L’organisation du capital dans la société anonyme patrimoniale
Souleymane TOE
Agrégé des facultés de droit
Professeur titulaire à l’université Thomas SANKARA
Le droit des sociétés est cette branche du droit des affaires qui s’intéresse aux structures juridiques qui permettent de créer, de développer et de transmettre les entreprises de toutes tailles intervenant dans les différents secteurs de l’économie. Parmi ces entreprises, les sociétés patrimoniales se singularisent par des traits qui influencent tant leur constitution, leur fonctionnement que leur organisation ou leur transmission.
Définie comme étant l’expression d’un capitalisme familial, la société patrimoniale est considérée comme celle « où l’actionnariat est confondu avec le management et dans laquelle le capital est majoritairement contrôlé par des personnes physiques »[1]. Des auteurs avisés affirment qu’elle est généralement dotée d’un capital qui est détenu, sinon exclusivement, du moins majoritairement, par une même famille, parfois réduite à une cellule mononucléaire[2]. La présence des membres d’une même famille comportant des majeurs et des mineurs, des personnes mariées ou en instance de divorce, des grands-parents et des petits-enfants n’est pas sans poser des questions spécifiques au regard du droit des sociétés tant au stade de la constitution, en termes de capacité et de nature des apports, qu’en cours du fonctionnement la société en termes de répartition du capital ou de pouvoirs.
En plus de constituer, dans bien des cas, un centre de profits, les sociétés patrimoniales se situent en outre à l’intersection de deux mondes : d’une part, l’entreprise gouvernée par la compétence, l’effort, la méritocratie ; d’autre part, la famille, gouvernée par l’affect, qu’il soit filial ou marital. Relations familiales et relations d’affaires ne font pas toujours bon ménage et imposent de réfléchir à l’organisation même de celle-ci. Au-delà de la gouvernance, on s’intéressera particulièrement à l’organisation du capital dans la société patrimoniale qui semble essentielle pour maintenir le caractère patrimonial d’une société, définie généralement par la détention du contrôle par une famille et dont l’encadrement de la transmission reste l’un des enjeux principaux des familles actionnariales. En effet, selon les statistiques mondiales, 70% des entreprises familiales ne survivent pas à la deuxième génération et 90% d’entre elles ne sont plus contrôlées par la famille à la troisième génération[3].
Pour maintenir la société dans le giron de la famille, autrement dit pour aider la famille à contrôler la géographie du capital, les moyens juridiques offerts vont de la limitation de la sortie des membres familiaux à la facilitation de la transmission en cas de décès des actionnaires familiaux en passant par la circonscription de l’arrivée de non familiaux dans la société, tout en préservant les équilibres au sein de la famille que ce soit entre branches ou à l’égard des conjoints.
De l’ensemble de ces techniques, deux semblent des plus significatifs, à savoir l’insertion de clauses dans les statuts de la société ou dans un pacte et la création des actions de préférence assorties de droits adaptés. Ces différentes techniques visent, en gros, non seulement à mieux préserver l’actionnariat familial face à l’extérieur (I) mais aussi à mieux stabiliser l’équilibre actionnarial au sein de la famille (II).
I. La préservation de l’actionnariat familial par des clauses statutaires ou extra-statutaires
L’actionnariat familial est menacé en cas de cession des actions à des personnes extérieures par les membres de la famille. L’opération de préservation vise donc à restreindre à travers les outils juridiques appropriés les cessions d’actions des membres familiaux, dont les plus significatifs consistent à l’insertion de clauses statutaires ou extra-statutaires. Ainsi, est-il possible de se déterminer à travers des clauses interdisant les sorties (A) ou encore des clauses filtrant l’entrée de personnes extérieures (B).
A. Les clauses interdisant les sorties ou les clauses d’inaliénabilité
Pour préserver le caractère patrimonial d’une société, la solution apparemment la plus efficace est celle d’interdire les associés historiques de quitter la société. Les clauses d’inaliénabilités prévues exceptionnellement par la loi servent justement à jouer ce rôle et ne sont pas contraires aux dispositions de l’article 544 du Code civil, dans le cas où la société connait des difficultés.
