L’abolition de la peine de mort infligée à la société à l’ouverture de la liquidation des biens en droit de l’OHADA
Mon-espoir MFINI
Membre du laboratoire THEMISUM
Enseignant à l’université d’Angers – Faculté de droit
Rédacteur en chef de la Revue africaine de droit des affaires
Le fait pour le législateur de l’OHADA de prévoir la dissolution de la société à l’ouverture de la liquidation des biens rend pratiquement impossible l’exercice par le débiteur des droits et actions qui n’entrent pas dans le périmètre du dessaisissement (cependant, il a été jugé que le président du conseil d’administration, en sa double qualité d’administrateur, représentant la société et d’associé de celle-ci, a pleinement qualité et intérêt pour agir dans le sens de la sauvegarde de ses intérêts « CA Ouagadougou, Ch. civ. et com., n° 52, 16-4-2004 : SOSACO c/ K. H. BTM et BATEC-SARL et Entreprise DAR-ES-Salam, Ohadata J-04-375 ; J-04-374 »).
Aussi, il n’est pas anodin d’évoquer la survie de la société après la liquidation des biens, notamment lorsque celle-ci est clôturée par l’extinction de passif exigible. C’est dire que la liquidation des biens ne devrait plus être perçue comme cette procédure visant à mettre un terme à la personne morale. La clôture de la liquidation des biens pour extinction de passif ne provoquera pas la dissolution de la société qui pourra continuer sa vie par-delà l’accident de parcours qu’elle aura surmonté. Jusqu’à présent, et ce, sur le fondement de l’article 53 de l’Acte uniforme sous appréciation, une société qui réussit l’exploit de régler tout son passif exigible n’en est pas moins condamnée à disparaître puisque dissoute irrémédiablement par l’effet du jugement d’ouverture de la liquidation des biens. Là se trouve, probablement le mérite de ce que nous proposons dans cette livraison, solution qui doit, en principe, être bienvenue. D’ailleurs, de façon audacieuse, il a été admis que la personnalité juridique de la personne morale survie à la dissolution de la société, même si cette personnalité juridique qualifiée par certains d’atrophiée ne survie que pour les besoins de la procédure. A la différence des personnes physiques, les personnes morales peuvent vivre indéfiniment ; elles peuvent aussi, à l’image des premières, disparaître. La logique juridique voudrait dans ce cas que la société cesse d’exister dès sa dissolution, c’est-à-dire à l’ouverture de la liquidation des biens et que le patrimoine social tombe dans l’indivision. Mais les tribunaux, d’abord, puis le législateur (voir : art. 201, al. 3 de l’AUSCGIE et art. 205 du même Acte uniforme), en ont décidé autrement et se sont prononcés en faveur de la persistance de la personnalité morale au-delà de sa dissolution. La survie de la personnalité morale est un mécanisme original en ce sens qu’il conduit à nier la volonté des associés. Aussi, au sens premier de la notion de personnalité juridique, il est insensé de concevoir une personnalité juridique sans personne. N’a-t-on pas appris que la personnalité juridique est l’aptitude à avoir des droits des devoirs et des obligations et qu’elle n’est reconnue qu’à une personne vivante (et viable pour les personnes physiques. Cependant, la viabilité peut aussi être étendue aux personnes morales) ? Or, la société dissoute par le jugement d’ouverture, n’existe plus. Elle est, au sens du droit des personnes physiques, un De Cujus, c’est-à-dire, un cadavre, sans personnalité juridique (même si, là aussi, il y a des exceptions tenant au respect des dernières volontés du défunt et de la profanation de la sépulture. Cependant, il ne s’agit pas d’une survie de la personnalité juridique, laquelle prend fin avec la mort et, exceptionnellement avec l’absence et la disparition).
Mais, parce que la personnalité morale n’est qu’une fiction, cette survie pour les besoins de la liquidation se conçoit. Pourtant, elle invite à redessiner les contours même de la notion de personnalité juridique, au regard de cette exception intéressant la personne morale.
Dans le droit fil de la théorie classique de la personnalité juridique et au regard de ce qui précède, il est intéressant de plaider pour la fin de la peine de mort infligée à la société en droit de l’OHADA, du seul fait de l’ouverture de la liquidation des biens. Cette abrogation devrait aussi permettre aux organes sociaux d’exercer les droits et actions rattachés à la personne du débiteur, comme cela a déjà été écrit, et de convoquer les assemblées et remplir les obligations relatives à l’arrêté et à l’approbation des comptes.
Ainsi, la dissolution de la société à l’ouverture de la liquidation des biens se présente comme un obstacle à l’exercice des droits qui n’entrent pas dans le périmètre du dessaisissement du débiteur. Or, à la lumière de l’article 53 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif, le dessaisissement du débiteur vise à préserver le gage commun des créanciers, en rendant inopposables à la procédure tous les actes passés par le débiteur en méconnaissance des règles du dessaisissement. Ainsi, le domaine du dessaisissement du débiteur se limite-t-il au périmètre du gage commun. Son régime s’en trouve clarifié par la référence au gage commun. Par conséquent, tous les droits et toutes les actions qui n’entrent pas dans le périmètre du dessaisissement doivent être exercés par le débiteur dessaisi, en l’occurrence la société. Or, la dissolution de la société à l’ouverture de la procédure de liquidation des biens emporte automatiquement la « fin de vie » (Permettez-nous cette expression) des organes sociaux censés exercer les droits et actions de la société, non compris dans la mission du syndic. Voilà pourquoi, sans aller jusqu’à solliciter l’inscription dans les Constitutions nationales de l’interdiction de la peine de mort infligée aux sociétés du seul fait de l’ouverture de la liquidation des biens, il serait judicieux de réformer l’article 53 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif, pour décider, de mettre fin à une telle situation.
Aussi, si l’on veut lier la survie de la personne morale à sa capacité à payer ses dettes, il pourrait être prévu, dans le nouvel article 53 de l’Acte uniforme sur les procédures collectives, que la dissolution de la société résulte, non plus de l’ouverture de la liquidation des biens, mais de la clôture de la procédure pour insuffisance d’actif.
Dans le même sillage, l’article 113 de l’Acte uniforme sur les procédures collectives semble contredire l’article 53 du même Acte uniforme. En effet, l’article 53 consacre une dissolution de droit de la personne morale à l’ouverture de la procédure de liquidation des biens. C’est dire que le jugement d’ouverture de la liquidation emporte automatiquement disparition de la société et des organes sociaux. Or, l’article 113 de l’Acte uniforme sur les procédures collectives, dispose que « la liquidation des biens met fin à l’activité de l’entreprise débitrice. A titre exceptionnel, si l’intérêt public ou celui des créanciers l’exige, la juridiction compétente peut autoriser, dans la décision prononçant la liquidation des biens, une poursuite provisoire de l’activité pour une durée maximale de soixante jours. Elle peut renouveler une fois cette période, pour la même durée, à la demande du syndic et après avis du ministère public ». Quelle est donc cette société dont l’activité va être exceptionnellement poursuivie ? La société n’est-elle dissoute par le jugement d’ouverture de la procédure de liquidation des biens ? La dissolution de la société à l’ouverture de la procédure de liquidation n’est-elle pas de droit ? A contrario, ne faut-il pas concevoir l’article 113 comme une simple exception au principe de dissolution de la société à l’ouverture de la liquidation des biens ? N’a-t-on pas appris qu’il existe très peu de principes non-assortis d’exception en droit ?
Dans le même ordre d’idée, la dissolution des organes sociaux à l’ouverture de la liquidation des biens n’est pas sans incident sur l’action en comblement de passif par le dirigeant social, responsable de la faillite de l’entreprise.
Par ailleurs, quand bien même cela peut étonner, il n’est pas moins intéressant de convoquer la théorie des « Saints Pères » Aubry et Rau. En effet, pour les Strasbourgeois selon la méthode de Zachariae, un patrimoine appartient à une personne, c’est dire qu’il ne peut exister un patrimoine sans personne et le patrimoine de la personne disparaît avec la disparition de celle-ci, ce qui justifie, par exemple l’ouverture d’une succession, afin que chacun des éléments du patrimoine du De cujus trouve un nouveau patrimoine pour se mouvoir. Ceci justifie aussi que les biens du De cujus tombent dans l’indivision. Or, la dissolution de la personne morale à l’ouverture de la liquidation doit en principe emporter disparition de son patrimoine, ou, tout au plus, faire tomber le patrimoine social dans le régime de l’indivision. Tout cela, en théorie devrait empêcher aux créanciers de la personne morale de pouvoir recouvrer leurs créances, car n’ayant aucun patrimoine pour se servir. N’a-t-on pas appris de l’article 2285 du Code civil que le patrimoine du débiteur constitue le gage commun de ses créanciers ? Mais, « l’hypothétique » survie de la personnalité morale pour les besoins de la liquidation, semble régler cette question.
Le report de la dissolution de la société à la clôture de la procédure pour insuffisance d’actif, que nous plaidons sera considéré comme un changement de paradigme. Pourtant, le report de la dissolution de la société au jour de la clôture de la liquidation pour insuffisance d’actif suscitera de nouvelles interrogations. Les dirigeants de sociétés seront maintenus en poste et ceux-ci seront chargés de faire fonctionner institutionnellement la société. Arrêtons-nous un seul instant sur ce point afin de relever l’imbroglio qui transparaitra.
Le report de la dissolution de la personne morale à la clôture de la procédure pour insuffisance d’actif, un véritable imbroglio, à vrai dire. Un tel maintien des dirigeants en poste donnera l’impression d’une liquidation à demi-teinte : ce n’est pas comme si le syndic avait reçu pour mission de vendre l’actif de la société afin de désintéresser les créanciers. Il y aura là une véritable contradiction entre, d’un côté, la liquidation des biens et, de l’autre, le fonctionnement normal de la société. Or, en l’état actuel du droit l’objet de la liquidation des biens n’est pas de maintenir en place le débiteur. Au contraire, il faut apurer son passif afin de désintéresser ses créanciers. Du reste, la liquidation est destinée à mettre fin à l’activité de l’entreprise ou à réaliser le patrimoine du débiteur par une cession globale ou séparée de ses droits et de ses biens. Le dessaisissement contribue doublement à l’atteinte de cet objectif. D’une part, il empêche le dessaisi de dilapider son patrimoine et, d’autre part, tous les droits et actions ayant une incidence patrimoniale sont exercés par le syndic le temps de la procédure. C’est pourquoi il est permis d’affirmer que les opérations de la liquidation ne font pas bon ménage avec une quelconque activité sociale. Et, en cas de report de la dissolution de la société à la clôture de la procédure pour insuffisance d’actif, les dirigeants seront conscients qu’ils ne devront pas entretenir l’espoir d’un meilleur avenir pour la personne morale. Ceci est d’autant plus vrai qu’une société en liquidation est vouée à disparaître. Si le dirigeant reste en poste en dépit de la liquidation, ce ne sera que pour exercer les droits et actions de la société qui ne sont pas compris dans le périmètre du dessaisissement, que l’on qualifie aussi, en droit français, de « droits propres du débiteur » (Il n’est pas moins intéressant de relever, en passant, que la notion de droits propres est marquée au coin de l’obscurité). Tout au plus, outre ces droits, les dirigeants resteront en fonction pour convoquer les assemblées et remplir les obligations relatives à l’arrêté et à l’approbation des comptes. Ainsi, l’effet du dessaisissement dans ce cas conduira-t-il à traiter plus sévèrement la personne morale qu’un débiteur personne physique. Si le débiteur personne physique pourra exercer une activité salariée pendant la période de la procédure et, par là même, rebondir, il n’en sera pas de même pour une société. En effet, le dirigeant de société ne pourra engager la société dans une nouvelle activité.
Cependant, toutes choses égales par ailleurs, la dissolution de la société à l’ouverture de la liquidation des biens donne le sentiment d’un dessaisissement sans limites, ce qui n’est guère compatible avec l’article 53 de l’acte uniforme qui limite le dessaisissement aux droits ayant une dimension patrimoniale. Aussi, le syndic ne peut exercer les actes conservatoires.
A notre sens, le nouvel article doit prévoir la fin de la société par l’effet d’un jugement ordonnant la clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif. Il ne faut pas s’y méprendre, une telle évolution sera des plus importantes. En effet, la société pourra désormais disparaître ou non selon l’issue de la procédure de liquidation des biens. Son avenir devra donc être au cœur de la refonte de la réforme. Aussi, au-delà des rares cas où la société en liquidation des biens peut faire face à son passif avant la clôture de la liquidation, on pourra se demander si son sauvetage ne pourrait pas connaître un jour nouveau avec la nouvelle disposition qui résultera probablement de la refonte de la réforme. Entre l’insuffisance d’actif et l’extinction du passif, la priorité devrait être donnée à la seconde issue mais dans une approche plus réaliste. Tirant argument de cette volonté de l’auteur de ces lignes de conserver la société pendant la liquidation des biens, cette procédure devrait désormais prendre en considération l’intérêt social. De manière assez audacieuse, il ne sera pas anodin d’envisager une reprise interne de la société modalité de liquidation qui cohabiterait avec la réalisation de l’actif par voie de cession globale ou d’actifs isolés.
Par ailleurs, avec la nouvelle disposition que nous plaidons, puisque la société ne sera pas dissoute à l’ouverture de la liquidation des biens, ses dirigeants conserveront évidemment leurs fonctions et pourront exercer des recours au nom de celle-ci.
Voilà qui justifie le choix de ce sujet et de ce plaidoyer écrit entre la Roche-sur-Yon, Rennes, Angers, Cholet et Rosny-sous-Bois, d’août 2024 à décembre de la même année, à des heures parfois peu propices à la réflexion. Nous espérons que le jurislateur OHADA portera un regard sur cette disposition.
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