La summa divisio des droits patrimoniaux et des droits extrapatrimoniaux : étude critique

Abdou Soumaïla SOUNON TAMOU

Maître-assistant à l’université de Parakou (Bénin)

Résumé

Pendant longtemps, la summa divisio des droits patrimoniaux et des droits extrapatrimoniaux a paru très simple et loin de susciter de débats. C’était sans compter avec le fait que le monde change très vite et que ce qui était patrimonial pouvait, d’un moment à un autre, basculer dans le domaine de l’extrapatrimonial et vice-versa. Effectivement, le doute sur l’exactitude de la distinction est né, de sorte que l’on trouve qu’une étude critique sur la summa divisio des droits patrimoniaux et des droits extra-patrimoniaux est devenue nécessaire. En effet, les deux critères qui sous-tendaient cette distinction, à savoir, la pécuniarité et la cessibilité, ont tous été jugés insuffisants, notamment par une grande partie de la doctrine. Certains n’hésitent même plus à souhaiter que les frontières entre droits patrimoniaux et droits extrapatrimoniaux soient redéfinies. C’est pourquoi, cette la réflexion qui se veut bien critique, pose la question fondamentale de savoir si la summa divisio des droits patrimoniaux et des droits extrapatrimoniaux peut encore être considérée comme la summa divisio des droits subjectifs. L’opinion dominante relève un recul de cette grande division des droits subjectifs. Ce n’est cependant pas pour autant qu’il faille l’abandonner. Ce qu’il sera utile de faire, c’est de procéder à une redéfinition des critères de la distinction. L’on préconise le maintien de la distinction classique avec le constat qui appelle nécessairement des réglages, tantôt de la patrimonialisation des droits extrapatrimoniaux, tantôt de l’extrapatrimonialisation des droits patrimoniaux.

Introduction

Tout ce qui n’est pas personne est chose. Cette grande division des personnes et des choses, distinction reconnue fondamentale[1] et entretenue par le Code civil français de 1804[2], mais aussi par celui de plusieurs États africains partageant la tradition juridique française et auxquels ce Code civil a été rendu applicable, paraît révéler l’étanchéité de la cloison qui sépare le sujet de l’objet de droit[3]. Pourtant, les évolutions sociales, les progrès technologiques et scientifiques relativement récents sont venus ébranler les représentations, au point de créer un doute sur la pertinence de la distinction classique et, par ailleurs, de justifier une étude critique sur la summa divisio des droits patrimoniaux et des droits extra-patrimoniaux. En effet, la théorie du patrimoine de Zachariae, telle qu’elle a été traduite et modifiée par Aubry et Rau[4], envisageait dans une première approche le patrimoine comme l’ensemble des biens de la personne, y compris ce que les auteurs appelaient alors les « droits de puissance » et les « biens innés »[5] qui sont notamment devenus les droits extrapatrimoniaux[6]. Mais, en étaient immédiatement exclus, de manière dogmatique, ces droits et biens[7], le patrimoine devant être assimilé à quelque chose de pécuniaire[8]. On note déjà, à ce stade, une hésitation de nature à soulever la controverse. Cela n’a pas empêché de retenir que les droits extrapatrimoniaux sont les droits qui n’ont aucun contenu pécuniaire et qui ne représentent, pour leur titulaire, aucun élément de richesse matérielle[9]. Les droits extrapatrimoniaux ne font donc pas partie du patrimoine. Ils concernent, entre autres, les droits de famille, les droits découlant de la filiation, les droits des parents attachés à l’autorité parentale, le droit au respect de la vie privée, l’action civile exercée devant les juridictions pénales ou encore le droit moral de l’auteur sur son œuvre. Ces différents « droits de la personnalité »[10] ne relèvent donc pas « du monde des biens », dans un sens là aussi pécuniaire. Les droits de la personnalité protègent directement la personne dans ses aspects physiques et moraux[11]. Ils sont apparus au début du XXe siècle, d’abord en droit américain (right of privacy)[12] avant de prendre corps en droit français avec les travaux d’Henri Perreau[13]. Certains droits africains ont, à de divers degrés, consacré formellement des dispositions sur les droits de la personnalité[14]. Il s’agit plus précisément des droits béninois[15], centrafricain[16], congolais[17], gabonais[18], malien[19]. Ces droits, contrairement aux droits patrimoniaux pour lesquels le principe d’égalité civile demeure abstrait (chacun n’ayant pas la jouissance effective des mêmes biens), octroieraient à tout individu quelle que soit sa condition, sa fortune, les mêmes avantages, la même protection, les mêmes actions[20]. Mais, comme pour les droits patrimoniaux, les droits extrapatrimoniaux ne confèrent aucune véritable égalité et sont, de la même manière, fonction de la condition et de la fortune des titulaires. Ces droits sont théoriquement dans le patrimoine de chaque individu, de la même manière que chaque individu peut théoriquement acquérir n’importe quel bien.

Ainsi appréhendée, la summa divisio[21] des droits patrimoniaux et des droits extrapatrimoniaux paraissait très simple et loin de susciter de débats. C’était sans compter avec le fait que le monde change très vite et que ce qui était patrimonial pouvait basculer dans le domaine de l’extrapatrimonial et vice-versa. C’est justement ce à quoi l’on assiste et le phénomène paraît très avancé. Deux éléments sont à relever. Premièrement, les critères de distinction entre les droits patrimoniaux et les droits extrapatrimoniaux ont fait l’objet de critiques doctrinales. Les deux critères, à savoir la pécuniarité et la cessibilité, ont tous été jugés insuffisants. Sur la pécuniarité, on sait que c’est en recherchant la définition des choses ou des biens qui sortent du patrimoine que les auteurs ont tenté de trouver un critère à la patrimonialité[22]. Les premiers auteurs du patrimoine ont retenu la pécuniarité[23]. Ce caractère désormais classique de pécuniarité du bien patrimonial a survécu pendant longtemps sans être vraiment remis en cause. La longévité de la théorie d’Aubry et Rau s’explique d’ailleurs par son caractère étrangement contemporain[24]. En effet, rallier le patrimonial au pécuniaire permet d’exclure de l’universalité les biens ne pouvant faire l’objet d’une évaluation monétaire. Doivent ainsi être considérés comme extrapatrimoniaux les biens hors commerce, car quoique recevant une valeur, celle-ci n’est pas admise en droit. Sont également exclues du patrimoine les choses qui, malgré leur intégration dans le commerce juridique, ne peuvent faire l’objet que d’actes gratuits. Convaincant à bien des égards, le critère semble pourtant insuffisant aujourd’hui. La division du patrimonial et de l’extrapatrimonial ne peut désormais plus reposer sur l’existence de la seule valeur pécuniaire. En effet, certains éléments du commerce juridique, pouvant d’ailleurs faire l’objet d’une cession à titre onéreux et transmissible à cause de mort, tels que l’image ou la voix, paraissent toutefois devoir être exclus du patrimoine, car ils sont rattachés à la personne. Désormais, seuls certains objets de propriété sont patrimoniaux. Le refus qu’a pu provoquer, au début du XXe siècle, la perspective d’une insertion de la personnalité parmi les objets de propriété se comprend donc si l’on observe qu’il a eu lieu en un temps où les biens étaient essentiellement, sinon exclusivement envisagés comme des entités patrimoniales[25]. Quant au critère de la cessibilité, les auteurs les plus récents ont proposé la cessibilité comme critère de la patrimonialité[26]. Selon eux, le bien n’intègre le patrimoine que s’il peut être cédé par son propriétaire[27]. Innovante, cette thèse se distingue de celle de la pécuniarité en ce qu’elle permet d’intégrer dans le patrimoine tous les objets pouvant, ne serait-ce que potentiellement, circuler juridiquement à titre gratuit ou onéreux. En d’autres termes, ce dernier critère est bien plus satisfaisant puisqu’il permet d’expliquer la circulation de biens qui, autrefois, répugnaient à l’échange ou aux dons. On peut déjà se demander s’il faut considérer l’image, le nom ou la voix d’une personne comme des droits patrimoniaux. Il en est ainsi également des cellules, du sang, des cheveux[28]. Au regard de la fonction du patrimoine, une réponse négative s’impose, car aucun de ces éléments ne peut servir à la garantie du créancier qui souhaite obtenir paiement[29]. Par ailleurs, dans l’optique d’une multiplication des patrimoines, envisager la patrimonialité sous l’angle de l’accessibilité à l’échange est peu convaincant, parce que, l’idée d’une pluralité de patrimoine a pour conséquence première la division du gage des créanciers et, partant, la création de plusieurs catégories de créanciers. Or, il est difficilement concevable de dire que des biens sont accessibles à l’échange pour certains, mais pas pour d’autres.

Secondement, et c’est la conséquence des critiques précédentes, ce sont les nuances de la patrimonialité qui sont devenues incertaines. L’apparition de nouveaux biens ou l’admission de la commercialisation de choses autrefois considérées comme des éléments de la personne inviteraient alors à redéfinir les frontières du patrimonial. C’est ce que vise la réflexion qui se veut bien critique. Il faut pouvoir trouver les moyens de limiter la confusion grandissante dans cette distinction qui n’est pas totalement dénuée d’intérêt. En effet, du maintien ou de l’extinction de la distinction dépend la sauvegarde de la dignité de la personne humaine. Si avec les mutations en cours, on en arrive à parler d’un droit de la personne sur son propre corps[30], on doit aussi commencer par se demander ce qui reste de la dignité de la personne humaine. Or, le corps humain est ordinairement montré comme étant un aspect de la personne juridique et le principe de dignité comme le mécanisme qui permet à la fois la protection de l’intégrité physique de la personne et la limitation des droits de cette dernière sur son propre corps[31]. La question fondamentale qu’il est urgent de poser est alors de savoir si la summa divisio des droits extrapatrimoniaux et des droits patrimoniaux peut encore être considérée comme la summa divisio des droits subjectifs.

L’avenir de la summa division des droits patrimoniaux et des droits extrapatrimoniaux fait débat aujourd’hui plus qu’hier. En témoignent les études critiques qui y sont consacrées en doctrine[32]. L’opinion dominante relève un recul de cette grande division des droits subjectifs. Certains, sur le fondement des droits et actions attachés à la personne, prônent une réorganisation de l’ensemble des droits subjectifs. Englobant, en effet, les droits extrapatrimoniaux qu’ils réunissent au sein du patrimoine, les droits et actions attachés à la personne apparaitraient à l’origine comme des droits patrimoniaux non attachés à la personne[33]. Les contours du patrimoine ont fait l’objet de nombreux débats et certaines questions demeurent aujourd’hui sans réponse concernant les biens et les dettes qui y sont inclus. Certains estiment alors qu’il est de nouveau plus propice de se servir du patrimoine comme modèle de l’universalité de droit[34]. Puis, c’est une nouvelle classification des droits subjectifs que suggèrent d’autres auteurs[35].

Au demeurant, il y a une forte imbrication des critères de distinction entre les droits patrimoniaux et les droits extrapatrimoniaux. Est-ce cependant pour autant qu’il faille l’abandonner ? Cette question est posée dans la mesure où la division joue toujours un rôle important dans le maintien des frontières entre ces deux catégories de droits. Une option devient impérative, face à cette incertitude constatée de la summa division. Elle consiste soit en une redéfinition des critères de la distinction, soit en l’abandon de celle-ci au profit d’une autre. En d’autres termes, il faudra choisir parmi la diversité des options qui sont suggérées.

En dépit des propositions intéressantes faites dans le sens de l’adoption d’une nouvelle summa divisio, l’on préconise plutôt le maintien de la distinction classique avec le constat qui appelle nécessairement des réglages, tantôt de la patrimonialisation croissante des droits extrapatrimoniaux (I), tantôt de l’extrapatrimonialisation qui elle semble encore mesurée des droits patrimoniaux (II).

I. La patrimonialisation croissante des droits extrapatrimoniaux

La légitimité de la catégorie des droits extrapatrimoniaux est remise en cause, davantage aujourd’hui qu’hier. Depuis leur apparition, les droits extrapatrimoniaux ont toujours été l’objet de controverses et de critiques. Ils ont su perdurer, en raison d’une valeur explicative certaine, mais surtout d’une nécessité de protection de l’individu dans ses éléments les plus personnels[36]. Si à l’origine, les droits extrapatrimoniaux étaient sollicités pour protéger la personnalité sous ses manifestations les plus tangibles[37], dans une conscience plus aigüe de dignité de la personne humaine, ils le sont à présent pour défendre des valeurs purement économiques, dans la revendication d’un monopole d’exploitation sur ces valeurs[38]. Cette prise de conscience de la crise des droits de la personnalité[39] conduit à constater une tendance quasiment générale à la patrimonialisation des droits extrapatrimoniaux (A). Le cas échéant, c’est le critère de la pécuniarité qui devient alors déterminant dans ces changements observés (B).