Au-delà de la loi, les clauses d’inaliénabilité peuvent être prévues par une convention destinée à retenir certains associés dans un but de stabilisation soit du capital, soit de la direction. C’est ainsi qu’il est généralement conclu, dans les sociétés familiales, des engagements de conservation des titres qui, en France, bénéficient d’un régime fiscal favorable en cas de transmission.
De principe, il ressort toutefois une interdiction des clauses d’inaliénabilité totale et les stipulations dans ce sens au profit d’un tiers sont considérées comme étant contraires aux règles du droit civil, car elles visent à maintenir l’actionnaire dans la société tant que celle-ci dure. Elles sont considérées ainsi comme entraînant la création d’engagements perpétuels dont la validité n’a jamais été admise.
Il en ressort que la loi autorise cependant les clauses d’inaliénabilité statutaires dans les sociétés par actions simplifiées lorsque leur durée est limitée dans le temps et qu’elles sont justifiées par des motifs sérieux et légitimes[4]. C’est ainsi, concernant le droit OHADA, que l’article 853-17 de l’AUDSCGIE dispose que « les statuts peuvent prévoir l’inaliénabilité des actions ou des valeurs mobilières donnant accès au capital pour une durée n’excédant pas dix (10) ans ». En droit français, c’est l’article L. 227-13 du Code de commerce pour les SAS et l’article L. 29-11 du même Code pour les sociétés européennes qui retiennent la même durée de 10 ans.
La sanction de la violation d’une telle clause sera la nullité de la cession intervenue telle que le prévoit l’article 853-19-1 de l’AUDSCGIE pour les SAS ou les articles L.227-15 pour les SAS et L.229-11, al. 2 pour les SE en droit français, et cela, même en l’absence de collusion frauduleuse entre les parties, c’est-à -dire même si le tiers ignorait la clause. Si la clause est stipulée dans un acte extrastatutaire (pacte d’actionnaires par exemple), la cession est également nulle dès lors qu’il est démontré que l’un des cessionnaires en avait connaissance ou ne pouvait en ignorer l’existence (Art. 765-2, al. 2). En pareil cas, en effet, parce que l’acte extrastatutaire est normalement ignoré des tiers, la cession ne peut être valide s’il est démontré que le tiers cessionnaire des actions avait connaissance de l’existence de la clause ou ne pouvait en ignorer l’existence.
Dans les autres formes de sociétés, par application extensive du principe civil relatif aux conventions d’inaliénabilité affectant un bien donné ou légué, ces conventions ne sont autorisées qu’à la double condition d’être limitées dans le temps et justifiées par un intérêt sérieux et légitime[5].
Comme on peut le constater, les clauses d’inaliénabilité peuvent être valablement insérées dans les statuts des sociétés, qu’elles soient des sociétés par actions simplifiées ou non, pourvu qu’elles soient limitées dans le temps. Elles constituent de ce fait un outil juridique efficace pour limiter la sortie du capital des actionnaires originaires, ce qui est un gage de stabilité de l’actionnariat familial dans le cas d’une société patrimoniale.
Au-delà des clauses d’inaliénabilité qui sont orientées par les membres internes à la société patrimoniale, on distingue aussi des clauses qui sont orientées vers des personnes extérieures à la société.
B. Les clauses filtrant l’entrée de personnes extérieures
Pour conserver le caractère familial ou la géographie du capital de la société patrimoniale sans interdire les sorties, la solution peut être de les filtrer, en mettant en place un mécanisme d’agrément (1), de préférence ou de préemption (2).
1. Le filtre par des clauses d’agrément
L’agrément n’est pas défini par l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales. On s’accorde généralement pour y voir dans la procédure par laquelle les associés de certaines sociétés approuvent ou refusent la cession ou la transmission de parts ou d’actions à une personne. Par cette clause, les associés peuvent ainsi s’opposer à l’admission de nouveaux associés ou à l’accroissement de la participation des associés en place. C’est une technique parfaite pour se réserver le pouvoir de choisir ses associés et c’est pourquoi elle est imposée par des dispositions légales dans les sociétés où l’intuitu personae est très important comme les SNC[6], les SARL et les sociétés civiles, ce qui les rend plus adaptées aux sociétés familiales qui souhaitent contrôler l’entrée d’associés extérieurs.
