La constitution des sociétés de capitaux à l’aune de la dématérialisation des titres

N’TCHATAT TOUNYA Fabrice Léonel
Docteur en droit – ATER à l’université Paris Nanterre

Résumé

Avant la réforme de l’acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique (AUDSCGIE) en 2014, les sociétés par actions simplifiées (SAS) n’existaient pas dans l’espace OHADA et la naissance des sociétés anonymes (SA) nécessitait la rédaction d’un contrat de société et l’émission de titres physiques. La réforme a eu pour effet, entre plusieurs innovations, d’introduire, d’une part, les SAS pour simplifier la création d’entreprises, notamment PME, et, d’autre part, la dématérialisation des valeurs mobilières par le truchement de l’article 744-1. Ainsi, la démarche de constitution de ces sociétés s’est vue profondément modifiée. Désormais, les statuts doivent être ajustés pour supprimer la numérotation des titres et spécifier les modalités de gestion des titres dématérialisés. De plus, la dématérialisation a entraîné des changements dans les modalités d’émission et de transmission des titres, remplaçant les émissions de titres physiques par des titres dématérialisés et la transmission physique par des virements de compte à compte. Face à ces évolutions normatives, les notaires éprouvent des difficultés à assimiler ces nouveaux processus, nécessitant ainsi une sensibilisation. En outre, le rôle des dépositaires centraux dans la gestion des titres dématérialisés des SA et SAS s’avère crucial dans ce nouveau contexte.

Introduction

L’article 2 du Traité OHADA énumère l’ensemble des matières qui entrent dans le domaine du droit des affaires en commençant par le droit des sociétés. Ainsi, cette matière, constituant le premier élément de cette liste, fut le fruit de l’acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique (AUDSCGIE) du 17 avril 1997. Constitué d’un corpus juris de 920 numéros d’articles, l’acte uniforme qui rénovait le droit des sociétés commerciales consacrait quatre types de sociétés : la Société en Nom Collectif (SNC), la Société en Commandite Simple (SCS), la Société A Responsabilité Limitée (SARL) et enfin la Société Anonyme (SA)[1]. La constitution classique de cette dernière va de la formation d’un contrat de société à la création des valeurs mobilières qui débouche sur la délivrance du titre papier à l’actionnaire[2]. Pour ce faire, à l’offre de contrat répond une acceptation, la souscription[3]. C’est donc lors de la rencontre des volontés, et sous la réserve unique du succès de l’opération, que le contrat est formé[4]. Ladite souscription se fait au moyen d’un bulletin de souscription[5] établi par les fondateurs ou par l’un d’entre eux, daté et signé par le souscripteur ou par son mandataire, qui écrit en toutes lettres le nombre de titres souscrits[6]. Par la suite, la société émettrice doit procéder à la fabrication des titres physiques qu’elle remet au souscripteur pour lui conférer la pleine qualité de propriétaire tout en faisant de lui le possesseur du titre[7].

Cependant, il importe de relever que la SA ainsi que la SARL étaient largement inspirées du droit français, mais les règles applicables à ces dernières présentaient le désavantage de contenir de nombreuses dispositions d’ordre public. Ce qui se révélait particulièrement contraignant pour nos économies fragiles[8]. En outre, même en droit français, l’excès de réglementation de la SA a poussé à adopter une formule très allégée, la Société par Actions Simplifiée (SAS)[9]. C’est alors que l’AUDSCGIE du 30 janvier 2014 introduit la SAS pour répondre à plusieurs attentes des acteurs de la vie économique africaine. Ainsi, elle conviendrait aux petites et moyennes entreprises souhaitant adopter une structure juridique souple[10] ; contribuant, par là même d’une part, à favoriser la création et le développement des entreprises, et d’autre part, à encourager les investissements locaux et étrangers de la zone. Tel qu’il ressort des définitions de la SA (art. 385) et de la SAS (art. 853-1) par l’AUDSCGIE de 2014, les actions sont au cœur de ces formes de sociétés. Encore appelées titres de capital, les actions sont une typologie de valeurs mobilières[11] (art. 744) qui servent également d’outils de financement sur les marchés financiers[12]. Ces marchés, embryonnaires dans l’espace OHADA, le législateur communautaire a voulu les impulser en instaurant, par le biais de l’article 764 de l’AUDSCGIE du 17 avril 1997, la dématérialisation facultative des valeurs mobilières[13]. Mais cela s’est avéré inefficace dans la mesure où, d’une part, les marchés financiers n’ont pas connu l’essor escompté, notamment en zone CEMAC et, d’autre part, il était important de relever que les opérations sur titres ne se font pas essentiellement à la Bourse. En effet, dans le contexte économique actuel, la plupart de ces opérations s’effectuent sur le marché primaire[14] et encore plus sur le marché de gré à gré[15]. C’est donc conscient de cet état des choses qu’en 2014, le législateur OHADA, à l’article 744-1 de l’AUDSCGIE, étend le principe de dématérialisation à toutes les valeurs mobilières en y faisant une obligation pour toutes les sociétés par actions.

