L’adhésion du Burundi à l’OHADA : un impératif ou un choix ?

Anaclet NZOHABONAYO

Professeur associé à l’université du Burundi

 

Le Burundi vit un moment crucial dont la gestion est déterminante pour l’instauration d’un climat des affaires favorable aux investissements et aux opérations économiques. Il s’est doté du Plan national de développement 2018-2027 dont l’objectif fondamental est la réalisation des objectifs de développement durable conçus pour mettre en œuvre l’Agenda 2030 des Nations unies. Sa vision 2040-2060 a été imaginée pour concrétiser ses engagements au titre de l’Agenda 2063 de l’Union africaine et de la vision 2050 de la Communauté d’Afrique de l’Est dont il est respectivement membre. Il est membre de plusieurs organisations d’intégration économique régionale au rendement mitigé. Pour tirer profit de cette appartenance et réaliser les objectifs prônés dans ces outils de planification, le pays doit faire peau neuve en adhérant au traité de l’OHADA. Dans le passé récent, des réformes partielles ou isolées de certains segments du droit des affaires n’ont pas permis de rompre avec les critiques d’insécurité juridique et judiciaire qui compromettent l’attractivité de la destination burundaise pour les investisseurs étrangers. Dès lors, l’étude estime que l’adhésion du Burundi à l’OHADA n’est pas une question de choix, mais plutôt un impératif pour se doter d’un droit des affaires fédérateur, rassurant pour les investisseurs et d’autres opérateurs économiques. La dynamique est en cours et, espérons, que la voie de la raison prendra toujours le dessus sur les émotions et les peurs pour prendre des décisions rationnelles inspirées des conclusions des études de faisabilité.

Introduction

Depuis la venue du droit des affaires OHADA, le continent africain possède l’une des intégrations juridiques régionales les plus réussies. À son introduction, les pays membres avaient des régimes juridiques du droit des affaires hétéroclites, disséminés dans des lois inaccessibles et mal en point pour contribuer à l’attraction des investissements et conséquemment à l’éclosion des activités économiques. L’OHADA a inauguré l’ère de modernisation de l’arsenal juridique vieillissant et depuis lors, aucun des pays membres de l’OHADA n’aspire à un retour en arrière.

Au contraire, nous assistons à l’agrandissement non seulement de l’espace juridique OHADA, mais aussi de l’extension de ce droit aux nouveaux domaines dont l’appartenance au droit des affaires attirait moins d’attention contribuant ainsi à une meilleure compréhension de la portée et de la notion du droit des affaires. La République démocratique du Congo et la Guinée équatoriale ont déposé leurs instruments de ratification auprès du Sénégal, pays dépositaire du traité, respectivement le 13 juillet 2012 et le 15 juin 1999.

Pour assurer son développement économique et réaliser sa vision « Burundi, pays émergent en 2040 et pays développé en 2060 »[1], le Burundi a opté pour l’intégration économique régionale très poussée en vue de créer un climat des affaires favorisant l’essor des activités économiques.

Le Burundi a signé l’accord sur la zone de libre-échange continental africain (ZLECAf)[2] et a déposé, le 26 août 2021, l’instrument de ratification. Il est membre de la Communauté Est-Africaine et de bien d’autres. Il appartient par ailleurs au marché commun d’Afrique australe. Il est candidat « impatient »[3] à l’adhésion à la communauté de l’Afrique australe pour le développement (SADC)[4]. Dans cette ligne de pensée, le droit OHADA est un droit des activités économiques et s’accommode par conséquent aux choix économiques du pays ainsi qu’aux préoccupations de sécurité juridique et judiciaire des affaires.

Depuis bientôt 5 ans, le Burundi est cité parmi les probables candidats à l’adhésion à l’OHADA. De fait, le gouvernement du Burundi a récemment posé des actions concrètes qui semblent indiquer son engagement à adhérer à l’OHADA. Cette réflexion a donc pour objectif d’analyser la marche en cours du Burundi vers cet ensemble juridique régional et de démontrer que l’adhésion du Burundi à l’OHADA n’est pas une option, mais plutôt un impératif.

I- Panorama d’une adhésion en perspective 

La perspective d’une adhésion du Burundi à l’OHADA se consolide avec l’accumulation des actes du gouvernement du Burundi traduisant sa volonté d’adopter le droit OHADA. Cette adhésion serait un bond en avant dans l’assainissement de l’environnement juridique des affaires au Burundi.