Dans les sociétés anonymes, le principe est la libre négociabilité des actions. Ce principe est cependant assorti de limitations en ce qui concerne le régime des agréments qui est strictement encadré. Le principe de l’admission de l’agrément est posé par l’article 765-3 de l’AUDSCGIE qui indique que « dans une société dont les actions ne sont pas admises à la négociation sur une bourse de valeurs, il peut être stipulé dans les statuts que la transmission des actions à un tiers étranger à la société, soit à titre gratuit, soit à titre onéreux, est soumise à l’agrément du conseil d’administration ou de l’assemblée générale ordinaire des actionnaires ».
Selon l’article 767 de l’AUDSCGIE, « si une clause d’agrément est stipulée dans les statuts, le cédant joint à sa demande d’agrément adressée à la société par lettre au porteur contre récépissé ou par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, ou par télécopie, les nom, prénoms, qualité et adresse du cessionnaire proposé, le nombre d’actions dont la transmission est envisagée et le prix offert ». Si l’agrément est conféré par l’assemblée générale, le cédant ne prend pas part au vote et ses actions sont déduites pour le calcul du quorum et de la majorité. Il en est de même si le cédant est un administrateur lorsque l’agrément est donné par le conseil d’administration. L’agrément résulte soit d’une notification, soit du défaut de réponse dans le délai de trois (3) mois à compter de la demande.
Si la société n’agrée pas le cessionnaire proposé, le conseil d’administration ou l’administrateur général selon le cas, sont tenus dans le délai de trois (3) mois à compter de la notification de refus, de faire acquérir les actions soit par un ou plusieurs actionnaires, soit par un tiers, soit par la société[7]. A défaut d’accord entre les parties, le prix de cession est déterminé à dire d’expert désigné, soit par les parties, soit, à défaut d’accord entre elles, par la juridiction compétente à la demande de la partie la plus diligente[8]. Si, à l’expiration du délai de trois (3) mois à compter du refus d’agrément, l’achat n’est pas réalisé, l’agrément est considéré comme donné. Toutefois, comme le précise la loi[9], au cas où un expert a été désigné pour fixer le prix, le délai peut être prorogé, pour une période qui ne peut excéder trois (3) mois, par les parties ou par la juridiction qui a désigné l’expert. Aux dires de la loi[10], le cédant peut, à tout moment, renoncer à la cession de ses actions, ce qui n’est pas admis pour les actionnaires, les tiers ou la société qui ont déclaré se porter acquéreurs s’ils ont proposé au cédant de recourir à la procédure d’expertise qu’il a accepté.
Malgré cette règlementation quelque peu tatillonne, les parties disposent de la possibilité d’organiser les modalités du régime légal applicable aux clauses statutaires. On distingue à ce propos plusieurs types d’aménagements des règles légales que les parties peuvent envisager. En considérant par exemple que la loi énonce que la demande d’agrément adressée à la société doit préciser le nombre d’actions dont la transmission est envisagée et le prix offert, sans préciser d’autres spécificités pour ces actions, les parties peuvent convenir que la clause d’agrément sera limitée à une catégorie d’actions[11]. La stipulation peut être utile dans une société organisant une entreprise patrimoniale pour soumettre à agrément les cessions à des non-membres du groupe fondateur ou de ses descendants qui peuvent également restreindre l’application de ces clauses à certaines catégories de cessionnaires, dans la mesure où le même régime est appliqué à tous les actionnaires se trouvant dans une situation objectivement égale, afin de ne pas violer le principe d’égalité des actionnaires. On pourrait par exemple restreindre l’agrément aux cessions intervenues au profit des étrangers ou des ressortissants de certains pays.