A. Une tendance quasiment générale

Contrairement aux droits de l’homme, les droits de la personnalité sont invoqués dans les rapports entre particuliers et mettent en cause directement la personne de leur titulaire. Ils sont en principe intransmissibles, imprescriptibles, insaisissables, même si certains droits patrimoniaux, à l’instar des dettes alimentaires, sont hors du commerce, bien qu’ils puissent parfois faire l’objet de certaines conventions telles que le don. Cette conventionnalité qui n’était que très exceptionnellement remise en cause tend à devenir un principe général. Partant du constat que certains droits se patrimonialisent plus notoirement que d’autres, à l’instar du droit portant sur la voix, on admet que cette patrimonialisation est presque générale. Pour s’en convaincre, l’on s’appuie sur les deux grands domaines dans lesquels sont situés les droits de la personnalité.

1- Les droits rattachés à l’intégrité physique

En raison des progrès de la science, le statut du corps humain et de ses éléments constitue aujourd’hui un enjeu important. En effet, le corps humain tend à devenir un réservoir de pièces détachées, de matières premières utilisables à des fins multiples[40]. Ceci requerrait que l’on en fasse une préoccupation majeure, pour freiner les conséquences qui en découleraient. Le mécanisme trouvé à cet effet, à savoir la consécration du droit à l’intégrité physique dans les droits africains notamment, a fini de montrer ses limites. L’une des variantes de ce droit fondamental, l’indisponibilité du corps humain, a longtemps permis d’affirmer l’extrapatrimonialité du corps humain[41]. Il était de principe, jusqu’à une période relativement récente maintenant, que toutes les choses ne sont pas susceptibles d’appropriation. Il faut encore que la chose ait une certaine valeur pour qu’elle intéresse le droit. Les autres choses, comme le corps humain, par exemple, qui dispose d’une valeur, mais dont celle-ci ne peut pas faire l’objet d’une représentation économique dans notre société, n’accèdent pas à la qualité de bien[42]. Même si, de l’avis de certains encore, ce principe, pris dans sa globalité, s’applique assez fermement[43], il n’en demeure pas que l’application est aujourd’hui à géométrie variable. L’indisponibilité du corps humain signifie en effet que le corps humain ne peut faire l’objet d’aucune convention, même à titre gratuit. En revanche, le principe connaît, selon les systèmes juridiques, soit quelques exceptions pour les droits africains, soit de nombreuses exceptions pour les droits européens. C’est en cela qu’une partie de la doctrine européenne se refuse d’affirmer « le principe d’indisponibilité du corps avec exceptions pour voir plutôt un principe de disponibilité sous conditions »[44] alors même qu’une telle admission reviendrait à conférer à la personne un pouvoir juridiquement protégé de marchander la cession ou l’usage de son corps ou de ses éléments et produits[45]. On en déduit que le principe de la non-patrimonialité du corps humain ne s’impose pas avec la même force à tous ses éléments et produits. Il en est ainsi d’une part, des produits et éléments du corps humain tels que le lait maternel[46], les cheveux, les ongles, des poils, des excrétions du corps (sueur, salive, larmes, excréments) considérés comme des simples choses parce qu’ils ne posent, en pratique, que peu de problèmes éthiques ; d’autre part et du fait des progrès des techniques médicales permettant les utilisations, les transformations, la destruction et la séparation de ces éléments du corps de la personne[47]. On peut par exemple, prélever et réimplanter des éléments du corps de la personne, on peut se servir des cellules sexuelles (sperme et ovules), on peut intervenir sur les gènes, ou encore on peut mettre à disposition une partie de son corps (l’utérus des mères porteuses par exemple), etc. on retient alors que même des éléments plus importants constituant la personne peuvent entrer dans le commerce dès qu’ils se détachent de la personne[48].

Un constat se dégage ainsi : celui de l’accroissement de l’utilité des éléments et produits du corps humain. Aussi, leur recueil et leur utilisation sont soumis au droit commun, en ce sens qu’ils peuvent faire l’objet de conventions aussi bien à titre gratuit qu’à titre onéreux[49]. On en arrive alors à se demander s’il est acceptable que se constitue autour d’eux un marché et que ces éléments traditionnellement « hors commerce »[50], du fait de leur lien avec la personne, deviennent des objets ordinaires du commerce juridique. Si, aux termes de l’article 16-5 du Code civil, « les conventions ayant pour effet de conférer une valeur patrimoniale au corps humain, à ses éléments ou à ses produits sont nulles », il est de plus en plus aisé de noter que ce principe ne tient plus qu’à un fil. Certes, la réification apparaît encore dans ce cas à l’état de risque, mais l’attraction du marché est grande, ainsi que la pression de droits étrangers statuant en sens contraire[51]. Si les législateurs, par les lois bioéthiques, interdisent toute patrimonialisation des organes et du sang, des rémunérations indirectes portant sur eux et le fait même que l’on puisse en disposer à titre gratuit font naître des doutes sur l’absolu du caractère extrapatrimonial[52]. Le doute est renforcé par le développement de la traite des êtres humains aux fins de prélèvement d’organes. Par exemple, en Afrique du Nord et de l’Ouest, les données montrent que les personnes impliquées dans ce type de criminalité entretiennent le plus souvent des liens étroits avec le secteur médical[53]. Ce phénomène, qui n’est pas juridiquement admis[54], met en évidence l’intérêt économique que les acteurs qui y sont impliqués peuvent en retirer. C’est une manifestation concrète de la forte commercialisation des organes humains les plus vitaux. Ce qu’il est surtout à craindre, c’est que le phénomène devienne de plus en plus incontrôlable par le Droit qui n’aura, à moyen ou à long terme, d’autres alternatives que de l’admettre en l’encadrant plutôt qu’en l’interdisant.

Le constat existe davantage que le droit ne semble même plus résister dans le maintien de l’extrapatrimonialité des droits de la personnalité, lorsque l’on bascule des droits rattachés à l’intégrité physique vers les droits rattachés à l’intégrité morale de la personne.

2- Les droits rattachés à l’intégrité morale

La commercialité comme l’insaisissabilité d’un droit ou d’un bien est soumise à la politique législative d’un système juridique donné[55]. Partant, si la saisissabilité qu’il faut qualifier d’absolue, permet de déterminer la patrimonialité d’un droit ou d’un bien, l’insaisissabilité ou l’extrapatrimonialité requiert une intervention législative[56]. Un principe en est tiré, à savoir qu’il n’y a « pas d’insaisissabilité sans loi »[57]. On comprend alors pourquoi, de longue date, certaines personnes, notamment parce qu’elles étaient connues, voulaient céder à d’autres le droit d’utiliser leur nom, leur voix, leur image, etc. Certains professionnels libéraux, entendant également vendre la confiance inspirée chez leurs clients ou patients par leurs compétences, se sont heurtés au fait que le droit maintenait un principe de non-patrimonialité[58]. Il en était ainsi, car ces éléments, en tant que composantes de la personne, ne pouvaient tomber dans le domaine des choses et devenir des objets de commerce. Or, ce n’est plus le cas aujourd’hui où il existe de multiples régimes en fonction des éléments considérés. Une tendance se dégage, à savoir que nombreux d’entre eux intègrent de plus en plus le commerce juridique. L’usage d’un nom peut ainsi être cédé à une entreprise[59], ainsi que celui d’éléments de la vie privée[60]. De plus, l’image d’une personne peut désormais faire l’objet d’un contrat de cession de droit commun[61]. Enfin, dernière évolution marquante, un professionnel libéral peut « céder » sa clientèle et faire en sorte que la confiance placée en lui se reporte sur son successeur[62]. Cette évolution a été progressivement opérée dans la jurisprudence de la Cour de cassation française. Dans un arrêt du 7 février 1990, la Cour de cassation a censuré une Cour d’appel pour avoir validé la cession de clientèle d’un chirurgien-dentiste. Après avoir affirmé que « lorsque l’obligation d’une partie est dépourvue d’objet, l’engagement du cocontractant est nul, faute de cause », la première chambre civile affirme que « les malades jouissant d’une liberté absolue de choix de leur médecin ou dentiste, leur ” clientèle “, attachée exclusivement et de façon toujours précaire à la personne de ce praticien, est hors du commerce et ne peut faire l’objet d’une convention »[63]. Pour la Haute juridiction, la convention conclue en l’espèce encourait dès lors la nullité. Mais, malgré l’interdiction qui frappait les cessions de clientèles civiles, la Cour de cassation a admis, en parallèle, qu’un professionnel exerçant une activité libérale puisse conclure une convention par laquelle il s’engage envers son successeur à lui présenter sa clientèle[64]. Ainsi, par exemple, dans un arrêt du 7 juin 1995, la Cour de cassation a décidé que « si la clientèle d’un médecin ou d’un chirurgien-dentiste n’est pas dans le commerce, le droit, pour ce médecin ou ce chirurgien-dentiste, de présenter un confrère à sa clientèle, constitue un droit patrimonial qui peut faire l’objet d’une convention régie par le droit privé »[65]. Le chemin était ainsi balisé pour la reconnaissance de la licéité des cessions de clientèles civiles. C’est ce qu’a consacré l’arrêt du 7 novembre 2000 dans lequel la Cour de cassation a affirmé que « si la cession de la clientèle médicale, à l’occasion de la constitution ou de la cession d’un fonds libéral d’exercice de la profession, n’est pas illicite, c’est à la condition que soit sauvegardée la liberté de choix du patient ; qu’à cet égard, la cour d’appel ayant souverainement retenu, en l’espèce, cette liberté de choix n’était pas respectée »[66]. Comme s’accordent à le dire les auteurs, cela revenait, en réalité, à admettre indirectement la licéité des cessions de clientèles civiles[67]. Les arrêts ultérieurs de la Cour de cassation ont confirmé cette possibilité de céder les clientèles civiles[68].

Ces mutations paraissent définitivement acquises, mais l’on ne peut toutefois s’abstenir d’en rechercher des explications. Il existe, en effet, des mouvements entre le patrimonial et l’extrapatrimonial[69]. La créance de réparation est, par exemple, saisissable alors qu’elle tend à remplacer une chose qui ne l’est pas, notamment lorsqu’il s’agit d’un dommage corporel. Aussi, le corps humain est-il une source de biens patrimoniaux sans en être un. On s’en rend d’ailleurs compte avec la force de travail qui est la première valeur que le corps produit et qui est monnayable[70]. C’est donc un bien, mais il est insaisissable puisque l’esclavage est désormais interdit. En revanche, la contrepartie du travail, le salaire, est (au moins en partie) saisissable. Il en va de même pour l’image, le nom ou la voix, voire la clientèle civile qui, s’ils sont transmissibles aux héritiers, demeurent insaisissables. Leur équivalent monétaire, en revanche, les revenus qui sont tirés de leur exploitation, sont des sommes qui n’ont aucune raison d’être exclues du patrimoine. Rien ne s’y oppose techniquement à partir du moment où ces biens sont exclus du patrimoine en raison de leur rattachement à la personne. Une fois vendus, ces biens sont remplacés par des sommes et puisqu’ils sont dépourvus de ce rattachement, il n’y a plus aucune raison de les exclure du patrimoine. C’est en ce sens que les auteurs qui ont proposé de retenir la double nature des éléments du corps humain avaient une intuition qu’on peut juger juste, dans l’approche des biens extrapatrimoniaux[71]. Ce raisonnement permet légitimement d’expliquer pourquoi certains biens sont cessibles (donc intégrés dans le commerce juridique) sans pour autant être saisissables par les créanciers. On pense ainsi au nom, à l’image, à la voix, aux informations sur la vie privée, mais également aux clientèles civiles[72] et au droit moral de l’auteur sur son œuvre. À propos du droit à la vie privée[73], par exemple, on estime que la mesure de l’extrapatrimonialité réside dans l’indisponibilité de la vie privée et du droit extrapatrimonial protecteur. Alors, à partir du moment où la protection de la personnalité est assurée, la liberté individuelle peut reprendre le dessus, et l’ajout d’un second droit subjectif de nature patrimoniale demeure théoriquement possible[74].

Ces mutations étendues des droits extrapatrimoniaux en droits patrimoniaux sont déterminées par la prédominance de la dimension économique qui apparaît diversement. La pécuniarité de ces droits est prédominante, voire déterminante.

B. Une pécuniarité déterminante

Les éléments d’actif du patrimoine se ramènent tous, en qualité de biens, à l’idée commune d’une valeur pécuniaire, c’est-à-dire qu’ils sont susceptibles de se remplacer les uns par les autres[75]. Peut-on dire la même chose en ce qui concerne les droits extrapatrimoniaux, quand bien même ceux-ci peuvent prendre une valeur pécuniaire ? La réponse peut, sans être péremptoire, être affirmative. Il est, en effet, constant que les droits de la personnalité ont, pour la plupart, un caractère immatériel. Lorsque l’on fait alors le parallèle avec la définition du bien, on découvre que les limites rencontrées par la présentation du bien comme le reflet juridique d’une chose matérielle et plus généralement l’association entre le bien et le monde physique de la matière ressurgissent[76]. Par référence alors à la fiction juridique ayant conduit à la définition du bien par le monde des personnes et de l’économie, on peut identifier une composante économique, à savoir l’élément valeur (1). Cette valeur économique identifiée doit pouvoir rendre possible la réservation (2) du droit (extrapatrimonial) qui en est la composante juridique.