A. L’adhésion : Une perspective en consolidation

L’adhésion à un traité international est une démarche laborieuse dont la réussite dépend de plusieurs facteurs, dont le plus déterminant est la volonté politique de l’État de s’engager. Mais pour susciter cette volonté, lorsqu’elle n’est pas spontanément exprimée, les organisations, privées ou publiques, qui en voient l’intérêt parce qu’opérant dans le champ d’application dudit traité, peuvent décider de sensibiliser le pays pour y adhérer. Dans ce cas, ces entités doivent en démontrer les potentiels gains au pays candidat et rallier autant de soutiens parmi les principales parties prenantes opérant dans le champ d’intervention dudit traité ou celles-là qui peuvent en subir les effets. Sous cet angle, le club OHADA du Burundi s’est constitué porte-flambeau de l’initiative du plaidoyer pour sensibiliser le Burundi à adhérer au traité sur l’organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires.

Le club OHADA[5] et les différents soutiens qu’il a fédérés autour de cette idée d’adhésion étaient et demeurent conscients des enjeux et des obstacles à surmonter pour l’aboutissement du processus de plaidoyer. L’intérêt de l’adhésion, la sempiternelle question de résistance au changement, étaient, et restent, autant de défis qui invitent les promoteurs de l’adhésion à la fois à la prudence, mais plus particulièrement à la sagesse diplomatique, pour introduire le débat dans l’arène administrative et politique du Burundi. En plus de la pandémie Covid 19 qui a ralenti les activités et compromis les promesses de financement des activités, le renouvellement de l’environnement politique et des instances dirigeantes exigent des redéploiements de nouveaux efforts pour sensibiliser et convaincre les nouvelles autorités ainsi nommées.

Le club OHADA du Burundi a officiellement lancé les activités de sensibilisation pour l’adhésion lors de la conférence qu’il a organisée en collaboration avec le ministère de la Justice, de la Protection Civique et Garde des Sceaux[6]. Cette conférence a réuni les praticiens du droit, les milieux des affaires et les représentants de l’appareil administratif et législatif[7]. Cette conférence a pour la première fois proposé la piste OHADA comme solution aux problèmes récurrents qui hantent les opérateurs, les praticiens et les juridictions burundaises en matière de droit des affaires.

L’association pour l’unification du droit en Afrique (UNIDA) a accompagné cette démarche des promoteurs burundais dès les premiers jours en menant des missions de sensibilisation du gouvernement burundais sur l’adhésion à l’OHADA[8]. Elle a mis, et continue, de mettre à la disposition du club des livres et des Codes sur les Actes uniformes de l’OHADA. Cette documentation riche et variée permet de sensibiliser la communauté juridique sur l’existence d’un autre corps de règles qui servirait d’alternative pour moderniser le climat des affaires au Burundi.

Pour former des « disciples » de l’OHADA, le club OHADA du Burundi a initié la participation des jeunes universitaires burundais au concours international Génies en Herbe OHADA et en est aujourd’hui à sa troisième participation[9]. La présence des lauréats burundais dans ces compétitions internationales permet de maintenir un dialogue permanent avec les acteurs sur le droit OHADA. Ce concours constitue un canal d’apprentissage et de perfectionnement des connaissances et contribue à l’émergence d’une génération de futurs praticiens et décideurs imbus du droit OHADA. Ses efforts du secteur privé sont précurseurs de la volonté politique qui commence à se manifester à travers divers gestes d’engagement du gouvernement burundais.

B. Une volonté politique d’adhésion en constant affermissement

La volonté politique se réfère à l’expression de l’engagement de l’État burundais pour l’adhésion. La source d’émanation de cette volonté doit être une personnalité publique ayant un mandat et un pouvoir d’engager l’État devant les juridictions et l’administration. Ce statut pour agir au nom de l’État est attesté par le rang de la personne dans l’administration. À cet effet, le ministre de la Justice du Burundi jouit de ce statut en tant que membre du gouvernement représentant l’État du Burundi devant les citoyens et la communauté internationale pour toutes les questions relatives à son domaine d’intervention. Pour ce qui est de l’adhésion à l’OHADA, cette autorité a posé des gestes à portée sans équivoque sur l’intention du Burundi d’adhérer à l’OHADA. Elle a désigné un comité chargé de valider les termes de référence et d’assurer le suivi de l’« étude de faisabilité de l’adhésion de la République du Burundi à l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA) ». La nomination de ce comité composé d’experts du ministère de la Justice constitue une manifestation de l’intérêt du Burundi pour l’adhésion à l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires.