Du reste, lorsqu’en cas de refus d’agrément, la loi prévoit qu’il revient au conseil d’administration ou à l’administrateur général selon le cas, de faire acquérir les actions dans les trois (3) mois du refus par un ou plusieurs actionnaires, par un tiers ou par la société[12], l’exercice du droit de préemption par les actionnaires peut être organisé. Ainsi, il est possible de prévoir qu’en cas de refus d’agrément, les actions seront proposées à une liste d’actionnaires dont l’ordre sera fixé.
Par ailleurs, en dehors des cas énoncés par la loi, on s’est demandé s’il serait admis de conclure des clauses d’agrément extrastatutaires. Certains auteurs estiment à ce propos que puisqu’aucune règle législative ne concerne les clauses d’agrément extrastatutaires, cela signifie que l’agrément doit nécessairement être statutaire et serait interdit sous forme extrastatutaire. Mais, dans quelques espèces connues par la Cour de cassation française, la haute juridiction a considéré que l’opération de fusion ne figure pas expressément au nombre des actes pour lesquels la clause d’agrément est interdite, et elle a donc validé de telles clauses, qu’elles soient conclues sous forme statutaire[13] ou sous forme extrastatutaires[14].
Cette solution semble justifiée en raison notamment du principe de la liberté contractuelle où son application permet d’interpréter le silence de la loi comme une autorisation illimitée. Lorsqu’il est inclus dans un pacte extrastatutaire, l’agrément peut même être imposé dans une société anonyme pour une cession à un ascendant ou descendant ou conjoint et être alors librement organisé. Les parties ont ainsi la possibilité de ne pas imposer d’obligation de rachat à la charge de celui qui a refusé son agrément, à la condition que le refus d’agrément soit motivé par un intérêt légitime, afin que cette convention ne rende pas le cédant prisonnier de ses actions. Dans tous les cas, l’article 771-1-1 de l’AUDSCGIE est très claire sur la sanction de la violation d’une clause d’agrément qui n’est rien d’autre que la nullité de la cession d’actions ainsi réalisée et le cessionnaire non agréé ne saurait acquérir la qualité d’associé.
Au-delà de l’agrément, le filtre peut également s’opérer aux moyens des clauses de préférence ou de préemption.
2. Le filtre par des clauses de préférence ou de préemption
La clause de préférence est la convention ou la stipulation accessoire d’un contrat, par laquelle le propriétaire d’un bien s’engage, s’il décide de le vendre, soit à l’offrir à une personne déterminée, soit à lui permettre de l’acheter en priorité si elle accepte de payer le même prix qu’un tiers acquéreur éventuel. Selon cette définition très large, la clause de préférence peut être un droit de préemption.
Les clauses de préférence ou de préemption imposent aux actionnaires qui veulent quitter la société d’offrir d’abord leurs droits sociaux aux bénéficiaires de la préemption. Dans les sociétés familiales elles constituent ainsi un précieux bouclier pour conserver les droits sociaux au sein de la famille en obligeant les cédants à offrir leur participation aux bénéficiaires de la clause qui seront soit tous les membres de famille soit ceux qui sont rattachés à l’une des branches familiales. Ces deux clauses ne semblent pas avoir le même contenu, mais les auteurs ne sont pas unanimes sur leurs différences. Ainsi, leur principale différence serait le moment où elles sont appelées à jouer[15]. Le droit de préférence n’implique pas nécessairement que le vendeur potentiel a déjà trouvé un acheteur. Le droit de préemption, au contraire, suppose qu’un contrat de vente ait déjà été signé : son bénéficiaire se substitue alors à l’acquéreur dans les droits et obligations de ce contrat. L’autre mode de distinction entre les clauses de préférence et de préemption se situerait dans le mode de détermination du prix de la cession[16]. Dans la clause de préférence, le bénéficiaire est lié par le prix offert par le tiers, alors qu’il y aurait préemption lorsque le prix d’acquisition est indépendant du projet de cession.
Dans tous les cas, la jurisprudence ne semble pas accorder une grande importance à la distinction entre les deux notions qui sont généralement employées indifféremment[17], sauf que, s’agissant de la clause de préférence, le nouvel article 1123, alinéa 2 du Code civil français en donne une définition en disposant que « le pacte de préférence est le contrat par lequel une partie s’engage à proposer prioritairement à son bénéficiaire de traiter avec lui pour le cas où elle déciderait de contracter ».