Avec la consécration de la SAS, on s’attendrait à suivre un schéma de constitution similaire à celui prévu dans l’AUDSCGIE de 1997, à l’exception des règles relatives au minimum de capital d’une SA de 10.000.000 FCFA, etc. Seulement, cette forme est consacrée au même moment que l’inscription en compte obligatoire des valeurs mobilières et tombe donc sous le coup de cette obligation. Rejoignant donc les SA dans l’obligation de dématérialiser les titres, ces dernières doivent codifier leur émission et inscrire en compte leurs titres, puis les conserver de façon électronique en interne ou auprès d’un Teneur de Comptes Conservateur (TCC)[16]. Ces nouvelles, exigences dont les acteurs économiques ainsi que les professionnels ne sont pas très au fait[17], affectent la démarche processuelle classique de création d’une société par actions, emportant des implications concrètes aussi bien sur des aspects institutionnels qu’organisationnels. C’est dans cette veine que, sans contour, le sujet soulève la question de savoir quelles implications de l’article 744-1 de l’AUDSCGIE du 30 janvier 2014 observe-t-on sur la constitution des sociétés anonymes et des sociétés par actions simplifiées. Pour y répondre, il convient de relever de prime abord que dans l’AUDSCGIE du 17 avril 1997, la constitution d’une société par actions dénotait deux grands axes. Le premier axe concernant le notaire avec la rédaction des statuts et la réalisation des apports, le deuxième concernant la société elle-même avec la fabrication des titres physiques ayant pour corollaire leur détention matérielle. Ces deux grands axes permettent de voir concrètement comme implications de l’article 744-1 d’une part sur le plan notarial, la formalité d’un nouveau canon de rédaction des clauses inhérentes aux titres (I) ; et d’autre part sur le plan organique, la détention immatérielle et intermédiée des valeurs mobilières (II).

I. Sur le plan notarial : la formalité d’un nouveau canon de rédaction des clauses inhérentes aux titres

Le principe de dématérialisation fixé par l’article 744-1 de l’AUDSCGIE de 2014 a induit l’harmonisation et la mise à jour des statuts posées par les articles 908 et suivants. Malheureusement, les sociétés anonymes créées avant la réforme de l’AUDSCGIE en 2014 continuent de fonctionner avec des statuts qui ne prévoient pas les modalités de gestion des titres dématérialisés. Et celles créées après 2014 qui ne devraient plus émettre de titres physiques[18], se sont constituées en continuant d’appliquer les dispositions de l’AUDSCGIE de 1997, sous l’aménité des notaires et bien parfois à cause de l’incompréhension des nouvelles dispositions de l’AUDSCGIE de 2014 par ces derniers. Ce qui a eu pour conséquence une prolifération de statuts sociaux ayant des mentions obsolètes[19]. Pourtant, l’article 910 de l’AUDSCGIE de 2014 énonce en toute transparence de modifier sur le fond les clauses statutaires incompatibles avec le nouveau droit. Sur ce fondement, la rédaction des statuts depuis 2014 exige que les clauses relatives aux modalités d’émission soient modifiées (A) et celles relatives aux modalités de transmission refondues (B) conformément aux spécificités de la conservation électronique des valeurs mobilières.

