux lois de la République jurons solennellement : de …»
[15] B. JOHANNES, « Pacta sunt servanda. Considérations sur l’histoire du contrat consensuel », op. cit, p.46.
[16] C’est-à-dire inscrit dans sa raison.
[17] « Obligatio est juris vinculum quo necessitate adstringimur alicujus solvendae rei secundum nostrae civitatis jura ». Institutes de Gaius.
[18] B. JOHANNES, « Pacta sunt servanda. Considérations sur l’histoire du contrat consensuel », op. cit.
[19] J-P LEVY et A. CASTALDO, Histoire du droit civil, Dalloz, Paris, 2002, p. 780-789
[20] Lien de droit.
[21] T.D.M.R. GOUDJO, L’exécution forcée en nature des obligations dans l’espace OHADA : cas du Bénin et du Sénégal, thèse, FADESP/UAC, 2019, p. 2, inédit.
[22] Avant-projet d’Acte uniforme OHADA sur le droit des contrats.
[23] Dépouillement de la compétence des juridictions suprêmes nationales d’une grande partie des contentieux, choix des contrats à harmoniser, articulation avec les instruments juridiques existants…
[24] Projet de texte uniforme portant droit général des obligations dans l’espace OHADA.
[25] M. FONTAINE, « L’harmonisation du droit des contrats dans l’OHADA au lendemain de la réforme française », in Mélange en l’honneur du Professeur Cossi Dorothé SOSSA, Tome 1, CREDIJ, 2021, p. 296.
[26] Ibid.
[27] La solidarité est comprise comme un lien unissant un humain à un autre et réciproquement. Ce lien est imaginé et vécu comme dépendance : d’abord en tant qu’acceptation tacite des valeurs, des paradigmes et des lois en vigueur dans la communauté ; puis en tant que manque de liberté pour l’individu qui peine à trouver les voies et les moyens pour se réaliser. T. BONI, « Solidarité et insécurité humaine : penser la solidarité depuis l’Afrique », Diogène n°235-236, juillet 2011, p.105.
[28] D. TALLON, « L’inexécution du contrat : pour une autre présentation », op.cit., p. 226.
[29] Un auteur (P. JOURDAIN) ne disait-il pas que l’exécution ne peut être qu’en nature ? Ajouté à sa réflexion, nous estimons que l’exécution est unique tout comme l’inexécution est unique. On parle d’inexécution dès lors que ce qui a été promis au contrat n’a pas été fait. Ni la doctrine ni la jurisprudence n’ont réussi à identifier des inexécutions en nature ou des inexécutions par équivalent. P. JOURDAIN, « Réflexion sur la notion de responsabilité contractuelle », in Les métamorphoses de la responsabilité, Journées SAVATIER, PUF, 1998, p. 65.
[30] P. ANCEL, « Force obligatoire et contenu obligationnel du contrat » , RTD. civ. 1999, p. 771 s.
[31] Ibid.
[32] Voir une obligation.
[33] Article 161 et 162 du projet
[34] Article 1195 issu de l’ordonnance du 10 février 2016 ; Article 6.2.3 des Principes d’Unidroit.
[35] Cass. civ 2e, 19 septembre 2024 : « Un événement n’est constitutif de la force majeure […] que s’il est imprévisible, irrésistible et extérieur ».
[36] Les usages se définissent classiquement comme l’ensemble des pratiques « ayant acquis une certaine portée normative ». in M. FABRE-MAGNAN, Introduction générale au droit, 1e éd., PUF, 2009, p. 117.
[37] Saint Thomas d’AQUIN, Somme théologique, t.II, Collection Œuvres de saint Thomas d’Aquin, éd. du Cerf, p. 978. ; J. GHESTIN, « La justice contractuelle selon la tradition catholique », op. cit., p. 425.
[38] M. VILLEY cité par J. GHESTIN, « La justice contractuelle selon la tradition catholique », in Mélanges en l’honneur de Y. GUYON, Aspects actuels du droit des affaires, Dalloz, 2003, p. 420.
[39] Deutéronome 23 :23.
[40] Y. M. LAITHIER, « Étude comparative des sanctions de l’inexécution du contrat, force obligatoire du contrat et exécution forcée du contrat », LGDJ, 2004, p. 419.
[41] S. MELONE, « Les résistances du droit traditionnel au droit moderne des obligations », Revue sénégalaise de Droit, 1977, n°21, p. 47.
[42] En ce sens, voyons également K. E. AGOSSOU, Les pratiques contractuelles traditionnelles dans l’aire géographique Ajatado, thèse, université de Lomé (Togo), 2020, p. 61.
[43] A. AKAM AKAM, Colloque annuel africain du DIU Juriste OHADA – L’harmonisation du droit des contrats en Afrique : propos introductifs, LPA, n° 192 du 25 septembre 2015, p. 37.
[44] K. E. AGOSSOU, Les pratiques contractuelles traditionnelles dans l’aire géographique Ajatado, thèse, université de Lomé (Togo), 2020, p. 61.
[45] G. DUPRE, Un ordre et sa destruction, Ed. de l’ORSTORM, collections mémoires, n° 93, Paris, 1982, p. 629.
[46] Ibid.
[47]. Définition du dictionnaire français Larousse, édition 2023, p. 68.
[48]. Voyons, note du secrétariat d’UNIDROIT sur les Principes d’UNIDROIT relatifs aux contrats du commerce international et à la crise sanitaire de la covid-19, p. 19, n° 35.https://www.unidroit.org/french/news/2020/200721-principles-covid19-note/note-f.pdf(consulté le 29/09/2024).
[49] K.I AGBAM, « imprévision et tradition juridiques africaines : décryptage des articles 161 et 162 du projet d’Acte uniforme portant droit des obligations OHADA », colloque international pour une harmonisation du droit des contrats dans l’espace OHADA, Abidjan, 06 au 09 novembre 2024, inédit.
[50] Sur cette distinction, voir J. HEINICH, Le droit face à l’imprévisibilité du fait, thèse, Aix-Marseille Université, 2013, p.173, spéc., n°158.
[51] Cette exigence de risque assumé sera traitée dans la deuxième partie. Son maintien dans le contexte africain nous paraît très discutable.
[52]. K.I. AGBAM, Le contrat face à l’imprévision dans les pays francophones d’Afrique subsaharienne : essai d’une analyse normative socio-économique, thèse, Nantes université et université Laval, 2023, p.209 et s.
[53] En ce sens, voir, en droit français, l’article 1195 issu de l’ordonnance du 10 février 2016. En droit algérien, voir l’article 107 du Code civil, en droit belge, voir l’article 5.74 du Code civil issu de la réforme de 2022.
[54] À rebours de la pensée de Marcel GAUCHET, « si nous jouissons aujourd’hui d’une liberté sans égale dans l’histoire de nouer les rapports que nous voulons, avec qui nous voulons et comme nous voulons ; puisque la seule norme qui existe se réduit au consentement entre les personnes ; c’est dans la mesure où nos relations de tous les jours ne sont plus en charge d’établir le lien social. Nous sommes les premiers à ne pas être requis de mettre nos vies au service de l’existence même de la société dans sa transcendance temporelle ». M. GAUCHET, L’impossible entrée dans la vie, coll. Temps d’arrêt, Bruxelles, Yapaka.be, 2008, p.10.
[55] L’analyse économique du contrat est l’œuvre de l’école de Chicago dans les années 1960.
[56] Efficient breach. V. R. L. BIRMINGHAM à qui la théorie est attribuée. « Breach of Contract, Damage Measures and Economic Efficiency », 24, Rutgers Law Review, 1970, p. 273 et s.
[57] Citons cet exemple classique : « A vend ses marchandises à B pour 1000. C se présente et lui en offre 1200. Si A se laisse tenter par cette offre supérieure, qui lui apporte un gain supplémentaire de 200, il rompt son engagement envers B. A apprend que B allait réaliser un profit de 100 grâce à cette opération (il allait revendre les marchandises 1100). A devra donc lui payer 100 de dommages-intérêts. On constate que si A rompt son contrat avec B, chacun a lieu d’être satisfait : C obtient les marchandises au prix qu’il offrait, A réalise un profit supplémentaire de 100 (les 200 offerts en plus par C moins les 100 de dommages-intérêts), et B, avec ses dommages-intérêts, perçoit l’équivalent des bénéfices qu’il aurait retirés du contrat ».
[58] HOLMES, « The duty to keep a contracta t commoin law means a prediction that you must pay damages if you do not keep it – and nothing else », The path of law, Harvard Law Review, 1897, p.457.
[59] La loi morale est pour lui celle qui régit les sociétés occidentales modernes et qui est respectée parce qu’elle est imposée par la foi, la raison, la conscience, ou tout simplement suivie par l’habitude ou par le respect humain. G. RIPERT, La règle morale dans les obligations civiles, 4ème éd., LGDJ, 1949., n°2. p.5.
[60] Ibid., n°218. p.29.
[61] A. CISSE, « Introduction générale pour une approche plurale du droit africain », in L’obligation, Étude offert au professeur P. G. POUGOUE, (dir.) F. ANOUKAHA et A. D. OLINGA, L’Harmattan, 2015, p. 23.
[62] T.D.M.R. GOUDJO, L’exécution forcée en nature des obligations dans l’espace OHADA : cas du Bénin et du Sénégal, Thèse, FADESP/UAC, 2019, p. 265, inédit.
[63] Il faut se rappeler la distinction faite par P. ANCEL entre le contrat, instrument normatif, et son contenu obligationnel.
[64] E.-M. MBONDA, « L’obligation : de quel droit et pour quelle fin ? », in L’obligation, Études offertes au professeur P. G. POUGOUE, (dir.) F. ANOUKAHA et A. D. OLINGA, L’Harmattan, Cameroun, 2015, p. 441.
[65] E.- M. MBONDA, « L’obligation : de quel droit et pour quelle fin ? », op. cit. p. 442.
[66] Mais à la suite de changements de circonstance.
[67] La Cour de cassation française en 1876 dans l’arrêt Canal de Craponne à la surprise générale, refuse de déroger au principe de la force obligatoire, et en dépit des circonstances exceptionnelles, sanctionne la Cour d’appel d’Aix qui avait procédé à la révision judiciaire du contrat demandée par la plaignante.
[68] Débiteur comme créancier.
[69] On peut lire à l’article 7 de ce décret : « À compter du 1er avril prochain, il sera libre à toute personne de faire tel négoce ou d’exercer telle profession, art ou métier qu’elle trouvera bon ; mais elle sera tenue de se pourvoir auparavant d’une patente, d’en acquitter le prix suivant les taux ci-après déterminés et de se conformer aux règlements de police qui sont ou pourront être ». Le décret d’Allarde est en réalité une loi, datant des 2 et 17 mars 1791, par Pierre d’Allarde, qui a supprimé les corporations. Les corporations étaient des associations de personnes exerçant le même métier, qui réglementaient à l’échelle de chaque ville la profession.
[70] D.C. SOSSA, « L’adaptation dirigée du contrat du commerce international aux circonstances », Revue béninoise des sciences juridiques et administratives, n°23, 2010, p.15.
[71] L. AYNES, « Rapport introductif », RDC, 2005, p. 9.
[72] L’imaginaire négro-africain, construit sur un substrat méta-positif, envisage l’humain comme une finitude et, ce faisant, limite ses constructions identitaires. A.A DIOUF, « L’Afrique et les nouvelles figures occidentales du statut personnel », in Mélange en l’honneur du Professeur Ahonagnon Noël GBAGUIDI, tome 1, CREDIJ, 2013, p. 130.
[73] Forme de juridiction coutumière invitant les autorités traditionnelles, mais aussi et surtout les acteurs impliqués dans un conflit, à un dialogue autour d’évènements rythmant la vie sociale.
[74] M. TRAORE, Le règlement des litiges commerciaux en Afrique de l’Ouest, thèse, université Jean Moulin (Lyon 3), 2021. p. 274.
[75] A.A. DIOUF, « Repenser le droit civil en Afrique noire francophone », RIDC. 2, 2022, p. 385.
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