Contrairement au droit civil, le droit des sociétés garde le silence sur les clauses statutaires de préférence et de préemption malgré leur reconnaissance par la jurisprudence dominante qui admet leur validité[18], même si certaines opinions minoritaires restent réservées sur leur utilisation dans les sociétés anonymes. Ces auteurs considèrent en effet que les opérations de transferts de propriété à un conjoint ascendant ou descendant ne peuvent faire l’objet d’une clause d’agrément[19]. Il a ainsi été jugé, à l’occasion d’un pacte de préférence au sein du mouvement Leclerc que « les directives données aux tiers évaluateurs pour la fixation du prix étant insuffisamment définies et n’étant pas connus de l’ensemble des parties au jour de la conclusion du pacte, les tiers évaluateurs étaient tenus de faire application de critères qui n’étaient pas déterminés, de sorte que le prix n’était pas déterminable ; la cour d’appel a exactement déduit que la nullité de la stipulation relative à la fixation du prix affectait la convention en son entier »[20]. Dans la continuité du débat, auteur recommande de n’accepter de telles clauses que si elles laissent la possibilité au cédant de vendre ses actions à un tiers en cas de non-exercice de la préférence, afin de ne pas maintenir l’actionnaire prisonnier de ses titres[21].
Dans tous les cas, la doctrine majoritaire est réticente à accepter la validité des clauses de préemption qui ne s’appliquent qu’à l’intérieur d’une catégorie d’actions créée à cette fin[22]. Ces clauses auraient pour effet inacceptable de rompre l’égalité entre les associés, présentée comme un principe fondamental du droit des sociétés. Mais l’application de ce principe ne s’opposerait pas à ce que le droit règle de façon différente des situations différentes[23]. L’égalité devrait s’apprécier in concreto, autorisant ainsi à accorder un régime plus avantageux à des associés qui auraient apporté une contribution significative ou particulière à la société.
La reconnaissance et la validité des clauses de préférence et de préemption en droit des sociétés étant admises, il reste à déterminer avec précision les modalités de leur mise en œuvre. A ce titre, la rédaction de la clause devrait nécessairement apporter des précisions sur l’objet de la clause, les opérations donnant lieu à préférence, la durée du pacte si elle est sous forme extrastatutaire, le droit de repentir du cédant, la procédure et le mode de fixation du prix, les modalités de transfert et les bénéficiaires de la clause.
II. Le maintien de l’équilibre actionnarial au sein de la famille par la création des actions de préférence
L’équilibre actionnarial peut être préservé par le biais des actions de préférence que la société pourrait créer. Cela découle essentiellement de la particularité de ce titre (A), qui peut donner lieu à plusieurs aménagements (B).
A. L’équilibre actionnarial par le particularisme des actions de préférences
Les actions de préférence sont traitées par les articles 778-1 et suivants de l’AUDSCGIE. Ainsi est-il énoncé que « lors de la constitution de la société ou au cours de son existence, il peut être créé des actions de préférence, avec ou sans droit de vote, assorties de droits particuliers de toute nature, à titre temporaire ou permanent… ». Cette disposition donne ainsi la possibilité de créer des actions spéciales pour les membres de la famille dont les droits particuliers seront transmis avec elles et continueront ainsi à être réservés aux membres de la famille. De même, s’ils sont spécifiques à une branche, ils resteront liés à l’action détenue par les membres successifs de la branche.
La possibilité de créer des actions de préférence est offerte aux sociétés par actions, qu’elles soient SA ou SAS. Le pouvoir de les créer est partagé entre l’assemblée constitutive et l’AGE ; le pouvoir de décider leur rachat ou leur conversion relève du pouvoir exclusif de l’AGE (Art. 778-2). Cette dernière peut déléguer ce pouvoir, et même celui d’en fixer les modalités, au conseil d’administration ou à l’administrateur général.
