Edito – Restructurer ou ne pas restructurer telle est la préoccupation
Karine LEMERCIER
Maître de conférences en droit privé à l’université de Rennes
Centre de droit des affaires de Rennes
L’intitulé aux allures shakespeariennes recèle des enjeux juridiques, financiers, économiques et sociaux importants pour une entreprise. La restructuration peut conduire à la séparation de branches d’activités, à des licenciements économiques, à des changements d’actionnariat ou de direction. La question de restructurer ou de ne pas restructurer se pose dans un contexte d’après Covid, marqué de turbulences économiques et d’un contexte géopolique sous haute tension. L’invasion de l’Ukraine par la Russie avait ainsi impacté les cours des marchés de l’électricité et du gaz ; les conflits du Moyen-Orient impactent les investissements des entreprises. Au plus près, en France, la question du remboursement des prêts garantis par l’État apparaît de plus en plus comme une bombe à retardement. Les entreprises subissent à contre coup ces turbulences.
Face à une baisse d’activité, et corrélativement une baisse de trésorerie, l’entreprise va dans un premier temps corriger ses prévisionnels d’activité, reporter éventuellement le développement d’une activité, et veiller peut-être et surtout à conserver une trésorerie suffisante. C’est à ce moment que la question de la restructuration peut se poser. Elle n’a d’ailleurs d’intérêt que lorsqu’un choix se pose encore à l’entreprise en proie à des difficultés financières. Ce choix se pose d’ailleurs dans une fenêtre souvent étroite pendant laquelle l’entreprise fait face à des difficultés qu’elle peut encore surmonter seule. Mais pour combien de temps encore ? La question est cruciale. Les modalités de la résolution des difficultés ne doivent pas devenir un nœud gordien, à un point tel qu’il paralyse la décision dans l’attente d’une procédure collective qui lui sera imposée.
La restructuration précoce, qu’elle soit ou non sous l’égide du tribunal, permet en effet aux entreprises d’appréhender au mieux leurs difficultés financières. L’importance de l’anticipation des difficultés n’est d’ailleurs plus à démontrer ; elle maximise les chances de retournement de l’entreprise, tout particulièrement lorsque la restructuration s’opère dans une phase amiable pour être finalisée rapidement après l’ouverture d’une procédure collective avec un plan dit « prepack ». La restructuration s’inscrit alors dans un cadre préventif, tel que privilégié par le législateur européen. Pour cette raison, la restructuration de l’entreprise est désormais appréhendée sous l’angle d’une véritable gestion stratégique qui prendra en considération l’intensité et la nature des difficultés rencontrées par l’entreprise, ainsi que les conséquences juridiques que les choix opérés peuvent avoir sur elle. Cette gestion stratégique pour éviter l’aggravation des difficultés peut même parfois être à trois bandes, lorsque la perspective de l’ouverture d’une procédure collective devient un levier de négociation face à des créanciers récalcitrants à consentir des efforts financiers.
La question de restructurer ou ne pas restructurer se pose aussi dans les termes d’un dilemme récurrent dans le monde de l’entreprise : une restructuration trop tardive risque d’obérer toute chance de sortir des difficultés ; une restructuration trop précoce recèle un risque réputationnel. Le dilemme est ici objectif, quand la question relève finalement plus de l’humain. Au choc des mots, le poids de la décision. Celle de dirigeants qui redoutent l’ouverture d’une procédure collective dont ils craignent les effets économiques dévastateurs. La question n’est finalement pas plus celle d’une préoccupation, que celle d’une action. Le droit dispose d’outils permettant d’anticiper les difficultés de l’entreprise, que ce soit dans un cadre amiable ou sous le contrôle du juge. En conséquence, au-delà de la question de restructurer ou de ne pas restructurer, il appartient surtout aux dirigeants d’agir.
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