A. La modification des modalités d’émission des titres : suppression de numéros d’ordre et comptes-titres

Autrefois, les valeurs mobilières étaient représentées par des certificats et détenues directement par leurs titulaires. Leur transfert résultait alors, s’agissant de titres au porteur, de la remise physique, de la main à la main (tradition), des certificats à l’acquéreur. Ce certificat, dénommé « titre au porteur », était numéroté et détaché initialement d’un carnet à souche. S’agissant de titres nominatifs, le transfert était considéré sur les registres de l’émetteur, avec enregistrement du nouveau propriétaire, suivi de la remise à l’intéressé d’un certificat nominatif à son nom[20]. Les valeurs mobilières étaient numérotées pour des raisons de standardisation et de traçabilité. À partir du premier tiers du 19e siècle, les transactions financières se développaient, et il était essentiel d’avoir un système de numérotation pour identifier et suivre ces titres. En conséquence, mentionner la numérotation était essentielle dans les statuts sociaux tels qu’on pouvait le lire dans ceux rédigés dans l’espace OHADA à l’aune de l’AUDSCGIE de 1997 à l’exemple qui suit : « Le capital social est fixé à 10.000.000 FCFA et divisé en 1.000 actions nominatives d’une valeur nominale de 10.000 FCFA souscrits par… numérotés de 1 à 1.000 ».

Le principe de dématérialisation posé par l’article 744-1 de l’AUDSCGIE et porteur de plusieurs enjeux[21] dont la mise en œuvre avait une incidence sur le régime des titres nécessitait une révision de la gestion matérielle posée par les statuts. En effet, comme il a été remarqué en France il y a trois décennies, « l’opération de dématérialisation des valeurs mobilières, entamée en 1981, a permis de supprimer le support papier, de transformer les titres nominatifs ou au porteur en valeurs scripturales, et ainsi de libérer un espace réel, tout en améliorant l’efficacité des échanges. Elle vise à permettre une plus forte efficacité et une plus grande rapidité de la circulation des titres, mais aussi avec une préoccupation de lutte contre la fraude fiscale, et donc de contrôle »[22]. Le mécanisme ayant les mêmes manifestations dans l’espace OHADA, la suppression du support papier par l’entremise de l’article 744-1 de l’AUDSCGIE de 2014 a entrainé la suppression de la numérotation physique des titres.

Au regard de ce qui précède, il s’avère utile et nécessaire que les notaires procèdent à la mise à jour effective de ces dispositions en supprimant cette numérotation afin de faciliter la gestion des titres par les sociétés émettrices. Pour ce faire, les clauses actant ladite suppression et prenant en compte les nouvelles modalités de gestion des titres pourraient être écrites ainsi qu’il suit : « Le capital social est fixé à 10.000.000 FCFA et divisé en 1.000 actions nominatives d’une valeur nominale de 10.000 FCFA souscrits par … inscrits dans les comptes-titres de chaque actionnaire ». Cette clause pourrait être accompagnée de celle suivante : « Chaque actionnaire détient ses titres dans son compte-titres individuel en contrepartie d’une attestation de propriété. Les comptes-titres sont tenus soit par la société, soit par un teneur de comptes conservateur mandaté par la société ».

B. La refonte des modalités de transmission des titres : le virement de compte à compte

Comme il a été indiqué dans la section précédente, la matérialité des valeurs mobilières impliquait un transfert sola traditione, c’est-à-dire une remise de la main à la main. Bien que cette modalité de transfert puisse faire débat relativement à celle du transfert solo consensus notamment dans un cas de vente qui suppose un transfert de propriété dès consentement sur la chose et le prix, l’objet de notre étude est de relever qu’il était nécessaire dans la gestion matérielle des titres de passer le certificat de la main du vendeur à la main de l’acheteur afin que celui-ci en acquière la pleine propriété. Il fallait en effet acter la dépossession du cédant au profit du cessionnaire par une remise palpable du bien. C’est dans ce sillage qu’en 1997, le législateur OHADA disposait à l’article 764 de l’AUDSCGIE que : « La transmission des actions s’opère selon les modalités suivantes : 1°) pour les sociétés ne faisant pas appel public à l’épargne : – par transfert sur les registres de la société pour les actions nominatives, les droits du titulaire résultant de la seule inscription sur les registres de la société ; – par simple tradition pour les actions au porteur. Le porteur du titre est réputé en être le propriétaire ». Mais les traitements manuels inhérents à ce système de détention directe de titres physiques ont, en effet, engendré des lourdeurs prohibitives, aussi bien en termes de temps de traitement que de coûts[23] dans la mesure où chaque transfert devrait faire l’objet, pour les titres au porteur, de vérifications préalables destinées notamment à prévenir les risques de fraude ou de vol et, pour les titres nominatifs, de retranscription obligatoire dans les livres des agents de change (intermédiaires) ayant le monopole de la négociation des valeurs mobilières, et d’une inscription dans les registres de l’émetteur. Ces diligences obligatoires occasionnaient des suspensions de livraison et de règlement[24].

Il est donc apparu nécessaire de tirer profit du numérique pour dynamiser le marché des titres. En effet, la dématérialisation facilite, du moins favorise, la circulation des valeurs mobilières pour les besoins de célérité économique et assure une centralisation forte pour les besoins de sécurité et de stockage des valeurs mobilières[25]. C’est donc à juste titre que le législateur OHADA la consacre à l’article 744-1 de l’AUDSCGIE de 2014 en précisant que les valeurs mobilières se transmettent par virement de compte à compte. Hélas, les notaires n’ont pas encore appréhendé cette nouvelle disposition ; ce qui a pour répercussion la rédaction de clauses obsolètes (suivant les dispositions de l’article 764 précédemment cité) comme on peut le lire dans plusieurs statuts ainsi qu’il suit : « Les transferts d’actions s’effectuent selon la procédure suivante : – par transfert sur les registres de la société, pour les actions nominatives ; les droits des détenteurs résultent de l’inscription unique sur les registres de la société ; – par simple livraison pour les actions au porteur. Le porteur de l’action est réputé être le propriétaire. ». Restant dans une démarche d’appropriation et de vulgarisation du droit OHADA, nous préconisons que les clauses inhérentes à la transmission des valeurs mobilières soient rédigées comme il suit : « Les actions sont transmises par virement de compte à compte et leur transfert de propriété résulte de leur inscription dans le compte-titres de l’acquéreur conformément à l’article 744-1 de l’acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique. »

Par ailleurs, il convient de relever que les délais accordés aux notaires pour se conformer à ces nouvelles dispositions étaient de deux ans à compter de la date d’adoption dudit acte uniforme (cf. article 915). La pratique, éternelle opposée de la théorie, révèle le constat, dix ans plus tard, qu’une majorité du corps notarial n’est pas à jour de ses obligations et continue de rédiger les statuts selon les anciennes dispositions de l’AUDSCGIE de 1997. Raisons faites de l’incompréhension du nouveau mécanisme entrainant une insuffisance professionnelle dans la rédaction des statuts à l’aune de l’AUDSCGIE nouveau. Le Cameroun ayant fixé les modalités de dématérialisation des valeurs mobilières par sa loi n° 2014/007 du 23 avril 2014, la non prise en compte des réformes de l’AUDSCGIE de 2014 par les notaires a eu pour conséquences, d’une part, le rejet des statuts (avec les dispositions obsolètes) auprès de la Caisse Autonome d’Amortissement au Cameroun dans le processus de dématérialisation des valeurs mobilières et, d’autre part, l’insécurité juridique inhérente à la gestion des valeurs électroniques des actionnaires. Pour y remédier, des solutions pourraient être envisagées qui consistent par exemple à sensibiliser ou à planifier des ateliers de renforcement des capacités des notaires de l’espace OHADA. Ces campagnes de sensibilisation ou de formation permettraient aux notaires de relever l’influence de l’article 744-1 de l’AUDSCGIE de 2014 sur certaines dispositions des statuts sociaux lors de leur rédaction ; laquelle exige désormais que, d’une part, la numérotation consécutive des titres soit supprimée et, d’autre part, les modalités de transferts de titres soient modifiées. En outre, pour la bonne mise en œuvre de ces nouvelles modalités, il serait également intéressant que les commissaires aux comptes soient incités à une prise de conscience de leur mission régalienne[26].

II. Sur le plan organique : une détention immatérielle et intermédiée des titres

La transition vers l’inscription en compte des valeurs mobilières entraîne une circulation électronique ou dématérialisée des titres, instaurant une détention immatérielle et intermédiée des actifs financiers. Cette évolution marque un changement fondamental dans la conception traditionnelle où les titres étaient matérialisés par des documents physiques. Désormais, la dématérialisation permet l’existence des valeurs mobilières directement sur support électronique, sans nécessité de certificat physique. Les titres sont conservés et échangés via des inscriptions en compte, témoignant de la primauté du negotium sur l’instrumentum. Les teneurs de comptes jouent un rôle crucial dans cette nouvelle architecture financière, assurant la conservation des actifs et la tenue des comptes, ce qui représente une dépossession des titulaires au profit de ces entités intermédiaires[27]. Cette transformation vers une détention immatérielle et intermédiée des valeurs mobilières, consacrée dans le cadre des pratiques régies par la convention d’UNIDROIT, a marqué un tournant majeur dans le paysage financier[28]. Ainsi, non seulement dans leur fonctionnement, mais également lors de leur constitution, les sociétés émettrices voient leur rôle renforcé, particulièrement avec la conservation des titres nominatifs purs dans des logiciels dédiés (B) mais bien après que ces titres aient été codifiés et enregistrés en compte auprès du dépositaire central (A).

A. L’exigence d’une codification de l’émission et de l’inscription en compte des titres : le rôle notoire du dépositaire central

En droit OHADA, la constitution classique d’une société passe généralement par la rédaction de statuts, la réalisation des apports et aboutit à une immatriculation au RCCM qui lui confère la personnalité morale. Suite aux implications de l’article 744-1 de l’AUDSCGIE de 2014 sur le mode de détention des valeurs mobilières, la constitution des sociétés par actions exige désormais la présence d’un nouvel acteur appelé dépositaire central ou dépositaire national comme il est le cas au Cameroun. En effet, ce nouvel acteur joue un rôle incontournable dans la création des sociétés émettrices avec la codification du capital de la société nouvellement constituée et l’ouverture ou la modification du compte courant du TCC. Pour ce faire, le dépositaire central codifie et inscrit en compte l’ensemble des titres nouvellement créés qui constituent le capital[29]. Cette prérogative du dépositaire central et nouvelle obligation pour les nouvelles sociétés par actions nécessite d’être consacrée sur le plan régional par l’AUDSCGIE et dans un premier temps par les textes communautaire et interne le cas échéant[30].

De façon pratique, la démarche consisterait, après l’immatriculation de la société pour l’obtention du RCCM, à codifier l’émission et à inscrire les titres en compte auprès du dépositaire central. La codification de l’émission auprès du dépositaire central consiste à donner un numéro d’immatriculation unique appelé code ISIN à chaque groupe de valeurs nouvellement créées. Elle permet la centralisation d’une importante base de données auprès du dépositaire central renseignant sur toutes les nouvelles personnes morales émettrices et sur l’ensemble des titres en circulation[31]. Seulement, il n’est prévu aucun délai pour la codification et l’inscription en compte auprès du dépositaire central dans la procédure de constitution des sociétés par actions.

Concernant les délais de codification du capital après immatriculation au RCCM, on pourrait pallier ce mutisme en transposant par exemple dans la procédure de constitution de la société les délais prévus à l’article 22 alinéa 2 du décret camerounais n° 2014/3763 du 17 novembre 2014 fixant les conditions d’application de la loi n° 2014/007 du 23 avril 2014 qui fixe les modalités de dématérialisation des valeurs mobilières qui dispose que : « Pour les émissions des valeurs mobilières postérieures à la signature du présent décret, ils doivent transmettre au dépositaire central, dans un délai de trente jours à compter de l’immatriculation au registre du commerce et du crédit mobilier, toutes les informations relatives aux opérations d’augmentation et de réduction du capital ». Les mêmes termes peuvent donc être repris, mais seront supprimées les mentions relatives aux opérations d’augmentation et de réduction du capital, étant donné que dans ce cas, le capital est nouveau. Autrement dit, les délais alloués pour la codification du capital seraient de 30 jours après immatriculation au RCCM[32].

B. L’obligation d’une conservation et d’une gestion scripturale : l’impératif d’un logiciel dédié

Les certificats d’actions ou d’obligations, constituant les titres physiques, étaient soigneusement conçus pour assurer leur sécurité et leur traçabilité. Imprimés sur du papier sécurisé, ils arboraient souvent des éléments de sécurité tels que des filigranes ou des micro-impressions pour prévenir la contrefaçon. Leur design spécifique comportait généralement le logo ou le nom de la société émettrice, et ils étaient standardisés en format pour faciliter leur manipulation et leur stockage. Chaque certificat comprenait des informations essentielles telles que le nom de la société, le numéro d’enregistrement, le nombre d’actions ou le montant nominal pour les obligations, ainsi que des signatures certifiées et des cachets de la société. Certains étaient également munis de codes-barres ou de numéros de série uniques pour faciliter leur suivi. Globalement, la conception visait à garantir l’authenticité des titres tout en fournissant aux investisseurs des informations claires sur leurs droits de propriété dans la société émettrice. Avec la consécration de la dématérialisation des valeurs mobilières et la suppression des titres papiers, ce sont des titres électroniques qui sont désormais à disposition des actionnaires, mais dans un compte-titres. Celui-ci est appréhendé comme un compte où sont inscrites les valeurs mobilières et où sont effectuées toutes les opérations relatives auxdits titres, notamment le transfert, l’administration, la gestion et la conservation. Ce compte permet de passer toutes les opérations relatives aux titres inscrits dans le compte, telles que les ordres d’achat et de vente de titres sur le marché financier ou sur le marché de gré à gré.

Ainsi, de façon concrète, après codification de l’émission de la nouvelle société suivant la procédure précédemment déclinée, intervient la conservation électronique des titres. Il s’agit ici d’ouvrir des comptes titres aux actionnaires soit au sein de la société pour les titres nominatifs[33]purs[34], soit auprès d’un teneur de comptes conservateur pour les titres nominatifs administrés[35] ou au porteur[36]. Pour ce faire, la mise en œuvre de cette phase nécessite l’acquisition d’un outil dédié de gestion de titres électroniques (ex. EMDiS[37]) et un personnel qualifié pour la gestion des titres électroniques en interne ou le recours à un TCC pour la conservation en externe[38]. Une fois les titres inscrits en compte, au sein de la société ou auprès d’un teneur de comptes conservateur, l’entité chargée de la gestion des titres doit délivrer une attestation de propriété au titulaire des titres[39].  Au Cameroun et au Gabon, ladite attestation doit comporter les mentions suivantes : le code de l’adhérent qui est une personne physique ou morale propriétaire des titres ; les éléments d’identification du propriétaire des titres et de son adresse ; le code valeur (code ISIN) ; le libellé de la valeur (avec indication du taux d’intérêt et de l’échéance pour les obligations détenues) ; la catégorie d’avoirs ; le débit titres ; le crédit titres ; le solde ancien et le solde nouveau de titres ; la date de la dernière mise à jour[40].

Par ailleurs, le régime d’inscription en compte implique que la totalité des titres inscrits en compte chez les teneurs de comptes corresponde, en permanence, au total des titres émis, comptabilisés par le dépositaire central. Pour que cette adéquation puisse se vérifier, il est nécessaire que les titres comptabilisés par le dépositaire central aux comptes des centralisateurs et des domiciles soient inscrits chez eux dans des comptes justifiant ces avoirs. Ces comptes ne sont pas des comptes de titulaires réels, mais des comptes de transit. En conséquence, chaque teneur de comptes doit servir une comptabilité-titres spécifique à sa fonction de centralisation ou de domiciliation :

  • cette comptabilité doit être distincte de sa comptabilité-titres de teneur de comptes des titulaires inscrits chez lui ;
  • les principes généraux de la comptabilité-titres s’appliquent également à la comptabilité par valeur, en partie double, authentifiée par un journal des opérations ;
  • la nomenclature des comptes et leur utilisation sont conformes à celle préconisée par le dépositaire central, dans le cadre d’une instruction[41].

Conclusion

La dématérialisation des valeurs mobilières ouvre une nouvelle ère dans le fonctionnement et la constitution des sociétés par actions : les titres physiques cèdent la place à des écritures en compte, redéfinissant ainsi la gestion des titres – la détention devient désormais immatérielle et passe par des intermédiaires (société émettrice ou teneur de comptes conservateur) – la transmission des titres est remplacée par des virements de compte à compte- – etc. Les nouvelles exigences imposées aux sociétés par actions incluent la codification des émissions, l’ouverture de comptes titres pour les actionnaires et l’arrêt de l’émission de titres physiques. Cette évolution majeure confère à la société émettrice un rôle accru de teneur de comptes, remodelant ainsi les bases de sa constitution dans la région OHADA dont les principaux acteurs, fondateurs et notaires, doivent en maitriser les contours juridiques aux fins de conformité.

[1] P. G. POUGOUE (dir.), Encyclopédie du droit OHADA, Lamy, 2011, p. 1884.

[2] F. L. N’TCHATAT TOUNYA, La dématérialisation des valeurs mobilières en zone CEMAC, Thèse de Doctorat en droit privé, Université de Yaoundé II, 2020, p. 59

[3] « Il est nécessaire de distinguer deux notions qui souvent prêtent à confusion, à savoir la souscription et la libération des actions. La souscription est l’engagement pris par l’actionnaire d’apporter une somme d’argent (apport en numéraire) ou bien déterminé (apport en nature), cf. article 388 AUDSCGIE. Par contre libérer un apport n’est rien d’autre que la concrétisation de l’engagement pris par le versement effectif de la somme ou du bien promis » ; Cf. P. G. POUGOUE (dir.), Encyclopédie du Droit OHADA, op. cit., p. 2097.

[4] F. G. TREBULLE, L’émission de valeurs mobilières par les sociétés par actions en droit français, Paris 1, 1999.

[5] Cf. art. 392 en ses alinéas 3, 6, 5 et 7.

[6] Art. 390 de l’acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique.

[7] F. L. N’TCHATAT TOUNYA, La dématérialisation des valeurs mobilières en zone CEMAC, Yaoundé II, 2020, p. 62.

[8] J. M. PEDRON, « L’introduction de la SAS dans l’espace OHADA, un vent de liberté en Afrique francophone », JCP E, 2014, p. 1099.

[9] P. LE CANNU et B. DONDERO, Droit des sociétés, 9e éd., LGDJ, 2022, pp. 697 – 4701

[10] J. M. PEDRON, « L’introduction de la SAS dans l’espace OHADA, un vent de liberté en Afrique francophone », op. cit.

[11] V. essai de définition de l’article 1er de la loi française du 23 décembre 1988 relative aux OPCVM : « … titres émis par des personnes morales publiques ou privées, transmissibles par inscription en comptes ou tradition, qui confèrent des droits identiques par catégorie et donnent accès, directement ou indirectement, à une quotité du capital de la personne morale émettrice ou à un droit de créance général sur son patrimoine ».

[12] T. BONNEAU, « Commentaire de l’ordonnance n°2009-15 du 8 janvier 2009 relative aux instruments financiers », La Semaine Juridique Entreprise et Affaires, n°5, 2009, p. 1105 ; v. aussi C. De WATRIGANT, « Instrument financier et valeur mobilière », Petites Affiches, n°84, 2010, p. 6.

[13] L’article 764 introduisait la dématérialisation des valeurs mobilières par le biais d’une inscription en compte, cependant, de manière facultative et sélective. Pour les sociétés anonymes non cotées en bourse, cette démarche n’était pas envisageable, car elles étaient contraintes de gérer leurs actions de manière physique, avec des transferts traditionnels de titres. Pour les sociétés cotées, la dématérialisation restait facultative, mais limitée aux actions seulement.

[14] Le marché primaire est celui des émissions de titres. Il met en relation les agents à déficit de financement c’est-à-dire les entreprises, les collectivités locales et l’Etat qui émettent des produits financiers (actions, obligations et autres produits), et les agents à surplus de financement, les épargnants, essentiellement les ménages, qui les souscrivent. Ce compartiment remplit une fonction de financement, d’allocation du capital.

[15] Le marché de gré à gré est défini comme un marché sur lequel les transactions sont conclues directement entre le vendeur et l’acheteur.

[16] F. L. N’TCHATAT TOUNYA, « La conservation des titres électroniques au Cameroun », Revue Lamy Droit de l’Immatériel, n° 189, 2022, p. 38.

[17] Infra p. 4.

[18] L’article 919 de l’AUDSCGIE de 2014 abroge l’AUDSCGIE de 1997 pérennisant ainsi l’obligation d’inscription en compte des titres. Parallèlement, il est intéressant de constater que le Cameroun interdit textuellement aux sociétés par actions l’émission de titres non dématérialisés (art. 13.1 de la loi camerounaise
n° 2014/007 relative à la dématérialisation des valeurs mobilières).

[19] F. L. N’TCHATAT TOUNYA, La dématérialisation des valeurs mobilières en zone CEMAC, op. cit. p. 70.

[20] Ibid. p. 13.

[21] Infra p. 7.

[22] L. BARRE, Le dépôt de titres financiers et le droit commun, Toulouse, 2015, p. 57.

[23] Impression des certificats, création d’un service titres dans chaque société émettrice pour gérer les radiations et les inscriptions d’actionnaires ; gestion matérielle au quotidien – annulation de certificats vendus – mise en circulation de nouveaux certificats pour les acheteurs ; des actionnaires qui n’encaissent pas leurs dividendes ou des dividendes payés en trop ; fraudes et falsifications.

[24] F. L. N’TCHATAT TOUNYA, La dématérialisation des valeurs mobilières en zone CEMAC, op. cit. p. 13.

[25] Ibid.

[26] Cette incitation visera à sensibiliser les commissaires aux comptes sur l’importance de leurs rapports dans lesquels ils doivent exiger des sociétés dont ils ont la charge, le respect des dispositions légales en vigueur ; cf. P. ETOUNDI OTTOU, « Processus de dématérialisation des valeurs mobilières au Cameroun », communication lors d’un atelier organisé par la Caisse Autonome d’Amortissement, janvier 2018, p. 53.

[27] F. L. N’TCHATAT TOUNYA, La dématérialisation des valeurs mobilières en zone CEMAC, op. cit. pp. 133 – 135.

[28] La Convention d’UNIDROIT sur les règles matérielles relatives aux titres intermédiés de 2009 en son article 1 b) définit la détention de titres intermédiés comme des titres portés au crédit d’un compte de titres ou tous droits sur des titres qui résultent du crédit de titres à un compte de titres

[29] Cf. F. L. N’TCHATAT TOUNYA, La dématérialisation des valeurs mobilières en zone CEMAC, op. cit., pp. 139 et 248.

[30] Ibid. p. 252.

[31] F. L. N’TCHATAT TOUNYA, La dématérialisation des valeurs mobilières en zone CEMAC, op. cit., p. 252.

[32] Ibid. p. 140.

[33] Les titres nominatifs sont des titres émis par une société ou une collectivité et immatriculé au nom du propriétaire dans les livres de la société ou de la collectivité. S. GUINCHARD et T. DEBARD (dir.), Lexique des termes juridiques, 25e éd., Dalloz, 2018, p. 2013. : « La caractéristique du titre nominatif est qu’il porte l’indication du nom de son titulaire ».

[34] Le titre nominatif pur est celui dont la société assure elle-même la gestion au moyen d’un service titres dédié ; cf. F. L. N’TCHATAT TOUNYA, La dématérialisation des valeurs mobilières en zone CEMAC, op. cit., p. 48.

[35] Titre pour lequel l’entreprise délègue la gestion des titres du titulaire à un intermédiaire qu’elle choisit ; cf. F. L. N’TCHATAT TOUNYA, La dématérialisation des valeurs mobilières en zone CEMAC, op. cit., p. 49.

[36] S. GUINCHARD et T. DEBARD, Lexique des termes juridiques, op. cit., p. 2011. : « Le titre au porteur est une valeur qui ne renseigne pas le nom du titulaire mais qui porte simplement un numéro d’ordre ». Le porteur (celui qui le possède) est considéré comme le propriétaire. Les intérêts, dividendes ou tout produit d’une vente sont payables au porteur.

[37] EMDiS ou Easy Management Digital Securities est un logiciel web développé par LEO SAS qui permet à la société d’assurer : la sécurité des titres par différents niveaux d’accès ; la représentation du compte émission ; la transcription du code ISIN attribué par le DN ; la création des comptes titres ; l’identification des actionnaires ; la conservation des comptes-titres ; les opérations sur titres : vente – achat – transfert – nantissement ; le journal des transactions ; et bien d’autres fonctionnalités. V. EMDiS – Leo (lexenimomnia.com)

[38] F. L. N’TCHATAT TOUNYA, « La conservation des titres électroniques au Cameroun », Revue Lamy Droit de l’Immatériel, op. cit., p. 38.

[39] Article 3 alinéa 2 de la loi camerounaise n° 2014/007 et article 6 alinéa 5 de la loi gabonaise n° 027/2016 : « l’émetteur ou le teneur de compte-conservateur délivre au propriétaire, à son mandataire ou au détenteur des valeurs mobilières, une attestation portant sur les caractéristiques et le nombre de titres qu’il détient ».

[40] Article 18 du décret camerounais n° 2014/3763 et article 23 de la loi gabonaise n° 027/2016.

[41] F. L. N’TCHATAT TOUNYA, La dématérialisation des valeurs mobilières en zone CEMAC, op. cit. p. 138.

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