Les porteurs d’actions de préférence peuvent se réunir en assemblée spéciale et donner mission à l’un des commissaires aux comptes de la société d’établir un rapport spécial sur le respect par la société des droits particuliers attachés aux actions de préférence. Ce rapport est diffusé à ces porteurs au cours d’une assemblée spéciale (Art. 778-15).
Un droit de vote double peut être conféré aux actions de préférence. Lorsqu’elles sont émises sans droit de vote, la loi fixe le seuil qu’elles ne peuvent dépasser : pas plus de la moitié du capital social, et pour les sociétés dont les actions sont admises aux négociations sur une bourse des valeurs, pas plus du quart du capital social. Les actions de préférence peuvent être converties en actions ordinaires ou en actions de préférence d’une autre catégorie. Lorsque la conversion d’actions de préférence en actions aboutit à une réduction du capital non motivée par des pertes, les créanciers dont la créance est antérieure à la date de publication de la conversion, peuvent former opposition à la conversion dans les délais légaux et selon les modalités fixées par la loi (Art. 778-6).
Comme l’on peut le constater, les droits issus des actions de préférence peuvent être de toute nature. On peut notamment rajouter ou retirer des prérogatives à leurs titulaires. Ainsi, l’action créée peut être soumise à agrément ou préférence, ce qui contribuera à maintenir le capital au sein de la société, ouvrant ainsi la voie à des aménagements éventuels pour compenser les restrictions occasionnées par des droits qui auront été rajoutés.
B. L’équilibre actionnarial par l’aménagement des droits sociauxÂ
L’équilibre actionnarial peut être préservé par un aménagement des droits politiques et des droits financiers.
S’agissant des droits politiques, selon la loi, « le droit de vote peut être aménagé pour un délai déterminé ou déterminable, suspendu pour une durée déterminée ou déterminable ou supprimé »[24]. Dans les SA, il existe un principe de proportionnalité du droit de vote au capital posé par l’article 544 de l’AUDSCGIE avec la faculté pour les statuts d’attribuer un droit de vote double aux seules actions entièrement libérées et pour lesquelles il est justifié d’une inscription nominative depuis deux ans au moins et de limiter le droit de vote à condition que cette limitation soit imposée à toutes les actions sans restriction de catégorie, autres que les actions à dividende prioritaire sans droit de vote. Ces actions de préférence sans droit de vote ne peuvent pas représenter plus de la moitié du capital social, et dans les sociétés dont les actions sont admises aux négociations sur une bourse des valeurs, plus du quart du capital social[25]. Le plafond est déterminé en tenant compte de tous les titres dépourvus de droits de vote (ADP, certificat d’investissement) et la sanction du dépassement est la possibilité pour le juge d’annuler toute l’émission et non pas seulement la fraction excédentaire.
Puisque l’article 778-1 de l’Acte uniforme laisse une grande liberté aux actionnaires pour définir les droits particuliers attachés aux actions de préférence, des droits politiques très variés peuvent notamment être octroyés, pour permettre une information renforcée, l’attribution de sièges dans les organes de direction ou de contrôle ou d’un droit de veto dans les organes de direction, de contrôle ou à l’assemblée générale.
Concernant les droits financiers, les droits attachés aux actions de préférence peuvent consister en un dividende majoré (une part plus importante des dividendes), préciputaire (une exclusivité de versement) ou cumulatif (prélevé sur les années ultérieures si l’année en cours ne permet pas de le servir), un droit sur un bénéfice exceptionnel, des réserves ou une prime d’émission et un droit privilégié à l’attribution d’actions gratuites issues de l’incorporation au capital de bénéfices, réserves ou primes d’émission et un droit prioritaire sur le boni de liquidation, notamment le remboursement du montant nominal des actions de préférence avant celui des actions ordinaires. Il faudra tout de même respecter la prohibition des clauses léonines ainsi que l’interdiction de distribuer un dividende ou un intérêt fixe en l’absence de bénéfice distribuable. L’aménagement peut également entraîner l’obligation d’obtenir un agrément ou d’accorder une préférence pour la cession de l’action ou même rendre les actions inaliénables.