Mais plus encore, le ministre de la Justice a, une fois de plus, manifesté la volonté du gouvernement pour l’adhésion à l’OHADA en recevant formellement l’actuel nouveau Secrétaire général de l’OHADA en visite au Burundi pour soutenir et encourager le gouvernement dans sa perspective d’adhérer à l’OHADA. Cette haute autorité de l’organe technique de l’OHADA a rencontré plusieurs autorités burundaises, y compris les partenaires au développement.

En outre, d’autres institutions ont manifesté leur volonté de soutenir le processus d’adhésion du Burundi à l’OHADA. Les représentants du gouvernement du Burundi ont jusqu’à présent systématiquement participé dans toutes les conférences sur l’adhésion à l’OHADA organisées par le club OHADA du Burundi, y compris les délégués des superstructures telles que la présidence, la primature, l’Assemblée nationale et le Sénat.

Le gouvernement du Burundi a matérialisé cette volonté lorsque le ministère de la Justice a saisi son homologue des finances pour lui demander d’autoriser le financement de l’étude de faisabilité promis par l’Alliance française pour le développement. Cet accord de financement est déterminant, car bien que la volonté y soit, la position des décideurs reste tributaire des conclusions d’une étude de faisabilité sur lesquelles ils s’appuieront dans leur choix de poursuivre ou non le processus d’adhésion. Pour une réforme aussi ambitieuse que délicate, l’engagement des milieux d’affaires et des praticiens du droit s’avère déterminant pour accompagner cette volonté.

C. Une adhésion plébiscitée par les milieux d’affaires et les praticiens du droit

La décision sur l’adhésion du Burundi à l’OHADA doit reposer avant tout sur un postulat longtemps exprimé par le père fondateur de l’OHADA, Keba Mbaye. Celui-ci a toujours souligné : « L’OHADA a une origine africaine et sa raison d’être est économique, tout simplement ». Cette idée ne refoule pas le mimétisme juridique qui a toujours caractérisé l’adoption des législations parfois dictées ou consciemment copiées de l’étranger. L’OHADA est une solution africaine aux défis africains de développement économique. Or, ce dernier est incarné par les milieux d’affaires qui ont toujours un regard inquisiteur, car de la vivacité du droit des affaires dépend leur succès. Pour attirer les investissements étrangers et retenir les investisseurs domestiques, il faut un droit qui tient en compte leurs intérêts.

Au stade actuel de l’avancement du processus d’adhésion, les milieux burundais des affaires affichent leur soutien à cette marche vers l’OHADA. L’implication de plusieurs acteurs et secteurs économiques en constitue une manifestation éloquente. En guise d’illustration, le club OHADA du Burundi a toujours bénéficié, dans ses activités, du soutien de la Chambre Fédérale de Commerce et d’Industrie du Burundi (CFCIB). Cette organisation regroupe les opérateurs économiques œuvrant dans presque tous les secteurs économiques de la vie nationale. Le dynamisme de la CFCIB constitue un instrument de mesure de la vivacité du secteur privé. La communauté des opérateurs économiques du Burundi est en effet le premier destinataire de la normativité des affaires. Lorsque cette dernière n’est plus représentative de leurs intérêts, la construction du consensus en vue de nouvelles réformes juridiques s’exprime par des soutiens au courant de pensée réformiste. Tel nous parait la justification majeure du soutien que cette communauté du monde des affaires accorde à l’initiative de l’adhésion à l’OHADA portée par le club de droit des affaires du Burundi.

À côté de la CFCIB, les deux barreaux de Bujumbura et de Gitega et l’ordre des notaires du Burundi sont représentatifs des praticiens du droit des affaires. Ils sont en première ligne dans la défense des intérêts des opérateurs économiques. Étant en constante lecture de ce droit et en même temps son œil critique de l’application et de l’interprétation du droit des affaires, ils sont parmi les acteurs privilégiés ayant voix au chapitre pour faire entendre leur position.

Le processus est par ailleurs soutenu par l’association des banques et établissements financiers du Burundi. Le rôle de la CFCIB, de l’ordre des avocats du Burundi et de l’association des banquiers est déterminant en raison de leur caractère représentatif tant sous l’angle de la protection des activités économiques que sous celui des défis soulevés par l’application de l’actuel droit des affaires au Burundi.

Le processus jouit aussi du soutien des milieux académiques qui commencent par s’intéresser dans leurs recherches aux thématiques du droit des affaires OHADA. En tant qu’institution de production et de diffusion du savoir, les universités ont un rôle de premier plan à jouer. Ce sont elles qui en assureront l’enseignement et feront évoluer la doctrine et la jurisprudence. Dans ce rôle de consolidation du processus, les autorités décanales apportent aussi une assistance matérielle variée. Le débat sur l’adhésion du Burundi à l’OHADA ne doit pas seulement relever d’une gymnastique doctrinaire, mais plutôt d’une nécessité pratique permettant de réaliser le vœu de développement économique auquel le Burundi souscrit dans sa planification du développement.

II- L’adhésion du Burundi à l’OHADA : une perspective en phase avec les orientations économiques du pays

L’orientation du droit OHADA repose sur des aspirations de sécurité juridique des opérations économiques. Cette philosophie est aussi celle du pays qui souhaite attirer et retenir des investisseurs étrangers aussi bien dans sa vision, dans son plan de développement économique que dans sa participation aux accords régionaux d’intégration économique.

A. Une perspective en phase avec la vision du Burundi

Les programmes de développement des années 1980[10] imposés aux pays en développement sous l’étiquette de programme d’ajustement structurel ainsi que la « dynastie » déchanté, des cadres Stratégique de Croissance et de Lutte contre la Pauvreté (CSLP I et CSLP II) des années 2000[11] n’ont abouti qu’à des résultats mitigés[12]. Ils étaient pourtant présentés comme des antidotes de la pauvreté. Le CSLP II qui s’inscrivait dans la logique de la concrétisation de la vision 2025 a été abandonné, faisant place au PND 2018-2027. L’ambition du CSLP II était de mettre « au premier plan la recherche d’une croissance redistributive en faveur notamment des plus pauvres avec une attention particulière sur les femmes et les jeunes »[13].

Ces diverses initiatives qui n’ont pas eu les effets escomptés, auxquelles le Burundi a par ailleurs fini par renoncer, ont eu le mérite d’inspirer une nouvelle voie. Le Burundi s’est ainsi récemment doté des instruments de planification à moyen et long terme qui définissent clairement les orientations économiques du pays pour les quatre prochaines décennies. Il s’agit entre autres de la « Vision 2040 pays émergent ; 2060 pays développé » (Vision 2040-2060) et du plan national de développement « PND 2018-2027 », révisé en 2023. Les concepteurs de cette stratégie de développement ont identifié la « croissance soutenue et inclusive pour une résilience économique et un développement durable » comme défi majeur que rencontre le Burundi. À trois ans de l’expiration du PND, ce constat s’est davantage amplifié, car la croissance espérée à deux chiffres pour sortir le Burundi de « l’infamante » liste des pays pauvres très endettés relève toujours de l’imaginaire.

Pour l’instant, il semble que la vision ci-haut énoncée reste à son stade de slogan autour duquel les décideurs doivent se rassembler pour récolter les adhésions des parties prenantes. L’expérience, peu concluante, des sept ans d’application du PND invite à un sursaut pour des solutions innovantes afin de mettre en marche les projets et programmes destinés à promouvoir la réalisation de la Vision 2040-2060[14].

Le pays a besoin de solutions gagnantes porteuses d’actes concrets pour que ce rêve soit une réalité et non une simple vue d’esprit à valeur de slogan politique. C’est en cela que son adhésion à l’OHADA constituerait un signal fort à même de susciter l’engagement des opérateurs économiques domestiques et des investisseurs étrangers à investir dans le pays. L’augmentation de l’activité économique entraine l’employabilité de la main-d’œuvre et est créatrice de richesses. Cette analyse postule que la relance de l’économie doit être articulée sur des mesures capables de propulser le pays au rang des destinations les plus prisées par les investisseurs.

L’auteur estime que pour l’éclosion de l’entrepreneuriat et de l’activité économique qui est son corollaire, l’assainissement de l’environnement juridique des affaires joue un rôle fondamental. Dans ce sens, cette étude recommande aux décideurs burundais d’embrasser la voie d’adhésion à l’OHADA. Le droit OHADA, rappelons-le, était considéré par ses concepteurs comme « (…) Un outil juridique imaginé et réalisé par l’Afrique pour servir l’intégration économique et la croissance »[15]. Tant la vigueur de cette pensée résiste à l’obsolescence qu’elle est aujourd’hui la trame de la philosophie de développement du Burundi. L’amélioration des conditions économiques et la création du climat propice des affaires transcendent les deux outils de planification, à savoir la vision et le PND. Le droit OHADA est construit sur ces deux piliers et le Burundi gagnerait à s’appuyer sur un outil juridique comme l’OHADA ayant en partage cette orientation économique, politique et philosophique. Pour ainsi dire, la vision du Burundi est économique et celle de l’OHADA l’est aussi. Pour autant, cette compatibilité ne fait pas du droit OHADA, dont cette étude recommande vivement l’adoption, un outil juridique qui attirerait miraculeusement les investissements étrangers au Burundi. Nous la considérons comme une potentialité dont il faut se saisir pour la transformer en opportunité.

Dit ainsi, son efficacité est donc sujette à une bonne administration de la justice en phase avec les principes d’équité, d’égalité devant la loi et de bonne gouvernance dont l’existence effective participe à la sécurité judiciaire. Si le droit OHADA est incorporé dans un environnement juridique propice, il constitue un facteur stimulant pour les investissements.

B. L’adhésion à l’OHADA : un tremplin pour l’attraction des investissements

Pour relancer la croissance économique et réduire la pauvreté, puisque c’est de ça qu’il s’agit dans le PND 2018-2027, en ses piliers 5 & 11, le Burundi mise sur la promotion d’une économie compétitive et saine fondée sur l’attraction des capitaux étrangers et la présence des produitsburundais sur les marchés sous-régional, régional et international. La Vision 2040-2060 a identifié les principes directeurs devant servir à la réalisation concrète de ce vœu. Il s’agit, entre autres, de l’approfondissement de l’intégration régionale, d’une coopération internationale alignée aux priorités nationales et des décisions basées sur des évidences et des statistiques fiables[16].

À l’heure de la villagisation planétaire, l’intégration régionale s’impose désormais comme catalyseur des choix des politiques de développement. Le développement des échanges commerciaux en dépend. C’est encore cette intégration qui promeut l’élargissement de l’espace économique ainsi que la réalisation d’économie d’échelle. C’est donc à l’avantage des décideurs d’intégrer dans leur philosophie du développement que les accords économiques d’intégration régionale ne sont pas une panacée sinon le Burundi serait déjà un pays émergent, voire développé au vu de sa participation active dans le mouvement d’intégration économique régionale[17].

La contribution de l’intégration au développement est largement tributaire de l’existence d’un cadre juridique cohérent de droit des affaires « favorable à l’éclosion d’un secteur privé dynamique et moteur d’une croissance inclusive et durable »[18]. Or, le cadre actuel régissant le domaine des affaires au Burundi offre moins de garanties quant à la sécurité juridique et même judiciaire. En plus d’être inaccessible, éparse et obsolète pour certaines situations, il change au gré des renouvellements constants et éphémères de la classe dirigeante. Ces changements compromettent la sauvegarde des droits acquis, exposés également aux abrogations ou révisions intempestives du cadre légal, lorsque ce ne sont pas de nouvelles réglementations qui introduisent des incohérences susceptibles de compromettre la continuité des affaires.

Cette situation d’instabilité juridique contraste avec les exigences d’un bon climat des affaires pourtant recherché. Pour attirer des investissements productifs en mesure d’impulser le développement, l’assainissement du cadre juridique des affaires constitue un impératif qui mérite une attention du décideur burundais. Dans ce contexte, l’auteur estime que l’adoption du droit OHADA n’est pas un simple choix d’option, mais plutôt un devoir d’obligation compatible avec les engagements du Burundi exprimés dans ses outils de planification et dans les accords économiques qu’il a ratifiés. Le droit OHADA permettrait de parer à ces tares du droit burundais des affaires et d’offrir une sécurité juridique aux opérateurs économiques locaux et aux investisseurs étrangers.

Nous soutenons que réformer le droit des affaires par voie d’intégration à l’OHADA, c’est opter pour une perspective qui combine réalisme et efficacité. Le droit des pays membres de l’OHADA est de tradition civiliste tout comme le Burundi[19]. Cette appartenance à la famille des droits romano-germaniques constitue un élément adoucissant qui permet de réformer, sans bouleverser, les principes et les catégories juridiques qui constituent le soubassement du droit romano-germanique et de la pensée du juriste civiliste. Ces relations juridiques ancestrales renforcent la proximité entre le droit OHADA et le droit burundais et constituent un trait d’union permettant au Burundi d’opérer une transition normativement moins conflictuelle vers le système de l’OHADA.

Lorsqu’on dispose d’un système juridique dont la cohérence dans sa conception et dans son application a atteint un degré de notoriété comme celui du droit OHADA[20], les exigences de stabilité et de sécurité juridique soulèvent moins de suspicions. L’appartenance du Burundi à des organisations d’intégration économique régionale au régime juridique à la fois civiliste et anglo-saxon ne constitue pas un obstacle pour l’adhésion du Burundi à l’OHADA[21]. À ce sujet, le cas atypique est celui du Cameroun qui a adopté l’OHADA.

Des commentateurs parmi lesquels se rangent les partisans du statu quo s’interrogent sur l’efficacité qu’apporterait le droit OHADA dans l’assainissement du climat des affaires au Burundi. En effet, la conception du droit OHADA est technocratique avant d’être démocratique. C’est l’organe technique, en l’occurrence le secrétariat, qui initie la rédaction des projets d’actes uniformes, lesquels sont adoptés par la conférence des ministres. Sa conception obéit ainsi aux critères d’objectivité et de rationalité dictés par les besoins du monde des affaires en constante évolution. Sa révision suit les mêmes formes et se base principalement sur les critiques doctrinales et jurisprudentielles émanant des auteurs autorisés. Les règles de l’OHADA échappent, pour ainsi dire, au reproche d’un droit taillé sur mesure pour assouvir les intérêts des lobbys dominants ou d’une classe au pouvoir.

Au stade du contrôle d’application des normes, le problème qui hante la justice burundaise concerne les soupçons, avérés ou supposés, de l’immixtion de l’exécutif dans le fonctionnement de la magistrature. L’adoption du droit OHADA trancherait la question dans la mesure où le système laisse les juridictions nationales juger les affaires, mais le justiciable qui s’estime lésé par une décision du juge national d’appel a le droit de saisir la Cour commune de justice et d’arbitrage qui fait office de Cour de cassation pour les États membres dans son domaine de compétence. Les mauvaises décisions sont sanctionnées à ce niveau de la Cour régionale. Le magistrat national n’ayant plus le dernier mot, le système OHADA diminue ainsi les risques de corruption, de trafic d’influence et de décisions erronées. Les mécanismes de sélection des juges obéissent aux critères de compétence et d’éthique très élevés qui garantissent l’impartialité des juges et la qualité des décisions de la cour. En fin de compte, l’adoption du droit OHADA permettrait au pays de mettre fin à une situation d’anachronisme juridique et d’ouvrir un nouveau chapitre sur la voie de modernisation de son droit des affaires.

Conclusion

Le Burundi vit un moment crucial déterminant pour son développement économique. Il est doté du PND dont l’objectif fondamental est la réalisation des objectifs de développement durable conçus pour mettre en œuvre l’Agenda 2030 des Nations unies[22]. Sa Vision 2040-2060 a été imaginée et conçue pour mettre en œuvre ses engagements au titre de l’Agenda 2063 de l’Union africaine[23] et de la vision 2050 de la Communauté d’Afrique de l’Est[24] dont il est respectivement membre. C’est donc à juste titre que le pays cherche à faire peau neuve en adhérant à l’OHADA pour être en possession d’un droit à la hauteur de ses ambitions. Des réformes partielles ou isolées de certains segments du droit des affaires n’ont pas permis de rompre avec les critiques d’insécurité juridique et judiciaire. Dès lors, nous estimons que l’adhésion à l’OHADA comble le souhait d’un droit des affaires fédérateur rassurant pour les investisseurs et d’autres opérateurs économiques.

Les changements que la Vision 2040-2060 se propose de réaliser exigent des ressources financières venant des investisseurs de tous horizons. C’est alors en promouvant un climat d’investissement reposant sur un droit des affaires cohérent et adapté que la vision sera opérationnelle et répondra aux aspirations légitimes de développement économique et social qu’elle se propose de promouvoir.

L’appartenance aux ensembles économiques régionaux constitue un pas sérieux vers les opportunités de partenariat et d’investissement. Mais, pour enclencher les dividendes escomptés, cette dynamique intégrationniste doit s’appuyer sur une législation stable, prévisible et accessible. C’est en cela que nous concevons l’adhésion à l’OHADA comme solution aux défis de sécurité juridique des affaires au Burundi.

Pour adhérer à l’OHADA, les décideurs burundais auront à gérer la peur du changement qui bouleverse leur zone de confort et suscite les résistances aux réformes. Certains partisans du statu quo pourraient, sans raison, alimenter un pessimisme et provoquer des réactions de refoulement de l’adhésion. Ils doivent aussi affronter et contrarier certaines opinions alarmistes qui décourageraient l’initiative dans le dessein d’échapper aux ajustements inhérents à toute œuvre réformiste.

Le constat de cette étude est que la volonté d’adhérer à l’OHADA a été suffisamment exprimée. Il reste à souhaiter vivement que les décideurs burundais résistent à la tentation de refouler le projet d’adhésion sur base des peurs, des émotions ou d’autres considérations subjectives. La dynamique est en cours et la voie de la sagesse serait de s’inspirer des résultats des études de faisabilité à venir dont les conclusions permettront d’éclairer les décideurs pour des décisions rationnelles.

 

[1]En ligne : https://www.vision-burundi.gov.bi/.

[2] En ligne : https://au.int/fr/treaties/accord-etablissant-la-zone-de-libre-echange-continentale-africaine.

[3] La candidature du Burundi pour adhérer à la SADC a été rejetée en 2017 et 2019 et le pays cherche encore à remplir les conditions pour adhérer à cet ensemble économique régional. Agence Afrique, « La SADC rejette la demande d’adhésion du Burundi en raison de plusieurs manquements », en ligne : https://www.bing.com/search?q=burundi+adhesion+sadc&qs=n&form=QBRE&sp=1&ghc=1&lq=0&pq=burundi+adhesion+sadc&sc=021&sk=&cvid=A595CBD4111E480DA74AF75405AFA761&ghsh=0&ghacc=0&ghpl=

[4] La Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) est un groupe régional de 15 États membres fondé en 1980. La SADC regroupe en son sein seize pays de l’Afrique australe et de l’océan Indien : Afrique du Sud, Angola, Botswana, Lesotho, Madagascar, Malawi, Maurice, Mozambique, Namibie, République démocratique du Congo, Seychelles, Swaziland, Tanzanie, Zambie, Zimbabwe, Comores. 5 d’entre eux sont francophones. En ligne : https://www.sadc.int/fr/pages/objectifs-de-la-sa

[5] L’Assemblée générale constituante du Club du Droit des Affaires Ohada-Burundi (CDAOBU en sigle) s’est tenue en date du 13/02/2020 à 16 h.

[6] La conférence a eu lieu le 7 février à l’hôtel panoramique de Bujumbura.

[7] Parmi les participants, il y avait les grands acteurs de la vie économique et juridique du Burundi suivant : Chambre Fédérale de Commerce et d’Industrie du Burundi (CFCIB), Association des commerçants du Burundi (AIB), Barreau de Bujumbura, Barreau de Gitega, Association burundaise des Banques et Établissements Financiers (ABEF), Association des Industriels du Burundi (AIB), Association des juristes des Banques et Établissements Financiers (AJBEF) et l’Association des Femmes Entrepreneures (AFAB).

[8] En date du 28 mars 2022, l’UNIDA a mené une mission de sensibilisation du Gouvernement du Burundi, en vue de l’adhésion du pays à l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA). Il faut signaler que cette mission était organisée en partenariat avec l’Organisation OHADA et son Secrétariat Permanent et avec le soutien de l’ambassade de France au Burundi.

[9] Le Burundi a participé à la 13 -ème édition qui s’est déroulée à Yaoundé au Cameroun en 2022. Il a également participé à la 14ème édition qui s’est tenue à Kinshasa en 2023. Il se prépare actuellement à sa troisième participation qui aura lieu en septembre 2024 à Abidjan en Côte d’Ivoire.

[10] Le deuxième projet d’ajustement structurel se proposait d’accélérer la croissance économique et d’augmenter les niveaux de revenu et de consommation par habitant, en réorientant l’économie de façon à s’appuyer davantage sur les forces du marché et à s’ouvrir plus à l’extérieur. En ligne : https://documents.banquemondiale.org/fr/publication/documents-reports/documentdetail/567431468015296332/burundi-deuxieme-programme-dajustment-structurel. Pour le document complet, voir en ligne : https://documents1.worldbank.org/curated/en/567431468015296332/pdf/P47700FRENCH0P101Official0Use0Only1.pdf.

[11] Cadre Stratégique de Croissance et de Lutte contre la Pauvreté, 2012, en ligne : http://www.presidence.gov.bi/wp-content/uploads/2017/04/Burundi_CSLP_II.pdf « le gouvernement a adopté, en 2006, son premier Cadre Stratégique de Croissance et de Lutte contre la Pauvreté (CSLP) ». Toutefois, il faut signaler qu’il y avait le CSLP-Intérimaire qui a été adopté en janvier 2004 par les deux conseils d’administration du FMI et la Banque Mondiale, en ligne : https://planipolis.iiep.unesco.org/sites/default/files/ressources/burundi_prsp_fre.pdf.

[12] Cadre Stratégique de Croissance et de Lutte contre la Pauvreté, 2012, en ligne : http://www.presidence.gov.bi/wp-content/uploads/2017/04/Burundi_CSLP_II.pdf.

[13] Cadre Stratégique de Croissance et de Lutte contre la Pauvreté, 2012, En ligne : http://www.presidence.gov.bi/wp-content/uploads/2017/04/Burundi_CSLP_II.pdf

[14] Vision Burundi Pays Émergent en 2040 et Pays Développé en 2060, juillet 2023. En ligne : file:///C:/Users/Hp/Downloads/Vision-2040-1.pdf.

[15] En ligne : OHADA.com – Association pour l’Unification du Droit en Afrique (UNIDA).

[16] Voir la « vision 2040 pays émergent et 2060 pays développé » p.41 respectivement aux principes 5,8 et 11, en ligne : file:///C:/Users/Hp/Downloads/Vision-2040-1.pdf.

[17] Il est membre de la communauté est africaine, du marché commun de l’Afrique australe et orientale, membre de la communauté économique des états de l’Afrique centrale, membre également de la moribonde communauté économique des pays des Grands Lacs et il est encore candidat « impatient » à l’adhésion à la communauté de développement de l’Afrique Australe. De plus, en juillet 2018, le Burundi a signé l’accord sur la zone de libre-échange continental africain (ZLECAf) et a déposé, le 26 août 2021, l’instrument de ratification.

[18] Voir la vision 2040 pays émergent et 2060 pays développé p.41 respectivement aux principes 5,8 et 11, en ligne : file:///C:/Users/Hp/Downloads/Vision-2040-1.pdf.

[19] A l’exception du Cameroun où s’appliquent concurremment le droit d’origine romano-germanique et la Common Law d’origine anglo-saxonne.

[20] Le droit OHADA constitue aujourd’hui un instrument juridique d’inspiration de Droit chinois des affaires, du Code européen des affaires, Caraïbes (OHADAC). En ligne : News – Un projet Interreg pour une communauté d’affaire caribéenne plus forte (ohadac.com).

[21] C’est le cas de la communauté de développement de l’Afrique australe qui compte des pays francophones en son sein.

[22] United Nations,” Transforming our world: the 2030 agenda for sustainable development”, En ligne :

https://sdgs.un.org/sites/default/files/publications/21252030%20Agenda%20for%20Sustainable%20Development%20web.pdf. Voir aussi A/RES/70/A/RES/70/1.

[23] Agenda 2063 : The Africa We Want. En ligne : https://au.int/en/agenda2063/overview.

[24] En ligne : https://leap.unep.org/en/countries/national-legislation/east-african-community-vision-2050#:~:text=The%20EAC%20Vision%202050%20lays%20out%20a%20broad,cohesive%20societies%2C%20competitive%20economies%2C%20and%20strong%20inter-regional%20interaction.

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