1- L’identification d’une valeur économique

Par principe, un rapport d’antagonisme existe entre les valeurs morales qui sous-tendent, par nature, les droits de la personnalité et les préoccupations économiques. Or, de façon réaliste, ce sont ces dernières qui déterminent le régime de ces droits. De la sorte, tout élément que les personnes regardent avec désir et intérêt, qu’elles considèrent comme utile, qu’elles envisagent comme une valeur[77], a vocation à être qualifié de bien. La valeur apte à constituer un bien doit non seulement exister, mais elle doit également s’accompagner d’une aptitude à circuler, à être l’objet d’échange. Un accent particulier est mis sur l’accessibilité à l’échange, c’est-à-dire sur la capacité de l’élément de valeur à circuler[78]. Cette capacité peut même être décomposée en une accessibilité matérielle – l’élément de valeur doit pouvoir se détacher de la personne et ne pas lui être lié par une exclusivité qui le rende intransmissible à autrui (on vise notamment le corps humain) – et en une accessibilité juridique[79], au sens où la circulation de cet élément doit être admise par le droit, ce qui ne fut pas le cas pendant longtemps, des clientèles civiles par exemple[80]. La valeur économique des droits extrapatrimoniaux se retrouvera alors premièrement dans la possibilité de transiger sur ces droits ou plutôt sur certains d’eux seulement. À l’égard de ces droits, le droit admet l’octroi d’une valeur, autrement dit leur patrimonialité, mais il fait obstacle à leur circulation juridique. Ils ne peuvent pas faire l’objet d’une cession, encore moins d’un acte juridique permettant la circulation, comme une saisie, alors que le principe général est en sens contraire[81]. Ils seraient touchés par une extra-commercialité[82].

En second lieu, cette valeur économique apparaît dans les sanctions du non-respect de ces droits, qu’il s’agisse des droits attachés à l’intégrité physique ou des droits attachés à l’intégrité morale. La violation du droit à l’intégrité physique fait naître une responsabilité, notamment par le jeu de la responsabilité civile au profit des victimes de dommages corporels[83]. Celle-ci emporte obligation de réparer le préjudice résultant soit de l’inexécution d’un contrat, soit de la violation du devoir général de ne causer aucun dommage à autrui[84]. Le législateur gabonais est, de ce point de vue, assez explicite puisqu’aux termes de l’article 92 du Code civil, « toute atteinte illicite à la personnalité donne à celui qui la subit le droit de demander qu’il y soit mis fin ; les tribunaux peuvent, en outre, lui accorder des dommages-intérêts ».  Plus particulièrement encore, une loi camerounaise du 22 décembre 2003 relative à la transfusion sanguine prévoit que le donneur peut obtenir réparation du préjudice subi des suites d’un prélèvement[85]. Il va sans dire que le corps humain, ses éléments et produits, peuvent, dans cette hypothèse, prendre une valeur monétaire en cas de dommage en raison du principe de l’indemnisation[86]. Dans ce sens, les droits africains rappellent que le préjudice est en principe réparé par équivalence en allouant à la victime des dommages-intérêts[87]. Sur le plan moral, le droit au respect de la vie privée et familiale, le droit au respect de l’image, comme le droit au respect de la confidentialité, sont civilement sanctionnés. Les règles de droit commun de la responsabilité délictuelle permettent toujours d’assurer la protection de la vie privée de la personne[88].

Quoique pertinente, la détermination d’une valeur économique dans des droits extrapatrimoniaux est critiquable. Il en résulte par exemple que, la sanction de 1’appropriation de la valeur économique d’un attribut de la personnalité, fondée sur le droit extrapatrimonial, ne peut se faire sans un risque de dénaturation de celui-ci, en déguisant la lésion d’un intérêt patrimonial sous prétexte d’une atteinte à la personnalité. Or, au-delà de l’artifice, c’est la conception même du droit extrapatrimonial de la personnalité, dans ses fondements juridiques et philosophiques, qui est directement remise en cause. Les considérations morales liées à la défense de la personnalité sont, en effet, radicalement inconciliables avec la nature économique des intérêts en jeu. Moins que la gêne que l’on peut éprouver à travestir la véritable nature de l’intérêt défendu, c’est la crainte de détourner le droit de la personnalité de ses assises et de réduire la valorisation de la dignité humaine à des questions d’argent qui devrait conduire à refuser de fonder sur ce droit la réparation d’un préjudice purement économique. En s’y risquant, il ne faut pas douter que les considérations marchandes présideront également, tôt ou tard, à la détermination du régime du droit de la personnalité. Le droit patrimonial de la personnalité existera en dépit de tout, mais au prix de la dilution progressive du droit extrapatrimonial. Une illustration de cette dilution se trouve dans les actions visant à réparer le dommage moral qui doit appartenir à la victime seule[89]. Pour certains, ce droit serait rangé dans la catégorie des droits patrimoniaux ayant un caractère moral prédominant[90]. La Cour de cassation française l’a bien précisé en affirmant qu’il existe des droits et actions dont l’exercice est subordonné à des considérations personnelles d’ordre moral ou familial[91]. Cependant, comme d’autres, l’on est tenté d’objecter qu’il s’agit d’une action extrapatrimoniale pour atteinte à la personnalité dont le droit à la réparation d’un préjudice moral naît dans le patrimoine de la victime[92]. La controverse existe aussi s’agissant du cas de l’action en réparation pour atteinte à l’intégrité physique. L’idée première est qu’il s’agit là d’une réparation n’impliquant aucune appréciation morale, comparable à un dommage causé aux biens. Le cas échéant, le dédommagement du préjudice corporel serait ainsi dominé par des considérations pécuniaires. C’est ce qui fait dire que le dédommagement devrait pouvoir être mis en œuvre par la voie oblique[93]. Mais, une fois encore, il faut être réservé, car, l’atteinte à l’intégrité physique ne reste généralement pas sans laisser des conséquences d’ordre moral que la victime cherche parfois à protéger.

2- La possibilité de réservation du droit

La découverte d’une valeur économique dans les droits extrapatrimoniaux implique-t-elle aussi, comme cela fût admis par fiction juridique, pour les biens incorporels ordinaires, une possibilité de réservation de ceux-ci ? Il est de principe que pour qu’un élément représentant une valeur devienne un bien, une seconde condition tient à la reconnaissance d’un lien juridique entre cet élément et une personne[94]. Le droit doit accepter de donner à un titulaire le pouvoir de réserver cette valeur et, éventuellement, de la commercialiser[95]. Il le fait par l’intermédiaire d’un titre ou d’un droit qu’il reconnaît sur la chose ou la valeur. La réservation a une importance qui ne devrait pas faire l’objet de grandes discussions. Trois raisons essentielles peuvent servir à reconnaitre à une personne renommée un monopole sur l’exploitation de la valeur de sa personnalité[96]. Premièrement, il n’est pas déraisonnable de considérer que la personne qui a donné une valeur commerciale à son image ou à son nom, ou encore celui qui a constitué une clientèle civile importante par l’activité l’ayant rendu notoire ou célèbre devrait pouvoir en recueillir ouvertement et personnellement le profit[97]. On ne peut radicalement objecter que la célébrité dont il se prévaut n’est pas la conséquence des efforts qu’il a fournis sur une période de temps plus ou moins étendue, peu importe que ces efforts soient intellectuels ou physiques. Deuxièmement, la reconnaissance d’une exclusivité de la personne sur l’utilisation publicitaire et commerciale de sa personnalité est nécessaire pour en optimiser le pouvoir attractif et augmenter ainsi le bénéfice susceptible d’être retiré par chacun de ceux qui acquièrent le droit de l’exploiter à des fins intéressantes. Le moyen d’assurer la pérennité de cette attractivité et d’accroître le bénéfice serait alors de permettre la réservation de cette valeur au profit de celui qui l’a acquise. Enfin, la reconnaissance d’un droit de la personne renommée de contrôler l’exploitation de sa notoriété[98] n’est pas sans incidence sur la protection des consommateurs dans la mesure où, à défaut, ceux-ci pourraient être induits en erreur par des publicités utilisant l’image ou le nom d’une célébrité pour promouvoir des produits ou des services que celle-ci n’aurait en réalité jamais accepté de cautionner.

Si l’admission de la valeur économique des droits extrapatrimoniaux admet de plus en plus peu de discussions, il en serait autrement de l’admission de la réservation de cette valeur au regard de son attachement à la personne. On peut y déceler un élément d’immoralité dans l’entérinement par le droit de cette valeur. La question se pose alors de savoir s’il serait concevable de procéder de la même manière que les biens ordinaires. La particularité de ces droits, leur intimité avec la personne qui en réclame la protection, réfère plutôt à une approche du bien selon laquelle celui-ci serait constitué par la seule valeur et non par le droit entérinant cette dernière. Le cas échéant, il n’y aurait plus lieu d’assimiler droit et bien et de conditionner la reconnaissance de ce droit à une appropriation ou à une réservation.

Au-delà des évolutions, l’idée persiste et ne doit pas être mise de côté que le droit extrapatrimonial est fondamentalement inadapté pour pourvoir l’exploitation mercantile de la personnalité. D’une part, il ne peut, par nature, ni être cédé ni être concédé. Il en résulte notamment que, en cas de conflit entre le licencié autorisé à exploiter la notoriété d’un attribut de la personnalité et un tiers cherchant lui-même à en tirer profit, le premier est aujourd’hui sans qualité pour faire cesser l’utilisation d’un nom ou d’une image qui, par hypothèse, n’est pas sien. Aussi, est-il admis dans la catégorie des biens des éléments de valeur qui n’ont pas vocation à circuler et autour desquels ne se constitue pas de marché, tels certains droits sociaux ou des droits sur une succession. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme est évocatrice à cet effet. Selon cette juridiction, la notion de bien ne se limite pas à la propriété des biens corporels[99] mais embrasse toute valeur patrimoniale, tout intérêt économique substantiel[100], corporel ou incorporel[101]. En conséquence, ont pu être qualifiés de biens une clientèle[102], des droits sociaux[103], des droits sur des œuvres de l’esprit[104] (sans aucune distinction, ce qui peut surprendre, entre les attributs patrimoniaux et extrapatrimoniaux) plus généralement tous droits et intérêts constituant des actifs comme des créances[105] ou des intérêts économiques liés à une activité économique donnée. Aussi, des sûretés[106]ou des droits sur une succession[107] représenteraient-ils un intérêt économique. Il s’en infère que l’idée de valeur se trouve traduite par celle d’intérêt économique substantiel et c’est ce dernier qui constitue le bien et se trouve protégé en tant que tel, sans plus de préoccupations pour la matière[108].

Il faut finalement admettre, avec certains, que ces droits que d’autres qualifient de droits dérivés de la personnalité[109] sont des droits patrimoniaux, leur objet immédiat étant de procurer à leur titulaire un enrichissement pécuniaire. Comme tels, ils sont évaluables en argent, même si c’est à titre forfaitaire, et figurent dans le patrimoine. L’une des conséquences immédiates à en tirer, c’est que le droit dérivé de la personnalité peut recevoir la qualification de monopole d’exploitation. Cette qualification ne permet cependant pas d’aller jusqu’à permettre également l’admission ni de la propriété générale, encore moins celle de la propriété intellectuelle. En effet, la propriété intellectuelle se fonde sur un acte de création intellectuelle[110]. Elle n’inclut que des créations originales ou nouvelles[111], et ne devrait donc pas s’étendre aux biens qui ne procèdent pas àproprement parler d’un acte créatif. Il est vrai que, plus généralement, la propriété intellectuelle est entendue comme portant sur tous les droits qui procèdent à des degrés variables d’une activité de l’intelligence et se caractérisent par une exclusivité[112]. Envisagée comme telle, elle pourrait donc intégrer, les droits dérivés de la personnalité, à la condition que ces derniers ne soient pas toujours liés à une activité intellectuelle de celui qui en est titulaire.

Le mouvement observé au niveau des droit extrapatrimoniaux se manifestent en sens inverse, avec les droits patrimoniaux qui, à leur tour, tendent à s’extrapatrimonialiser, mais de façon mesurée dans ce cas.

II. L’extrapatrimonialisation mesurée des droits patrimoniaux

La nécessité de tenir compte du phénomène personnel dans les conflits d’intérêts du monde juridique est, consciemment ou inconsciemment, présente dans tous les esprits[113]. Ainsi, comme dans un « jeu d’échelle musicale », tandis que des droits extrapatrimoniaux se patrimonialisent, des droits patrimoniaux quant à eux tendent à acquérir un caractère extrapatrimonial. L’extrapatrimonial était d’ailleurs déjà envisagé comme une espèce spéciale du bien qui en constitue le genre[114]. Dans le prolongement de cette vision des choses, l’hypothèse existe qu’une partie des droits patrimoniaux est en train de se transformer sous l’influence grandissante des prérogatives extrapatrimoniales des individus[115]. Ce faisant, on découvre des droits patrimoniaux de la personnalité[116] (A). L’existence de ceux-ci est confortée par le fait qu’ils empruntent le régime des droits extrapatrimoniaux (B).

A. La découverte de droits patrimoniaux de la personnalité

Les droits patrimoniaux à caractère personnel sont tous les droits évaluables en argent, même s’ils ne sont pas soumis aux règles qui marquent la pleine patrimonialité. Ils sont les droits évaluables en argent dont l’objet ou les besoins et intérêts qu’ils protègent sont le fait de leur titulaire[117]. Il s’agit, selon certains, d’une « espèce de droits voisine, mais néanmoins originale », « une catégorie nouvelle »[118], ce qui est discutable[119]. Cette extrapatrimonialisation peut être envisagée d’un point de vue évolutif, s’inscrivant principalement dans le cadre du XXème siècle, mais peut également être envisagée dans une perspective statique. La sécrétion nuancée de ces droits (1) cache cependant mal leur véritable nature, car une incertitude est constatée (2).

1- La sécrétion nuancée

Il y a un lien d’intimité profond entre certains droits ou biens, si bien qu’il est difficile de les dissocier de la personne qui en est titulaire. La sécrétion de ces droits patrimoniaux à dimensions extrapatrimoniales tient soit de l’affectation, soit de la création du bien patrimonial. Mais, peu importe la source de leur existence, leur caractère patrimonial ne laisse, en principe, pas place à de grandes discussions. D’ordinaire, certains biens qui paraissent également tout à fait ordinaires ne répondent pas totalement aux mécanismes de circulation juridique du droit commun. Leur propriétaire ne peut pas toujours en user et en disposer comme il l’entend, contrairement au principe de libre disposition par chacun de ses biens, posé par l’article 537 du Code civil qui renvoie à la libre cessibilité et à la libre saisissabilité. Ceci est justifié par le fait qu’ils sont transcendés par leur destination[120]. En dehors des biens destinés au service d’une valeur d’intérêt général qui s’éloignent un peu de la préoccupation actuelle, on rencontre les biens qui entretiennent un lien avec la personne qui les détient, mais encore ceux qui participent à la dignité de cette dernière. Ce sont en effet des éléments ordinaires qui devraient pouvoir circuler selon les règles du droit commun et se couler dans la summa division traditionnelle qui les oppose à la personne[121]. Pourtant, leur attachement à la personne ou à sa famille les dote d’un régime particulier. Ce sont des biens a priori personnels, mais dont le lien avec la personne de leur propriétaire influence le régime. Ces biens se personnifient au sens où leur participation à l’identité, à la dignité ou au respect de la vie privée et familiale de la personne implique qu’ils en deviennent indissociables[122]. Ceci participe de la nécessité de conserver l’« utilité personnelle » de ces biens.

En outre, à l’instar de ces biens « personnels », certains parmi les plus « économiques » sont étroitement liés à la personne de leur propriétaire, de sorte que la distinction des biens et des personnes se fausse quelque peu et qu’il est difficile de les traiter comme des biens ordinaires. Néanmoins, et à la différence des biens personnels, les biens dont il est question ici ont un rôle tout à fait particulier en ce qu’ils conditionnent le respect de la personne et son insertion sociale immédiate dans la société dans laquelle elle vit. C’est en quoi cette catégorie renferme des biens qui pourraient être qualifiés « de dignité ». Rentrent dans cette catégorie, les pensions et créances à caractère alimentaire, ainsi qu’une fraction du salaire et une partie des sommes en banque, considérées et protégées comme des « restes à vivre ». Ainsi en est-il, également, des biens mobiliers nécessaires à la vie et au travail de la personne et de sa famille, des objets indispensables aux personnes handicapées ou destinés aux soins des malades. Plus récents encore, les droits sur l’immeuble d’habitation, qu’ils prennent la forme d’un droit de propriété, d’un droit au bail, d’un usufruit ou d’un droit d’usage et d’habitation, ainsi que les meubles meublants. Alors que l’immeuble servant de logement était considéré comme un bien purement économique, il est aujourd’hui regardé comme la condition de la dignité de la personne et de sa famille, de leur insertion sociale, ainsi que du plein épanouissement de leur vie privée et familiale[123].

Par ailleurs, par le mécanisme de la création, les œuvres artistiques et littéraires, par leur accessibilité à l’échange, sont des biens patrimoniaux, mais leur caractère particulier entraîne l’application de règles spécifiques[124]. Aussi, les parts sociales revêtent-elles une certaine dimension extrapatrimoniale, qui conduit de la même manière à mettre en œuvre un régime original. Avant même le régime, le problème se pose de la nature de ces droits sur laquelle il règne une incertitude.

2- La nature incertaine

La confusion jugée infondée par certains[125], entre le patrimonial et les biens d’un côté, et entre la personne et l’extrapatrimonial de l’autre, invite à redéfinir la distinction entre droits patrimoniaux et droits extrapatrimoniaux. D’autres se sont ainsi intéressés à la question des « biens extrapatrimoniaux » comme catégorie de biens en dehors du patrimoine[126]. Mais, même appréhendés ainsi, ces biens ne renseignent pas clairement sur leur véritable nature. Si l’on convient qu’il s’agit de biens, on serait tenté de retenir qu’ils sont susceptibles d’appropriation. Le cas échéant, il n’y aurait aucun obstacle à leur cession, à leur transmission, voire à leur saisie par les tiers. Mais, l’aspect extrapatrimonial qui s’y ajoute ferait échec à cette considération. À l’analyse, ce sont des droits qui sont appelés à demeurer instables entre les deux catégories. Pendant qu’ils seront à l’état de repos, c’est-à-dire dans le contexte normal de leur utilisation, on les considérera comme des droits extrapatrimoniaux. Mais, lorsque des incidents surviendraient quant à leur exploitation, ou lorsqu’ils viendront à subir d’atteintes, leur nature première, autrement dit leur caractère pécuniaire reparaîtra, à travers les retombées économiques qui découleraient de la réparation à laquelle seront appelés les auteurs desdites atteintes.

Cette instabilité, promise et constatée depuis un certain temps déjà, permet-elle pour autant de penser à l’abandon de la summa divisio et d’adopter une nouvelle classification des droits patrimoniaux et extrapatrimoniaux ? C’est la solution, certes pas dénuée d’intérêt, mais radicale, que préconisent certains[127]. En effet, la division ou classification est, en droit, un instrument principalement technique qui fait entrer les réalités dans des cadres destinés à en préciser les contours et à rendre plus aisée et plus sûre l’adaptation de la discipline juridique à la vie[128]. Si donc une division préexistante ne remplit plus ces critères, ne faut-il pas songer à la remplacer par une nouvelle qui en faciliterait la compréhension ? Or, il est relevé que la classification des droits patrimoniaux et des droits extrapatrimoniaux n’indique pas le régime juridique du droit dont la loi n’a pas précisé la nature ou les caractères[129]. En outre, « les droits attachés à la personne » sont venus interférer dans la compréhension actuelle de la distinction entre droits patrimoniaux et droits extrapatrimoniaux[130], soulignant à leur tour la fragilité et peut-être l’inutilité de cette distinction[131] qui ne s’avère que descriptive. Par exemple, si le droit reste sous le pouvoir exclusif du titulaire, ce n’est pas parce qu’il est extrapatrimonial (le versant patrimonial étant lui-même concerné), mais parce qu’il est attaché à sa personne. La conséquence en est que tout est « remis en question ; tout perd son originalité propre pour se dissoudre dans l’imprécision »[132]. Ce constat est accentué par l’identité du régime des droits patrimoniaux de la personnalité avec celui les droits extrapatrimoniaux. En d’autres termes, il s’agit d’un régime d’emprunt.

B. L’emprunt du régime des droit extrapatrimoniaux

 On peut aisément admettre qu’il existe, aujourd’hui, à la frontière de la personne et du patrimoine, des attributs de la première qui, bien que susceptibles d’une appréciation en argent, ne sont pas inclus dans le second[133]. Parmi les biens, on distingue, en effet, les « biens personnes ou innés » et les « biens extérieurs ou acquis ». Les biens innés se confondent avec l’existence même de la personne titulaire de droits sur eux[134]. De la sorte, le régime applicable aux droits extrapatrimoniaux et aux droits patrimoniaux exclusivement attachés à la personne est rigoureusement le même[135]. Une similarité dans les solutions applicables à l’ensemble des droits concernés conduit à remettre en cause la pertinence de la distinction. On retient que si le régime de protection des droits patrimoniaux de la personnalité est affirmé (1), leur transmissibilité reste incertaine (2).

1- Un régime de protection affirmé

L’extrapatrimonialité est utilisée afin de garantir certains objectifs, notamment de protection. En cela, les droits extrapatrimoniaux ne sont pas une véritable catégorie juridique au sens technique[136]. L’objectif traditionnellement prêté à la catégorisation, visant à appliquer un régime uniforme aux biens relevant de la catégorie, ne peut en effet être atteint[137]. La distinction du patrimonial et de l’extrapatrimonial est ainsi censée conduire à l’application de règles juridiques précises et protectrices : inaliénabilité, intransmissibilité, insaisissabilité, imprescriptibilité. Cela dit, la classification extrapatrimoniale ne viserait pas seulement l’application d’un régime uniforme, mais constitue bien plus un moyen de protéger certaines prérogatives juridiques de l’individu apparaissant trop liées à sa personnalité et à son être pour subir les conséquences traditionnellement prêtées aux droits patrimoniaux[138]. Refusant la commercialisation de ces valeurs, rejetant leur appréhension ou leur mise en œuvre par les tiers et notamment les créanciers, la doctrine a alors opté pour une solution radicale consistant à extraire l’ensemble de ces valeurs du patrimoine de l’individu. C’est en cela que ceux qui jugent inopportune ou inutile la catégorie des droits extrapatrimoniaux font fausse route.  Par exemple, on décèle un intérêt aux droits extrapatrimoniaux en ce que ces droits sont soustraits au pouvoir du liquidateur. Les actions en réparation des dommages moraux résultant d’une atteinte à la personnalité du titulaire (vie privée, nom, image…) doivent rester sous le pouvoir exclusif du titulaire[139], de même que l’ensemble des droits et actions extrapatrimoniaux[140].

Le régime de protection des droits patrimoniaux ayant un caractère personnel est alors un régime d’emprunt qui confère la même force à ces droits. Parce que les droits extrapatrimoniaux sont inaliénables, insaisissables, les droits patrimoniaux à caractère personnel seront également inaliénables, insaisissables.

L’on ne doit, cependant, pas se limiter à l’affirmation de la finalité protectrice de l’extrapatrimonialisation des droits patrimoniaux. Il faut encore savoir par quel moyen cette fonction protectrice peut être atteinte. Ces objectifs sont-ils remplis par la distinction du titre et de la finance ? La réponse affirmative s’impose dans la mesure où, sans recourir à la notion d’extrapatrimonialité, la simple reconnaissance d’un titre attaché à la personne du titulaire permet de laisser à celui-ci le pouvoir discrétionnaire de mettre ou non en œuvre son droit[141]. Le titulaire est alors protégé contre les tiers. Aussi, comme pour les droits extrapatrimoniaux, cette protection ne s’étend pas au-delà de sa mise en œuvre quant aux conséquences pécuniaires (ou plus généralement juridiques) en résultant. L’assimilation des actuels droits extrapatrimoniaux aux droits patrimoniaux attachés à la personne ne pose donc aucun problème si la protection recherchée est assurée grâce à la notion de titre[142]. Cette protection assurée, la transmissibilité des droits patrimoniaux de la personnalité devient incertaine.

2- Une transmissibilité incertaine

Si les droits patrimoniaux à caractère personnel empruntent le régime des droits extrapatrimoniaux, la logique voudrait que, comme ces derniers, ils soient frappés de la règle de l’intransmissibilité. Le propre des droits extrapatrimoniaux, c’est qu’ils ne peuvent par nature circuler librement, sauf autorisation expresse de la loi. Le droit est, en effet, un pouvoir d’agir de la personne, un pouvoir, une puissance d’agir de la personne. C’est, tant qu’il dure, une partie de la personne même, ou, mieux peut-être, une modalité de la personne. Le pouvoir d’agir d’une personne ne peut pas, à proprement parler, lui survivre, ni se séparer d’elle et passer dans une autre personne. Si on écarte les voiles du langage et qu’on accepte de regarder à nu les réalités, il n’y aurait pas de droits transmissibles et pas non plus de transmission de droits. C’est à ce régime qu’empruntent les droits attachés aux biens personnels et aux biens de dignité, du fait de leur rattachement à la personne qui les détient. Quelle utilité aurait pour une personne un bien qui entretient une certaine intimité particulière avec une autre ? L’utilité que cette dernière retire du bien peut-elle être partagée avec une autre ? Dans le cadre des relations de couples, le législateur a bien fait œuvre utile en disposant qu’au divorce, chaque époux conserve ses biens personnels ou plutôt intimes. De même, les alliances, les souvenirs de famille, les photos serviraient-ils pareillement d’autres familles que celles qui en étaient dépositaires ? Davantage, en ce qui concerne les biens de la dignité, les droits qu’ils confèrent à leur titulaire ne sont destinés qu’à satisfaire les besoins de ce dernier seul. À quelle fin doit-on envisager leur transmission ? Quel intérêt tirerait une personne « normale » qui récupère les objets qui étaient indispensables à une personne handicapée ou destinée aux soins d’un malade ? Il va sans dire que, même si la loi venait à admettre la transmissibilité des droits patrimoniaux revêtant ce caractère personnel, la réalisation pratique se heurterait à des limites réelles. L’appropriation par une personne d’une chose suppose toujours que celle-ci y trouve une utilité. Manifestement, dans le cas des droits patrimoniaux qui suivent le régime juridique des droits extrapatrimoniaux, on note une incertitude sur l’utilité que peut retirer une personne qui s’en approprierait.

Par ailleurs, le respect de la dignité de l’autre devrait retenir le titulaire d’un droit du genre à entreprendre de le transmettre à celle-ci. Une fois encore, quel avantage une personne handicapée peut-elle prétendre apporter à une personne qui ne l’est pas, en entreprenant de lui transmettre les objets qui ne sont indispensables qu’à elle seule ? La même interrogation intéresse le malade qui veut transmettre ou céder les objets destinés à ses soins.

Finalement, ne peut-on pas retenir que, à l’instar des droits extrapatrimoniaux, parce qu’ils sont rattachés matériellement, juridiquement et symboliquement à la personne juridique, les droits patrimoniaux à caractère personnel ne sont jamais, ou plutôt ne sont pas toujours transmis[143]. Il n’y aurait donc que disparition du lien de titularité d’un côté et naissance d’une nouvelle titularité de l’autre[144]. Cependant, l’incertitude surgit de la précision nuancée selon laquelle le principe n’est pas, d’une part, celui de l’intransmissibilité, non seulement de la catégorie des droits extrapatrimoniaux et des droits patrimoniaux à caractère personnel, mais de l’ensemble des droits et actions attachés à la personne et d’autre part, celui de la transmissibilité absolue, des règles spécifiques pouvant s’appliquer[145]. L’attache à la personne n’entraîne en tout cas pas, de manière dogmatique, l’intransmissibilité des droits qu’elle concerne. Ainsi, si elle paraît impossible du vivant de la personne, la transmissibilité des droits patrimoniaux qui lui sont rattachés devient une évidence. Il est même démontré que la transmissibilité à cause de mort est incontestablement la règle pour les droits extrapatrimoniaux et les droits patrimoniaux à caractère personnel[146].

Conclusion

 A la question de savoir si la fin de « la summa divisio des droits patrimoniaux et des droits extrapatrimoniaux » est pour bientôt, la réponse négative s’impose. Pas que les constats faits du brouillage des frontières entre ces deux catégories soient à négliger. Par exemple, à l’enseignement de Jean Carbonnier selon lequel le droit du patrimoine est l’ensemble que forme le droit des biens avec celui des obligations – en contraste avec les matières extrapatrimoniales (personnes, incapacités, famille)[147] – il a été avancé que cette dichotomie, si chère au Code civil français, mais aussi à celui des États de l’Afrique Noire francophone, anciennement sous la domination française, doit accueillir des nuances que l’apparition de nouveaux biens et surtout de nouvelles considérations a exigé aux catégories juridiques fixées. Le constat d’une convergence entre ces deux sphères, personnelle et réelle, a inspiré la réflexion dans le sens de la recherche du critère qui partage le patrimonial de l’extrapatrimonial[148]. Ce sont, surtout, les droits attachés à la personne qui interfèrent dans la compréhension actuelle de la distinction entre droits patrimoniaux et droits extrapatrimoniaux[149]. Ils révèlent ainsi la fragilité et peut-être l’inutilité de cette distinction[150] qui ne s’avère que descriptive, car, si le droit reste sous le pouvoir exclusif du titulaire, ce n’est pas parce qu’il est extrapatrimonial (le versant patrimonial étant lui-même concerné), mais parce qu’il est attaché à sa personne. Tout est ainsi remis en question, tout perd son originalité propre pour se dissoudre dans l’imprécision[151]. Il est quand même constant qu’aussi bien la patrimonialisation des droits extrapatrimoniaux que l’extrapatrimonialisation des droits patrimoniaux sont aussi fondés que nécessaires. Pas non plus que les « essais de nouvelles classifications des droits privés » soient dénués de tout intérêt. Mais, les limites qui en ont été ressorties invitent à plus de prudence. Ils ne permettraient, en effet, pas d’identifier le critère qui en détermine les contours[152]. Ne serait-il pas judicieux de maintenir la distinction, puis de trouver des formules appropriées pour situer les différents droits dans l’une ou l’autre des catégories. La réponse aux questions suivantes devrait pouvoir y conduire. Premièrement, il faut chercher à savoir à partir de quel moment on pourrait décider que tel droit est tombé dans le patrimoine de son titulaire ou qu’il en est exclu. Cela suppose que la question préalable de savoir où se trouvait ce droit est réglée. Ne peut-on pas, par exemple, envisager, à l’intérieur de chaque catégorie, des droits primaires et des droits dérivés. Le cas échéant, le droit sera dit « primaire » chaque fois qu’il sera reconnu à tous les êtres humains en considération de l’humanité et de la dignité en chacun et s’attachera ainsi sans discrimination à la personnalité per se[153]. II relèverait alors en quelque sorte de la primauté de la personnalité ou encore du premier degré de celle-ci. Quant au droit « dérivé », à la différence du droit « primaire », sa reconnaissance supposerait que la personnalité a acquis une valeur patrimoniale par l’effet de la notoriété du sujet, de sorte que l’on peut considérer qu’il procède, ainsi, d’une dérivation de la personnalité ou d’un second degré de celle-ci[1]. On serait finalement dans le schéma qui invite à considérer ces droits comme dotés d’une double nature, à la fois patrimoniale et extrapatrimoniale[2], avec pour régime juridique dominant celui qu’impose le droit primaire.

[1] Idem.

[2] E. GAILLARD, « La double nature du droit à l’image et ses conséquences en droit positif français », D. 1984, p. 161 et s. Dans une certaine mesure, v. également G. LOISEAU qui propose de retenir l’existence de « droits dérivés », in Le nom objet du contrat, LGDJ, 1997 ; du même auteur, « Typologie des choses hors du commerce », RTD Civ. 2000, p. 47.

[1] M. G. PARDO, La summa divisio des choses et des personnes : séparation, distinction, conjonction, thèse, Toulouse I, 2020.

[2] On trouve une manifestation de la distinction au sein du Code civil dont le livre premier est consacré aux personnes et le livre II aux biens (et aux différentes manières dont on acquiert la propriété).

[3] G. DELAVAQUERIE, « Fiche 1. Introduction La distinction entre les personnes et les biens », in G. DELAVAQUERIE (dir.), Les indispensables du droit des personnes, Ellipses, « Plein Droit », 2017.

[4] Certains ont ainsi pu écrire que l’identification de la dette comme élément du patrimoine serait non seulement erronée, mais surtout infondée, puisque Zachariae, qui a inspiré la théorie, n’a jamais lui-même affirmé que les dettes intégraient le patrimoine. Voir en ce sens, M. XIFARAS, La propriété – Étude de philosophie du droit, 1re éd., PUF, 2004 ; A. SÉRIAUX, « La notion de patrimoine – Brèves notations civilistes sur le verbe avoir », RTD Civ., n° 04, 1994 : « répétons-le, sauf à adopter une perspective comptable, les dettes ne grèvent jamais en principe directement les biens du débiteur. Son patrimoine n’est rien d’autre que ce qu’il possède légitimement et qui pourra ainsi lui servir à acquitter ce qu’il doit personnellement. » ; FR. CHÉNÉDÉ, « La mutation du patrimoine », Gaz. Pal., n°139, 2011 : « Incohérente au regard du droit de gage général, l’introduction du passif dans le patrimoine est donc totalement inutile au regard du droit des successions. » ; D. HIEZ, Etude critique de la notion de patrimoine en droit privé actuel, 1re éd., LGDJ, 2003 : l’auteur regrette « l’insertion de la dette dans le patrimoine » car « par le parallélisme établi entre l’actif et le passif, la doctrine tend implicitement à les mettre sur le même plan, laissant croire que la dette est un bien ».

[5] Ch. AUBRY et Ch. RAU, Cours de droit civil français d’après la méthode de Zachariae, 4ème éd., t. VI, 1873.

[6] R. NERSON, Les droits extrapatrimoniaux, thèse, Lyon, 1939.

[7] Ch. AUBRY et Ch. RAU, Cours de droits civil français d’après la méthode de Zachariae, op. cit. : « Tout en considérant comme des parties intégrantes du patrimoine les actions auxquelles peuvent donner ouverture les lésions causées à de pareils biens, notre Droit n’y comprend cependant pas ces biens eux-mêmes, tant qu’ils n’ont pas éprouvé quelques lésions. ».

[8] V. DAUDET, Les droits et actions attachés à la personne, thèse, Montpellier I, p. 329.

[9] F. HAGE-CHAHINE, « Essai d’une nouvelle classification des droits privés », RTD civ., n° 04, 1982.

[10] Qui sont pour de nombreux auteurs les droits extrapatrimoniaux dans leur nouvelle dénomination. Un débat doctrinal porte en effet sur les rapports qui existent entre droits extrapatrimoniaux et droits de la personnalité ; les droits de la personnalité sont-ils des droits extrapatrimoniaux, sont-ils les droits extrapatrimoniaux ? Pour une identité entre les deux notions : A. DECOCQ, Essai d’une théorie générale des droits sur la personne, thèse, Dijon, 1960 ; R. NERSON, op. cit., n° 3, p. 4. Pour une différenciation posée entre les droits de la personnalité comme le droit au respect de la vie privée et d’autres droits extrapatrimoniaux comme les droits de famille, V. F. HAGE-CHAHINE, loc. cit., p. 707. V. égal. J.-M. BRUGUIERE, « Dans la famille des droits de la personnalité, je voudrais… », D., n° 01, 2011.

[11] J. RAVANAS, « La défense des attributs de la personnalité d’un débiteur en liquidation judiciaire », D., n° 6, 2001.

[12] C’est le droit de la tranquillité. Cf. D. WARREN et L. D. BRANDEIS, « The right to privacy », Havard Law Review, n° 05, 1890.

[13] E. H. PERREAU, « Des droits de la personnalité », RTD civ., 1999.

[14] T. ATANGANA-MALONGUE, Droits africains des personnes : Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Centrafrique, Congo, Côte d’Ivoire, Gabon, Mali, Sénégal et Togo, 1reéd., Bruylant, 2022.

[15] Art. 2 CPF.

[16] Art. 50 à 63 CF.

[17] Art. 5 à 21 CF.

[18] Art. 79 à 92 C. civ.

[19] Art. 1er à 26 CPF.

[20] T. ATANGANA-MALONGUE, ibid., n° 6, p. 1169.

[21] Une « summa divisio » vise à catégoriser différentes notions à un degré au-dessus duquel n’existerait plus aucune autre classification. Elle classe, mais englobe également tous les éléments de l’ensemble ainsi ordonné. La vocation d’une summa divisio consiste à trier, regrouper et, parfois, hiérarchiser les divers éléments d’un ensemble, afin d’appliquer à chacun un régime propre. Voir T. LAKSSIMI, La summa divisio des droits réels et des droits personnels. Étude critique, Thèse, Paris Est, 2016.

[22] P. BOUATHONG, Les universalités de droit : essai d’une théorie générale, thèse, Paris I, 2020.

[23] AUBRY et RAU proposent de confondre bien et valeur. Le patrimoine transforme le bien en valeur, il le remplace. Il y a alors cette idée selon laquelle le bien se réduit à la valeur. Les critères d’utilité et d’extériorité disparaissent alors au profit d’un critère unique : la valeur pécuniaire. Le patrimoine devrait comprendre toutes les choses ayant une telle valeur. La distinction entre l’inné et l’extérieur disparait alors et il n’y a plus lieu de prendre en compte les « biens innés », c’est-à-dire les choses qui sont à la fois extérieures et innées. V. Ch. AUBRY et Ch. RAU, Cours de droit civil français, op. cit. Le critère d’extériorité existait chez leur inspirateur et d’ailleurs repris dans la première édition des auteurs strasbourgeois : Ch. AUBRY et Ch. RAU, Cours de droit civil français, 3e éd., Lagier, 1839 ; et celui de l’utilité était présent dans les éditions ultérieures de leur ouvrage : Ch. AUBRY et Ch. RAU, Cours de droit civil français, éd. Cosse 1843 et 1857, t. II, §168.

[24] FR. ZÉNATI, « Mise en perspective et perspectives de la théorie du patrimoine », RTD Civ., 2003. ; A. DENIZOT, « L’étonnant destin de la théorie du patrimoine », RTD Civ., 2014 ; J. DUBARRY & J.W. FLUMES, « Patrimoine + publicité = responsabilité limitée », RLDC, 2011.

[25] TH. REVET, « La propriété de la personnalité », Gaz. Pal. 2007. Dans le même sens et du même auteur : La force de travail – Etude juridique, Litec 1992. ; v. également A. SÉRIAUX, Répert. Civ. Dalloz, V° Patrimoine, n° 20 : « on voit ainsi que ce n’est pas parce qu’un élément du corps ou le corps tout entier fait l’objet de transactions mercantiles que pour autant il devient un bien patrimonial. » ; R. LIBCHABER, Répert. Civ. Dalloz, V° Bien, n° 79 et s. ; L. MARINO, Droit de la propriété intellectuelle, PUF 2013 ; J. ANTIPPAS, « Propos dissidents sur les droits dits patrimoniaux de la personnalité », RTD Com., n° 01, 2012 ; J. M. BRUGUIÈRE, « Droits ‟patrimoniaux” de la personnalité », RTD Civ., n° 01, 2016.

[26] J. LAURENT, La propriété des droits, LGDJ, 2012 ; N. JULLIAN, Les cessions de patrimoine, thèse, Rennes I, 2016. D’autres auteurs retiennent la même idée, quoiqu’ils parlent d’accessibilité à l’échange : A. SÉRIAUX, « La notion de patrimoine – Brèves notations civilistes sur le verbe avoir », RTD Civ., n° 2, 1994 ; M. FABRE-MAGNAN, « Propriété, patrimoine et lien social », RTD Civ., n° 03, 1997.

[27] Idem.

[28] Muriel FABRE-MAGNAN exclut ces biens du patrimoine en considérant que cette « accessibilité à l’échange » doit être non seulement matérielle, mais également juridique. En d’autres termes, le droit objectif doit admettre leur entrée dans le commerce juridique pour que naisse un lien de propriété d’une part, une appartenance patrimoniale d’autre part : M. FABRE-MAGNAN, art. préc.

[29] En ce sens, W. DROSS, « Une approche structurale de la propriété », RTD Civ., n°30, 2012.

[30] M. Fabre-Magnan, L’institution de la liberté, 2e éd., Puf, 2023.

[31] S. ETOA, « Corps humain et liberté », Cahiers de la recherche sur les droits fondamentaux, n° 15, 2017.

[32] Voir notamment les impressionnants travaux de F. HAGE-CHAHINE, « Essai d’une nouvelle classification des droits privés », RTD civ., n° 04, 1982 ; T. LAKSSIMI, op. cit..

[33] V. DAUDET, Les droits et actions attachés à la personne, th. Université Montpellier I, 457 p.

[34] P. BOUATHONG, op. cit., 580 p.

[35] F. HAGE-CHAHINE, « Essai d’une nouvelle classification des droits privés », RTD civ., n° 4, 1982.

[36] V. DAUDET, op. cit., n° 522, p. 328.

[37] Certains auteurs n’ont pas hésité à identifier les droits extrapatrimoniaux aux droits de la personnalité : v. H. E. PERREAU, « Des droits de la personnalité », RTD Civ., 1909 ; R. NERSON, Les droits extrapatrimoniaux, thèse, Lyon, 1939 ; A. DECOCQ, op. cit. ; P. KAYSER, « Les droits de la personnalité, aspects théoriques et pratiques », RTD Civ., 1971.

[38] G. LOISEAU, « Des droits patrimoniaux de la personnalité en droit français », Revue de droit de McGILL, vol. 42, 1997.

[39] « De façon générale, s’il y a crise, c’est toujours que l’ancien est travaillé par du nouveau auquel on ne sait pas ou on ne veut pas faire place ». L. SEVE, Pour une critique de la raison bioéthique, Paris, Odile Jacob, 1994.

[40] N. LENOIR, « Aux frontières de la vie ; pour une démarche française en matière d’éthique biomédicale », Rapport, La doc. fr., 1991 ; O. MERGER, Rapport de stage, Laboratoire d’Ethique, de droit de la santé et de la santé publique, Paris XII, 2004 ; J.-F. MATTEI, « la vie en question : pour une éthique biomédicale », La doc. Fr., 1994.

[41] M. GOBERT, « Réflexions sur les sources du droit et les principes d’indisponibilité du corps humain et de l’état des personnes », RTD Civ. 1992 ; D. THOUVENIN, « La personne et son corps : un sujet humain, pas un individu biologique », LPA, 1994, p. 26 ; P. ROUBIER, Droits subjectifs et situations juridiques, Dalloz réédition, 2005 ; G. CORNU, Droit civil – Introduction, Les personnes, Les biens, 12e éd., Montchrestien, 2005 ; S. M. FERRIÉ, Le droit à l’autodétermination de la personne humaine – Essai en faveur du renouvellement des pouvoirs de la personne sur son corps, thèse, Paris I, 2015. En revanche, pour d’autres, le corps humain, quoique rattaché à la personne, est bien une chose : B. LEMENNICIER, « Le corps humain, propriété de l’État ou propriété de soi ? », Revue Droits, t. 13, 1991, p. 111 ; P. BOUATHONG, op. cit., n° 115, p. 101 et s.

[42] Voir en ce sens, notamment : V. MERCIER, L’apport du droit des valeurs mobilières à la théorie générale du droit des biens, thèse, Aix-Marseille 3, 2004 ; C. VERBAERE, « Essai d’une théorie générale de la notion de valeur, application au droit de rétention », RRJ, 1999.

[43] T. ATANGANA-MALONGUE, op. cit., n° 265, p. 207.

[44] A. BERTRANT-MIRKOVIC, Droit civil : personnes, famille, 3e éd. STUDYRAM, Coll. « Panorama du droit », 2010.

[45] Voir dans ce sens, M. FABRE-MAGNAN, L’institution de la liberté, op. cit., p. 196 et s.

[46] Concernant particulièrement le lait, nonobstant le droit qu’a la femme d’en disposer librement, sa cession ne doit pas se faire au détriment du bébé qui en est le premier destinataire, ce qui peut justifier qu’il ne soit pas totalement assimilé, dans son régime juridique, aux cheveux par exemple. T. ATANGANA-MALONGUE, op. cit., n° 265, p. 207.

[47] J. ROCHFELD, Les grandes notions du droit privé, 1re éd. (7e tirage), PUF, 2021. T. ATANGANA-MALONGUE, op. cit., n° 265, p. 207.

[48] Voir au sujet du nom, G. LOISEAU, Le nom objet d’un contrat, LGDJ, t. 274, 1997. ; M. VIVANT, « Le patronyme saisi par le patrimoine », in Mélanges A. COLOMER, LGDJ, 1993 ; de la voix et de l’image de la personne, Ph. DUBOIS, Le physique de la personne, Economica, 1986 ; E. GAILLARD, « La double nature du droit à l’image et ses conséquences en droit positif français », D., Chron. 161, 1984, ; D. ACQUARONE, « L’ambiguïté du droit à l’image », D., Chron.129, 1985 ; M. SERNA, « La voix et le contrat : le contrat sur la voix », CCC 1999, Chron. 9 ; P. BOUATHONG, op. cit., n° 115, p. 102.

[49] T. ATANGANA-MALONGUE, op. cit.

[50] En Droit français, cette limite intéresse en tout premier lieu le corps humain, les éléments qui peuvent s’en détacher (organes, cellules, etc.), ainsi que les éléments composant la personnalité des individus (leur nom, leur honneur, leur vie privée, leur image, leur voix, etc.) : ils sont traditionnellement considérés comme devant être laissés en dehors des tractations économiques et comme ne pouvant pas être traités comme des marchandises ordinaires. Cela ne remet pas en cause le fait que les éléments du corps humain, une fois détachés, puissent faire l’objet d’actes de disposition, voire d’échanges à titre onéreux. Voir J. ROCHFELD, op. cit., n° 4.8, p. 216.

[51] Tel est le cas du « droit à l’autonomie personnelle » développé par la Cour EDH sur inspiration de la jurisprudence américaine. Ce droit consisterait à protéger, de façon générale et positive, un droit pour la personne d’effectuer certains choix pour elle-même. Comme en droit américain, la porte d’entrée en a été, non pas une notion abstraite de liberté inexistante dans le texte même de la Convention EDH (même si la Cour européenne a affirmé que la liberté « est de l’essence même de la Convention » C.R. c. Royaume-Uni et S.W. c. Royaume-Uni, 22 novembre 1995, ou encore Pretty c. Royaume-Uni, 29 avril 2002, Christine Goodwin c. Royaume-Uni, 11 juillet 2002, mais de l’article 8 de cette Convention protégeant le droit au respect de la vie privée (Selon cet article 8 : « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ». Ce droit n’est ainsi plus, comme en droit français, un droit défensif au respect de son intimité (son image, ses informations personnelles, etc.), mais devient un droit positif permettant de revendiquer un soutien du droit en ce qui concerne les choix de vie faits pour soi-même. M. FABRE MAGNAN, L’institution de la liberté, op. cit., p. 69.

[52] V. DAUDET, op. cit., n° 533, p. 333.

[53] INTERPOL, Traite des êtres humains aux fins de prélèvement d’organes en Afrique du Nord et de l’Ouest, Rapport établi dans le cadre du projet ENACT (Enhancing Africa’s response to transnational organized crime), juillet 2021, p. 13.

[54] Le terrain paraît fertile dans ces parties du monde du qu’en Afrique du Nord et de l’Ouest, la législation de très peu de pays impose des conditions en matière de dons d’organes et de tissus provenant de donneurs vivants (à l’instar du consentement écrit et de l’approbation d’un comité d’éthique). Dans certains pays il n’y a aucune directive concernant la poursuite des faits de traite des êtres humains aux fins de prélèvement d’organes, ni aucun organisme spécialisé en la matière. Au contraire, cette forme de criminalité relève de la législation interne en matière de lutte contre la traite des êtres humains à toutes fins, y compris le prélèvement d’organes. INTERPOL, Traite des êtres humains aux fins de prélèvement d’organes en Afrique du Nord et de l’Ouest, ibid., p. 12.

[55] La commercialité résulte donc d’une reconnaissance par les règles d’un système juridique, ce qui implique que certaines choses peuvent être dans le commerce juridique de tel système tout en étant exclues de tel autre. La réglementation relative au cannabis en est aujourd’hui la meilleure illustration. En effet, vingt-trois États des États-Unis ont légalisé l’usage médical de la marijuana à travers les State Medical Marijuana Laws. À titre d’exemple, la Californie (Bill. N°SB420, Chap. 875, 2003), le Connecticut (Bill. N°5389, 2012), le Massachussetts (Session Laws 2012, Chap. 369), le Nevada (NMMA, Quest. 9, 2000) sont autant d’États qui admettent de manière contrôlée la commercialisation et l’usage médical de cette drogue. À l’inverse, le droit français maintient l’interdiction de commercialiser de telles substances et ne leur reconnait donc pas de valeur. P. BOUATHONG, op. cit., note 424, p. 101.

[56] L’article L.112-2, 1° du Code des procédures civiles d’exécution français s’ouvre ainsi : « Ne peuvent être saisis, 1°Les biens que la loi déclare insaisissables ».

[57] N. CAYROL, Droit de l’exécution, 3e éd., LGDJ-LEXTENSO, 2016.

[58] J. ROCHFELD, op. cit., n° 1.13, p. 34-35. Au nombre des arguments au soutien de ce refus de cession de la clientèle civile il était avancé que, d’une part, il existe un lien de confiance personnel entre le professionnel qui exerce une activité libérale et son client( ce qui fait de cette relation particulière une chose hors du commerce au sens de l’ancien article 1128 du Code civil), d’autre part, admettre la cession de clientèles civiles reviendrait à admettre qu’il soit également porté atteinte à la liberté individuelle en ce que cette opération est de nature à priver les clients de la possibilité de confier leurs intérêts au professionnel de leur choix. Voir A. BAMDE, « La cession de clientèle civile », en ligne sur http://aurelienbamde.com/2017/02/26/la-cession-de-clientele-civile/, publié le 26.02.2017 à 23h43, consulté le 26.06.2024 à 18h53.

[59] Cass. Com., 12 mars 1985, Bordas, D. 1985, p. 471, note J. Ghestin, JCP G 1985, II, 20400, concl. Montagnier, note G. Bonet ; 1er déc. 1987, JCP G 1988, II, 21081, note E. Agostini, GAJC, n° 23, p. 172.

[60] Une thèse a montré qu’à côté de la dimension extrapatrimoniale de la vie privée classiquement admise, l’attribut possède également une dimension patrimoniale. La vie privée est aujourd’hui largement exploitée par son titulaire et il existe, en réalité, un second droit portant l’attribut, droit de nature patrimoniale s’ajoutant au droit extrapatrimonial. E. MECHIN, Le droit patrimonial à la vie privée, RDLF, 2015, thèse n° 01 (Thèse soutenue le 26 novembre 2014 à l’Université Jean Moulin Lyon 3).

[61] Cass. civ. 1re, 11 déc. 2008, JCP G 2009, II, 10025, note G. Loiseau, RTD civ. 2009, p. 342, obs. T. Revet.

[62] Cass. civ. 1ère, 7 nov. 2000, D. 2001, p. 2400, note Y. Auguet, JCP G 2001, II, 10452, note F. Vialla, et I, 301, n° 16, obs. J. Rochfeld.

[63] Cass. 1re civ., 7 févr. 1990, n°88-18.441.

[64] Cass. 1re civ., 7 mars 1956.

[65] Cass. 1ère civ., 7 juin 1995, n°93-17.099.

[66] Cass. 1ère civ. 7 nov. 2000, n°98-17.731.

[67] A. BAMDE, « La cession de clientèle civile », Loc. cit.

[68] Voir par exemple Cass. 1ère civ., 14 nov. 2012, n°11-16.439 : « …Mais attendu qu’après avoir retenu, selon une interprétation, exclusive de toute dénaturation, que commandait la portée ambiguë de la clause stipulant le reversement au cessionnaire des sommes perçues de la part des anciens clients de la SCP Chapuis et Lemoyne de Vernon, que cette clause, en interdisant à M. Y… de percevoir, pour la durée de dix (10) ans, la contrepartie de son activité pour le compte des clients qui avaient choisi de le suivre dans son nouvel office, entrainait cession de la clientèle (nous avons souligné) qui lui appartenait en partie, la cour d’appel, qui a relevé que la clause litigieuse, par la sanction de la privation de toute rémunération du travail accompli, soumettait le cédant à une pression sévère de nature, sinon à refuser de prêter son ministère, du moins à tenter de convaincre ce client à procéder au choix d’un autre notaire, et qui a ainsi constaté que la liberté de choix de cette clientèle n’était pas respectée, en a exactement déduit que ladite clause était nulle ; que le moyen, qui manque en fait en ses deuxième et quatrième branches, n’est pas fondé en ses trois autres branches ;… ».

[69] P. BOUATHONG, op. cit., n° 130, p. 115.

[70] TH. REVET, La force de travail – Étude juridique, éd. Litec, 1992. A. SUPIOT, Critique du droit du travail, 2e édition, Quadrige / PUF, 2011.

[71] P. BOUATHONG, op. cit., n° 130, p. 116.

[72] V. dans une certaine mesure, J. ROCHFELD, op. cit., n°4.18, p. 292 et s.

[73] Pour certains, la vie privée ne se confond pas avec la personne de son titulaire et peut être vue comme une chose incorporelle. Il s’agit plus précisément d’un ensemble d’informations personnelles « produites » par ce dernier, ou « affectées » à sa protection par la jurisprudence. E. MECHIN, op. cit., p. 2.

[74] E. MECHIN, ibid.

[75] Ch. AUBRY et Ch. RAU, Cours de droit civil français, §575, p. 235.

[76] L’importance accrue prise par les valeurs incorporelles tout au long du XXe siècle, du fait de la sophistication et de la dématérialisation des sociétés, montre que les nouvelles richesses que le droit doit désormais régir, de plus en plus nombreuses et conséquentes, ne tiennent plus seulement en des choses matérielles. Il faut aujourd’hui pouvoir échanger des droits sociaux, actions et parts de sociétés ; être autorisé à se servir de l’image d’une personne permettant, par exemple de rallier un grand lectorat (intérêt de l’échange ne résidant pas dans l’acquisition du support physique) ; être admis à utiliser des informations ou à se réserver les bénéfices découlant d’une œuvre ou d’une invention, etc. Voir J. ROCHFELD, op. cit., n° 4.11, p. 221.

[77] J.-M. MOUSSERON, « Valeurs, biens, droits », in Mél. A. BRETON-F. DERRIDA, Dalloz, 1991, p. 277.

[78] J. ROCHFELD, op. cit., n° 4.12, p. 224.

[79] M. FABRE MAGNAN, « Propriété, patrimoine et lien social », RTD civ., n° 03, 1997, p. 583, n° 11 et s., p. 591 et s.

[80] Ibid., p. 591 et s. Les clientèles civiles des professionnels libéraux – médecins ou avocats par exemple – ont été regardées, jusqu’aux années 2000, comme ne devant pas recevoir de valeur parce que, ce faisant, on aurait chiffré la confiance de clients ou de patients envers des professionnels (pour beaucoup d’auteurs, néanmoins, elles n’étaient pas même un bien). Or, cette évaluation paraissait immorale (Cass. req., 12 mai 1885, DP 1886, 1, p. 175).

[81] Selon l’article 537 du Code civil, chacun peut disposer librement de ses biens. T. REVET, obs. sous Cass. com., 24 septembre 2003, RTD civ. 2004, p. 117.

[82] J. ROCHFELD, op. cit., n° 4.8, p. 218.

[83] Voir entre autres, les articles 1382 et 1383, C. civ. ; article 125, CO malien ; article 118, COCC sénégalais.

[84] Article 113, CO malien.

[85] Article 5, al. 3, loi 2003.

[86] M. EBO EBO, « Réparation des préjudices corporels des accidents de la circulation routière : avancées du Code CIMA », Hebdo Information, octobre 1999 ; M. DUPONT, C. ESPER et C. PAIRE, Droit hospitalier, 5e éd., Dalloz, 2005 ; Y. LAMBERT-FAIVRE, Droit du dommage corporel, système d’indemnisation, 5e éd., Dalloz, 2004 ; A. CASTELLETTA, Responsabilité médicale : Droits des malades, 1re éd., Dalloz, 2002 ; G. MEMETEAU, Cours de droit médical, Les études hospitalières, 2001 ; Ph. LE TOURNEAU et L. CADIET, Droit de la responsabilité et des contrats, Dalloz Action, 2001 ; E. SAVATIER, Les données de la responsabilité médicale à la fin du XXe siècle, thèse, Lyon 3, 1998 ; P. JOURDAIN, Les principes de la responsabilité civile, 10e éd., Dalloz, 2021.

[87] Article 124, CO malien ; article 133, COCC sénégalais.

[88] La mise en œuvre de cette responsabilité est soumise à la trilogie classique : une faute, un dommage et un lien de causalité entre la faute et le dommage. Ce qui suppose de prouver une atteinte au droit à la vie privée, fautive et dommageable. T. ATANGANA-MALONGUE, op. cit., n° 439, p. 329.

[89] Civ. 1ère, 12 janv. 1988, D. 1989, p. 1, note P.-Y. Gautier.

[90] Pour une classification proposant les droits et actions d’ordre familial ou de l’état, les droits et actions unilatéraux ou à titre gratuit du débiteur et les droits et actions relatifs à certains actes caractérisés d’intuitu personae, V. S. W. Oh, Action oblique en droits français et coréen, thèse, Paris I, 2002. Cette classification et l’augmentation du nombre de catégories ne nous paraissent cependant pas apporter un éclairage supplémentaire sur la notion de droits et actions attachés à la personne. On peut noter que Bosc ne voit aucune utilité dans ce troisième critère, alors que d’autres y décèlent la véritable clé de la distinction.

[91] V. par ex. Civ. 1ère, 8 juin 1963, Bull. civ. I, n° 295 ; D. 1964, p. 713, note F. Lamand ; JCP 1965, éd. G, II, 14087, note R. Savatier.

[92] Ch. mixte, 30 avr. 1976, D. 1977, p. 185, note M. Contamine-Raynaud ; RTD civ. 1976, p. 556, obs. G. Durry.

[93] En ce sens, visant une absence d’appréciation morale du débiteur : M. PLANIOL et G. RIPERT, Traité pratique de droit civil français, t. VII, Obligations, deuxième partie, 2e éd., avec le concours de P. ESMEIN, J. RADOUANT ET G. GABOLDE, LGDJ, 1954 ; H., L., J. MAZEAUD ET F. CHABAS, Leçons de droit civil, t. II, 1er vol.,Obligations, théorie générale, 9e éd., Montchrestien, 1997 ; G. MARTY, P. RAYNAUD et PH. JESTAZ, Droit civil, Les obligations, t. II, Le régime, 2e éd., Sirey, 1989 ; B. STARCK, H. ROLAND et L. BOYER, Obligations, 3, Régime général, 5e éd., Litec, 1997 ; L. DULEY, De la détermination des droits et actions que le créancier est susceptible d’exercer par voie oblique, thèse, Dijon, 1935, p. 205 ; CA Vienne, 13 juill. 1934, D.H. 1934, I, p. 19.

[94] J. ROCHFELD, op. cit., n° 4/14, p. 228.

[95] Idem.

[96] G. LOISEAU, loc. cit., p. 330-331.

[97] E. GAILLARD, « La double nature du droit à l’image et ses conséquences en droit positif français », D., , Chron. 161, 1984.

[98] Il est constaté par la doctrine française, l’émergence d’une catégorie des droits de la notoriété, aux côtés de la catégorie des droits de la personnalité, dont le régime se développe, dans la proximité des droits réels spéciaux reconnus par le juge, et dans la filiation des propriétés incorporelles protégées par le Code de la propriété intellectuelle. J.-M. Bruguière, « « Droits patrimoniaux » de la personnalité : plaidoyer en faveur de leur intégration dans une catégorie des droits de la notoriété », RTD Civ., n° 01, 2016.

[100] CEDH, 18 juin 2002, Oneryildiz c/ Turquie, GACEDH, n° 64, p. 690, obs. J.-P. Marguénaud, RTDH 2003, p. 261, obs. C. Laurent, et 30 nov.2004, RTD civ. 2005, p. 422, obs. T. Revet, AJDA 2005, p. 550, obs. J.-F. Flauss.

[101] J. ROCHFELD, op. cit., n° 4/13, p. 226.

[102] CEDH, 26 juin 1986, Van Marle c/ Pays-Bas, req. N° 8543/79, 8674/79, 8685/79.

[103] CEDH, 8 juill. 1986, Lithgow et autres c/ Rouyame-Uni, JCP E 1987, II, 14894 note F.-C. Jeantet.

[104] CEDH, 29 janv. 2008, Balan c/ Moldavie, JCP G 2008, I, 158, n° 1, obs. C. Caron.

[105] CEDH, 9 déc. 1994, Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis c/ Grèce, D. 1996, p. 329, note D. Fiorina (créances d’origine contractuelle) ; CEDH, 29 nov. 1995, Pressos Compania Naviera SA et autres c/ Belgique, série A, n° 332 (créances d’origine délictuelle).

[106] CEDH, 23 févr. 1995, Gasus Dosier c/ pays-Bas, op. cit.

[107] CEDH, 1er févr. 2000, Mazurek c/ France, GACEDH, n° 52, p. 552.

[108] F. ZENATI, « L’immatériel et les choses », ADP, t. 43, 1999.

[109] Une distinction est opérée entre « droit primaire » et « droit dérivé » de la personnalité. Le droit primaire de la personnalité peut être défini comme le droit fondamental de toute personne de contrôler l’accès des tiers à sa propre personnalité à travers les signes qui la caractérisent, tels que le nom, l’image ou la voix, en s’opposant, le cas échéant, à leur emploi par autrui. Ce droit est dit « primaire » dans la mesure où il est reconnu à tous les êtres humains en considération de l’humanité et de la dignité de chacun et s’attache ainsi sans discrimination à la personnalité per se. II relève donc en quelque sorte de la primarité de la personnalité ou encore du premier degré de celle-ci. Le droit dérivé de la personnalité est, quant à lui, le droit des personnes renommées de contrôler l’exploitation commerciale de leur personnalité, c’est-à-dire le droit d’exploiter personnellement ou de concéder l’exploitation, à des fins commerciales ou publicitaires, de la valeur attractive des éléments évoquant la personnalité, tels que le nom, l’image ou la voix, ainsi que de s’opposer à toute commercialisation non consentie qui en serait faite. Ce droit est dit « dérivé » car, à la différence du droit « primaire », sa reconnaissance suppose que la personnalité ait acquis une valeur patrimoniale par l’effet de la notoriété du sujet, de sorte que l’on peut considérer qu’il procède, ainsi, d’une dérivation de la personnalité ou d’un second degré de celle-ci. G. LOISEAU, loc. cit., p. 333.

[110] A. LUCAS ET H. J. LUCAS, Traité de la propriété littéraire et artistique, 1re éd., Litec, 1994.

[111] Tels que la propriété littéraire et artistique, les brevets d’invention, les dessins et modèles…

[112] H. DESBOIS, Le droit d’auteur, S » éd., Dalloz, 1978 ; COLIN ET CAPITANT, Traité de droit civil, t. 1, refondu par W. de la Morandière, Librairie Dalloz, 1957 ; J. GHESTIN, G. GOUBEAUX ET M. FABRE-MAGNAN, « Introduction générale », in J. GHESTIN (dir.), Traité de droit civil, 4e éd., LGDJ, 1994.

[113] A. DECOCQ, op. cit., n° 583, p. 426.

[114] Dans ce domaine, les idées des Professeurs ZENATI et REVET sont innovantes. Reposant sur une analyse de la personnalité juridique comme bien objet de propriété, il s’agit ici de distinguer la personne de son corps, puis de distinguer encore le corps de ses éléments : Fr. ZÉNATI et Th. REVET, Manuel de droit des personnes, 1re éd., PUF, 2006. Aussi, une auteure a-t-elle écrit que « déjà, AUBRY et RAU notaient dans leur traité que les biens innés ne font pas partie du patrimoine visé aux anciens articles 2092 et 2093 du Code civil. C’était déjà reconnaître que des biens peuvent exister en dehors du patrimoine » (nous soulignons) : B. KAN-BALIVET, « Le patrimoine fiduciaire », in Personne et patrimoine en Droit – Variation sur une connexion, éd. Bruylant 2014.

[115] J. AUDIER, Les droits patrimoniaux à caractère personnel, thèse, Aix-Marseille III, LGDJ, 1979, p. 303.

[116] Expression employée par : L. BERARD, Du caractère personnel de certains droits et notamment du droit d’auteur dans les régimes de communauté, thèse, Paris, 1902 ; R. NERSON, Les droits extrapatrimoniaux, thèse, Lyon, 1939, n° 213 ; M. CACHIA, « Les droits patrimoniaux à caractère personnel dans le régime de communauté », RTD civ., 1950. ; P. BLONDEL, La transmission à cause de mort des droits extrapatrimoniaux et des droits patrimoniaux à caractère personnel, thèse, Dijon, LGDJ, 1969.

[117] J. AUDIER, op. cit., p. 482.

[118] Ibid., p. 480.

[119] Deux raisons sous-tendent la discussion : d’une part et par principe, le régime doit être homogène pour tous les droits s’y inscrivant. Or, on note une divergence entre ces différents droits. D’autre part, il ne s’agit d’une catégorie nouvelle que par opposition aux catégories existantes, J. AUDIER, op. cit., p. 481.

[120] B. BOFFA, La destination de la chose, préf. M.-L. MATHIEU-IZORCHE, Defrénois, 2008.

[121] C’est le cas des biens et souvenirs de famille. J. ROCHFELD, op. cit., n° 4.25, p. 246-247.

[122] C. CHATILLON, Les choses empreintes de subjectivité, thèse, Paris 1, 2008 : « Les choses empreintes de subjectivité sont des choses dont le droit prend en compte le caractère empreint de subjectivité pour fixer le régime. Ces choses, empreintes de subjectivité individuelle, comme le corps humain, ses éléments et produits, le nom, l’image, la voix, la force de travail, les œuvres de l’esprit de l’individu, ou de subjectivité familiale, comme les sépultures et les souvenirs de famille, sont juridiquement des choses. Elles sont donc appréhendées par le droit des choses, et non le droit des personnes ; et en tant qu’elles sont appropriées et dans la circulation entre les personnes, elles sont appréhendées par le droit des biens. Au sein de ce régime de droit des biens, néanmoins, elles bénéficient d’un régime particulier, caractérisé par l’octroi à la personne de la subjectivité de laquelle elles sont empreintes d’un droit moral de retrait du commerce où elles avaient pu être placées : Ce droit moral de retrait n’a pas jusqu’à ce jour été théorisé. Ce sont ces deux points, l’appréhension des choses empreintes de subjectivité par le régime des biens, et leur spécificité au sein de ce régime, que nous avons entrepris d’étudier ».

[123] C’est le résultat de la jonction entre protection de la vie privée et logement, initiée par la Cour EDH et sa conception offensive du domicile en tant que lieu du « bien-être personnel » (Not. CEDH, 9 déc. 1994, Lopez Ostra c. Espagne, GACEDH, p. 496), ainsi que le Conseil constitutionnel, énonçant l’« objectif à valeur constitutionnelle » que chacun dispose d’un « logement décent » (Cons. Const., déc. n° 95-359 DC, 19 janv. 1995, D. 1995, p. 283, chr. H. Pauliat.

[124] A. SERIAUX, « Biens patrimoniaux à dimensions extrapatrimoniales », Rép. civ. Dalloz, v° Patrimoine, 2010, n° 28, p. 8.

[125] P. BOUATHONG, op. cit., n° 120, p. 106.

[126] Ces alternatives rappellent bien les problématiques liées au patrimoine même qui, situé entre l’être et l’avoir, entre l’objet et le sujet, semble relever d’une nature ambivalente. La présentation de ces différents mouvements doctrinaux est faite par A. ZABALZA, « Philosophie juridique des droits de la personnalité », in J.-C. SAINT-PAU (dir.), Droits de la personnalité, LexisNexis, coll. Traités, 2013. Dans le sens de cette étude, v. également, A. SERIAUX, « La notion de patrimoine – Brèves notations civilistes sur le verbe avoir », RTD Civ. 1994 : « le noyau dur de la patrimonialité est donc constitué par tous les biens qui, même s’ils sont pourvus d’un légitime possesseur, ne sont pas rattachés à ce dernier au point de faire partie de son être. C’est la capacité qu’a le bien de changer indéfiniment de titulaire qui lui donne sa qualité de bien patrimonial ». ; FR. ZÉNATI et TH. REVET, Manuel de droit des personnes, PUF, 2006 ; M. FABRE-MAGNAN, « Propriété, patrimoine et lien social », RTD Civ., n° 03, 1997.

[127] D’autres auteurs ont, quand même, mis en avant l’insuffisance des catégories existantes et proposent en conséquence une gradation de la patrimonialité. Voir, entre autres, P. CATALA, « La transformation du patrimoine dans le droit civil moderne », RTD Civ., 1966 ; J. AUDIER, Les droits patrimoniaux à caractère personnel, thèse, Aix-en-Provence 1979.

[128] F. GENY, Science et technique en droit privé positif, t. I, éd. Sirey, 1914.

[129] F. HAGE-CHAHINE, « Essai d’une nouvelle classification des droits privés », op. cit.

[130] Idem. Cette auteure souligne qu’il « y a des droits patrimoniaux dont l’exercice est lié à l’existence d’un intérêt moral comme “les droits exclusivement attachés à la personne” au sens de l’article 1166 du Code civil ».

[131] On pourrait considérer que ne sont patrimoniaux que les droits sur lesquels les tiers ont un pouvoir d’action. On aurait d’ailleurs, en matière de relations entre créancier et débiteur, une identification du patrimoine au gage, conformément à l’acception classique. Mais cela signifierait que les droits attachés à la personne tels qu’en dispose notamment l’article 1166 du Code civil ne sont pas patrimoniaux, contrairement à l’intention du législateur et à l’interprétation de la jurisprudence et de la doctrine. D’autre part, à partir de quel moment pourrait-on décider que tel droit est tombé dans le patrimoine de son titulaire ? Et où se trouvait-il avant ? L’extrapatrimonial serait ainsi dans l’air, sans contenant, mais attaché à la personne du titulaire. Cette attache à la personne peut cependant être comprise comme en dispose l’acception patrimoniale. V. DAUDET, op. cit., note 1298, p. 335.

[132] B. STARCK, Essai d’une théorie générale de la responsabilité civile en sa double fonction de garantie et de peine privée, thèse, Paris, 1947.

[133] P. CATALA, « La transformation du patrimoine dans le droit civil moderne », op. cit., p. 185 et s., n°26.

[134] K. F. ZACHARIAE, Handbuch des Französischen Civilrechts, I, §168, p. 356, trad. par. V. LASSÈRE, in La doctrine du patrimoine de Zachariae, mémoire de DEA, Paris II, 1995.

[135] Ibid., n° 535, p. 337.

[136] Ibid., n° 541, p. 340-341.

[137] V. égal. en ce sens : J. AUDIER, Les droits patrimoniaux à caractère personnel, thèse Aix-Marseille III, LGDJ, 1979 : « Le caractère personnel de ces droits patrimoniaux fondé sur les qualités personnelles de leur titulaire est protégé de la façon que l’on a pu juger dans les développements précédents. On ne peut parler de régime juridique commun. Cela est impossible puisque le caractère personnel du droit répond aux qualités personnelles nécessaires pour l’exercer. Il connaît une protection variable dans sa force et sa nature, comme lui-même varie dans sa force et sa nature. Mais on a pu constater la profonde unité téléologique des règles existantes qui forment ainsi un ensemble cohérent, un régime dominant. » Ce choix de régimes convenant globalement aux biens concernés pourrait cependant s’effacer devant la recherche de critères précis déterminant à chaque fois quelles sont les règles applicables à chaque bien. Les droits sujets à l’incessibilité pourraient par exemple être définis selon une formulation objective. Les critères alors dégagés ne se confondraient pas avec ceux des droits et actions attachés à la personne, mais les croiseraient.

[138] V. R. NERSON, op. cit., et précisément la préface de P. ROUBIER : « la valeur de la personne humaine est en train de prendre une revanche éclatante contre un système d’économie trop exclusivement fondé sur le patrimoine et la possession des richesses, qui a eu le grave tort de perdre de vue que les richesses sont faites pour l’homme et non l’homme pour les richesses », p. 8. V. égal. L. COLLET, La notion de droit extrapatrimonial, thèse, Paris II, 1992.

[139] J. RAVANAS, « La défense des attributs de la personnalité d’un débiteur en liquidation judiciaire », D., n° 2, 2001. C’est pourquoi des condamnations non pécuniaires sont également demandées par les victimes, ces condamnations échappant alors au dessaisissement.

[140] C’est justement ce respect de l’autonomie des personnes humaines qui a conduit à la formulation de la théorie des droits de la personnalité. A. DECOCQ, op. cit., n° 3, p. 4. « Réservant à la personne un véritable pouvoir de contrôle sur l’usage qui peut être fait de sa personnalité, les droits de la personnalité ont en commun l’entière liberté d’action de leur titulaire à l’intérieur de la sphère protégée : qu’il s’agisse de consentir ou de poursuivre une atteinte à la personnalité, cette décision résultera toujours d’une appréciation éminemment subjective de la nature de l’acte et des limites que l’individu entend fixer au respect de sa personnalité. Le jugement qu’elle suppose doit donc lui être exclusivement réservé ». G. LOISEAU, Le nom objet d’un contrat, thèse, Paris I, LGDJ, 1997.

[141] V. DAUDET, op. cit., n° 543, p. 342.

[142] Idem.

[143] P. BOUATHONG, op. cit., n° 482, p. 382.

[144] Idem.

[145] P. BLONDEL, op. cit., p. 95, p. 176.

[146] Ibid., p. 177. Voir également I. ZRIBI, Le sort posthume de la personne humaine en droit privé, thèse, Paris I, 2005 [non publié]. L’auteur souligne le grand nombre de droits, d’actions et d’obligations attachés à la personne (qu’il assimile aux droits patrimoniaux à caractère personnel) et ne s’éteignant pas au décès.

[147] J. CARBONNIER, Droit civil – Les biens, t. 2, PUF 2004.

[148] P. BOUATHONG, op. cit., p. 472.

[149] En ce sens, V. F. HAGE-CHAHINE, loc. cit., p. 708, qui souligne qu’il « y a des droits patrimoniaux dont l’exercice est lié à l’existence d’un intérêt moral comme “les droits exclusivement attachés à la personne” au sens de l’article 1166 du Code civil ».

[150] On pourrait considérer que ne sont patrimoniaux que les droits sur lesquels les tiers ont un pouvoir d’action. On aurait d’ailleurs, en matière de relations entre créancier et débiteur, une identification du patrimoine au gage, conformément à l’acception classique. Mais cela signifierait que les droits attachés à la personne tels qu’en dispose notamment l’article 1166 du Code civil français ne sont pas patrimoniaux, contrairement à l’intention du législateur et à l’interprétation de la jurisprudence et de la doctrine.

[151] B. STARCK, Essai d’une théorie générale de la responsabilité civile en sa double fonction de garantie et de peine privée, thèse, Paris, 1947.

[152] P. BOUATHONG, op. cit., p. 109.

[153] G. LOISEAU, op. cit., p. 333.

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