Il s’agit là d’autant de mécanismes que les sociétés patrimoniales peuvent exploiter. Les titulaires d’actions de préférence pourront ainsi recevoir des dividendes majorés, ce qui permettra de compenser l’éventuelle attribution de droits politiques minorés ou inversement moins de dividendes s’ils ont reçu plus d’autres droits. Des actions assorties d’un agrément, d’un droit de préférence ou d’une inaliénabilité participeront ainsi au maintien du caractère familial de la société ou à une certaine géographie du capital entre les branches familiales. Ces techniques devraient davantage intéresser les sociétés patrimoniales dans la zone OHADA, elles qui semblent avoir du mal à survivre à la première génération ou plus précocement à leur fondateur.
[1] P. MARTIN, cité par O. BAPTISTE in, « Le concept d’entreprise patrimoniale », Revue juridique de l’Ouest, n° Spécial 2012-2. Dynamiques sociales et entreprises patrimoniales et familiales : regards croisés Europe / Maghreb. pp. 15-31 ;
[2] S. SCHILLER et ALII, Entreprises patrimoniales et droit des sociétés, Gualino, Lextenso, Paris, 2022.
[3] Leach P., Family Business, The essentials, 2011. Ramener ces statistiques sur le plan africain, le constat empirique permet sans doute d’affirmer que la grande majorité des sociétés patrimoniales ne survivent pas à leur fondateur.
[4] Voy., article 765-1 de l’AUDSCGIE.
[5] R. MORTIER, « Les nouveaux horizons de l’inaliénabilité en droit des groupements », Dr. Sociétés, 2008, n°1, repère 1.
[6] Article 290 de l’AUDSCGIE
[7] Voy., article 769 de l’AUDSCGIE.
[8] Voy., article 770 de l’AUDSCGIE.
[9] Article 771 de l’AUDSCGIE.
[10] Article 771-1 de l’AUDSCGIE.
[11] Voy., article 767 de l’AUDSCGIE.
[12] Voy., article 769 de l’AUDSCGIE.
[13] Cass.com., 3 juin 1986, Bull. civ. IV, n°115
[14] Cass.com., 6 mai 2003, Bull. civ. IV, n° 70 ; RJDA 8-9/2003, n°837, p. 738.
[15] Y. CHARTIER, « Les clauses de préférences et de préemption en cas de cession à des tiers », in La stabilité du pouvoir dans les sociétés, RJ com. Nov., 1990, n° spéc., p. 77 s.
[16] S. PRAT, Les pactes d’actionnaires relatifs au transfert de valeurs mobilières, préf. A. Viandier, 1992, Litec, p. 108, n°183.
[17] CA Paris, pôle 5, ch. 8, 6 mai 2014, SA Sodiaal International c/ SAS sill, RG n°14/03884.
[18] TGI Dijon, 8 mars 1977, D. 197, p. 7. 482, note J-C. BOUSQUET ; JCP 1977, II. 18722, note M. RABUT ; Rev. Sociétés 1977, p. 279 et s., note D. RANDOUX.
[19] B. SAINTOURENS, note sous Cass.com., 17 mars 2009, n°08-11268, BJS 2009, p. 847.
[20] Cass. Com., 5 janvier 2016, n° 14-19584, JurisData n°2016-000077 ; Rev. Sociétés 2016, p. 514, obs. J. MOURY.
[21] M. JEANTIN., « Les clauses de préemption statutaires entre actionnaires », Dr, sociétés 1990, p. Chron. 27, p. 3.
[22] P. LE CANNU, note sous Paris, 14 mars 1990 ; P. BÉZARD, La société anonyme, 1986, Montchrestien, n°1406 ; M. JEANTIN, « Les clauses de préemption statutaires entre actionnaires », ibid.
[23] Cons. Const., 7 janvier 1989, Rev. Sociétés 1988, p. 229, note Y. GUYON.
[24] Article 778-1, alinéa 3 de l’AUDSCGIE.
[25] Article 778-1, alinéa 4 de l’AUDSCGIE.
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !