Intégration de la rse en droit OHADA au travers des codes de gouvernement d’entreprise : pour un nouveau paradigme

Anaclet NZOHABONAYO

Professeur associé à l’université du Burundi

Christian BYAOMBE MALUMALU

Doctorant en droit à l’université Catholique de Louvain

 

La RSE peut s’immiscer en droit des sociétés OHADA au travers des codes de gouvernement, pourvu qu’ils adoptent un changement de paradigme ou de la vision dominante limitée à l’organisation des relations entre les actionnaires et les dirigeants sociaux. Or, pour intégrer les enjeux de la RSE, ces codes doivent élargir leur champ aux différentes parties prenantes à la vie de l’entreprise, notamment des salariés, clients, fournisseurs, créanciers, populations locales et l’État. Un tel changement de paradigme peut se fonder sur la conception mixte de l’intérêt social et la récente consécration du reporting extrafinancier dans l’espace OHADA. Ceci implique par ailleurs que les organisations représentatives des entreprises fassent participer les parties prenantes, en amont, au processus d’adoption et en aval, au contrôle d’application de codes de gouvernement d’entreprise à travers, par exemple, un comité RSE ou ESG.

Introduction

L’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA) ambitionne désormais d’intégrer la Responsabilité sociétale des entreprises (RSE) dans son dispositif juridique[1]. La doctrine, bien qu’encore moins dense, a pu anticiper et penser aux diverses modalités de réaliser cette ambition. Toutefois, il existe une divergence fondamentale qui caractérise ces diverses modalités. Il s’agit entre autres de la conception de la dimension “contrainte” ou non de l’instrument d’intégration de la RSE à adopter. Certains auteurs promeuvent le recours au droit mou, en l’occurrence l’adoption d’une charte OHADA sur la RSE[2]. En revanche, d’autres privilégient le choix du droit dur pour intégrer les dimensions de la RSE en droit OHADA par le biais des actes uniformes,[3] et ce, selon deux possibilités : révisions des actes uniformes existants[4] ou l’adoption d’un nouvel acte uniforme portant sur la RSE ou sur l’éthique des affaires[5].  Une catégorie d’auteurs estime qu’eu égard aux difficultés pratiques liées à la longue durée et au coût de la procédure d’adoption et de révision d’un acte uniforme ainsi qu’au développement très rapide de la RSE, la démarche volontariste semble a priori probable et réaliste[6]. Cette considération s’écarte non seulement de la tendance récente de durcir la RSE à la française, mais surtout, elle met en lumière un autre potentiel instrument de la RSE à savoir le Code d’éthique et de gouvernement d’entreprise.

Des spécialistes défendent l’idée de l’immixtion de la RSE en droit des sociétés OHADA au travers des codes de gouvernement d’entreprise prévus en droit OHADA[7]. Qui plus est, des codes de gouvernance émergent dans l’espace OHADA. L’on peut citer notamment le Code sénégalais de gouvernance d’entreprise, le code camerounais de gouvernance d’entreprise et le Règlement relatif au Gouvernement d’entreprise dans les établissements de crédit de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC)[8]. Mais, la lecture de ces codes met en brèche l’idée précédemment avancée, d’autant plus que la majorité ne fait pas référence aux enjeux de la RSE. Ces codes se limitent à organiser les relations entre les actionnaires et les dirigeants de l’entreprise.

Pourtant, ces codes peuvent élargir leur champ pour appréhender « l’ensemble des relations qu’entretient une entreprise avec ses différents stakeholders, c’est-à-dire l’ensemble des parties prenantes à la vie de l’entreprise, à savoir les salariés, les clients, les fournisseurs, les créanciers »[9] ; ce qui passe par un changement de paradigme de gouvernance. Il s’agit de passer d’une vision de gouvernance actionnariale à une vision plus ou moins partenariale ou encore de création de la valeur durable. Ainsi, dans une optique volontariste, la RSE peut pénétrer le droit OHADA par un code de gouvernement adopté par des organisations représentatives des entreprises, avec l’avantage de tenir compte des spécificités et des contextes de leurs activités.

Il convient d’examiner les implications d’un tel changement de paradigme sur le contenu et le processus d’adoption d’un code de gouvernement. D’une part, la prise en compte des intérêts des parties prenantes procéderait par l’intégration des dimensions de la RSE dans le code de gouvernement d’entreprise (I). D’autre part, l’intégration de la RSE serait réalisée à travers la participation des parties prenantes au processus d’élaboration et d’application du code de gouvernement d’entreprise (II).

I- Prise en compte des intérêts des parties prenantes à travers l’intégration de la RSE au Code de gouvernement d’entreprise

L’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique (AUSCGIE) ne préjuge pas du fond du Code de gouvernement d’entreprise[10]. Il indique uniquement l’organe responsable de son élaboration et sa règle d’application, à savoir « appliquer ou expliquer », ce qui laisse une large marge de manœuvre à une démarche RSE (B). Bien plus, l’AUSCGIE ne définit pas la notion d’intérêt social, boussole de la gouvernance, pour que, par son biais, une prise en compte des intérêts des parties prenantes soit implicitement désavouée. L’AUSCGIE laisse même des indices d’une conception mixte de l’intérêt social que la Cour commune de justice et d’arbitrage (CCJA)[11] semble entrevoir, à travers le contentieux de l’abus de vote. À cet égard, la RSE et l’intérêt social peuvent être rapprochés ; ce qui peut contribuer à l’efficacité de la Note annexe 35 du Système comptable de l’OHADA (SYSCOHADA) qui prévoit une liste des informations sociales, environnementales et sociétales à fournir à publier obligatoirement par des entreprises (A).

A- Conciliation de la RSE et de l’intérêt social à l’aune de la Note 35 du SYSCOHADA

La conception de l’intérêt social de l’AUSCGIE et la Note 35 du SYSCOHADA peuvent servir de tremplin à un système de gouvernance qui combine des préoccupations sociales et environnementales à des objectifs économiques. Dans ce contexte, le Code de gouvernement d’entreprise peut enjoindre ou inciter les organes de la société à prendre en compte les intérêts des parties prenantes, en se référant à la RSE, sans compromettre l’intérêt social[12].

Les arrêts de la CCJA n° 107/2020 du 09 avril 2020 et n° 134/2015 illustrent une conception extensive de l’intérêt social en faveur de la théorie institutionnelle de la société. De l’analyse de ces arrêts, il ressort que l’intérêt social est assimilé à l’intérêt de la société commerciale elle-même, sans le confondre avec un intérêt commun des actionnaires. En effet, ces arrêts renseignent que les décisions ne sont pas constitutives d’abus de majorité pour autant qu’elles soient justifiées par l’intérêt (propre) de la société, bien qu’elles défavorisent tous les actionnaires[13]. Toutefois, la conception stricte de l’intérêt social reste évidente, dans l’AUSCGIE, au travers de la définition contractualiste de la société commerciale en référence à l’intérêt commun des actionnaires. Et, le juge ne peut se départir de cette conception dans certaines situations, comme la dissolution de la société du fait de la disparition de l’affectio societatis[14]. En résumé, l’AUSCGIE recèle en son sein une conception mixte de l’intérêt social. Ce dernier est tantôt assimilé à l’intérêt commun des associés, tantôt à l’intérêt de la société commerciale elle-même[15]. La conception institutionnelle de la société commerciale nous semble plus favorable à guider la mise en place d’une démarche RSE en cherchant la convergence entre les intérêts de toutes les parties prenantes, parmi lesquels le bien-être social et environnemental[16]. Il est par ailleurs désormais admis que :

« Gouverner en tenant compte des intérêts des parties prenantes est devenu un impératif qui n’est plus remis en cause aujourd’hui. Le dogme étrange en vertu duquel une société devrait être gérée exclusivement dans le but de générer un profit monétaire et de le distribuer aux actionnaires est une aberration que les juristes ont contribué à créer et que des penseurs majeurs de l’entreprise dénoncent comme une grave erreur »[17].

En effet, de nos jours, des entreprises sont au cœur d’une communauté d’intérêts plus large et variée (actionnaires, alter ego, salariés, État, société et environnement)[18]. Conséquemment, elles sont appelées à veiller sur ces intérêts.

Il n’en demeure pas moins que les entreprises restent certes soumises à l’impératif catégorique de rentabilité. Les revenus des entreprises doivent être supérieurs aux charges pour éviter de subir des règles de prudence ou la dissolution[19]. Néanmoins, « au-delà de cet impératif financier indéniable, ce qui fait la vitalité, c’est-à-dire la prospérité, d’une société, c’est son interaction avec son environnement social et naturel. Sans cette interaction, la société ne peut produire aucune richesse ». À cet égard, l’on soutient que « tournée vers l’intérieur, la société doit assurer son fonctionnement efficient et sa rentabilité et, d’autre part, tournée vers l’extérieur, elle doit entretenir une relation durable avec son environnement [ses parties prenantes] »[20]. Proche de cette posture, la Note 35 introduit le reporting sociétal et environnemental, en favorisant une conception mixte de l’intérêt social[21].

Dans le cadre de ce reporting initié par la Note annexe 35, le droit OHADA exige aux entreprises comptant plus de 250 salariés de publier une « liste des informations sociales[22], sociétales[23] et environnementales[24] », ce qui les oblige d’adjoindre au rapport de gestion un bilan social et environnemental.

Il peut être reproché au reporting de la Note annexe 35 un caractère moins intégré. Il n’est pas proactif et ne tient pas compte des risques sociétaux et environnementaux. L’on note aussi l’absence des règles spécifiques sur la publication et le contrôle du reporting, ce qui serait un gage de crédibilité de la démarche RSE[25].

Intégrer la démarche RSE dans le Code de gouvernement offre un cadre de publication et de contrôle des informations de la Note 35. Cependant, avec cette Note, la liberté de définir le contenu du Code dont disposent des associations professionnelles s’amenuise, de même la faculté des entreprises d’appliquer ou non certaines clauses. Elles ne peuvent pas aller en deçà des obligations de la Note 35, ce qui exclut en quelque sorte la perspective d’une gouvernance axée sur les intérêts des actionnaires sans prendre en compte des parties prenantes[26] et ouvrir la voie à l’immixtion de la RSE.

B- Immixtion de la RSE au Code de gouvernement d’entreprise : portée et règle d’application

Les dispositions de l’article 831-2 de l’AUSCGIE consacrent la référence aux codes de gouvernement d’entreprise en ces termes :

« Lorsqu’une société se réfère volontairement à un code de gouvernement d’entreprise élaboré par les organisations représentatives des entreprises, le rapport [du président du conseil d’administration à l’assemblée générale] précise également les dispositions qui ont été écartées et les raisons pour lesquelles elles l’ont été. Si une société ne se réfère pas à un tel code de gouvernement d’entreprise, ce rapport indique les règles retenues en complément des exigences requises par la loi et explique les raisons pour lesquelles la société a décidé de n’appliquer aucune disposition de ce code de gouvernement d’entreprise ».

Cette disposition de l’AUSCGIE est spécifique uniquement aux sociétés faisant appel à l’épargne[27]. Toutes les autres sociétés peuvent au demeurant recourir aux codes de gouvernement d’entreprises. D’ailleurs, les différents codes édictés dans l’espace de l’OHADA ne limitent pas leur champ au critère d’appel public à l’épargne. Ils s’étendent leur champ aux entreprises du même secteur d’activité ou membres d’une même organisation professionnelle ou représentative de leurs intérêts. Cela va de soi étant donné qu’il revient à ces organisations d’élaborer le code de gouvernement d’entreprise pour leurs membres. L’on peut citer l’exemple de la charte d’éthique et de bonne gouvernance des sociétés minières élaborée par la Fédération des entreprises du Congo[28] ou le Code camerounais de bonne gouvernance d’entreprise produit par le Groupement inter patronal du Cameroun[29].

La CEMAC et l’UOMOA édictent des codes de gouvernance à destination des entreprises qui exercent les activités dans leur domaine de compétences. La majorité des États parties à l’OHADA sont membres de ces deux organisations sous-régionales d’intégration économique. De même, en RDC, le ministère du portefeuille établit, par une Note circulaire, des règles de bonne gouvernance relative aux entreprises publiques transformées en sociétés commerciales[30]. Une interprétation stricte de l’article 831-2 de l’AUSCGIE peut conduire à exclure ces codes de l’empire de l’AUSCGIE, car n’étant pas élaborés par une organisation représentative des entreprises.

Cette lecture peut priver ces codes d’une certaine force impérative déduite de l’article 831-2 de l’AUSCGIE. En effet, cet article consacre, en guise de principe d’application du code de gouvernement d’entreprise, la règle « appliquer ou expliquer », en anglais « comply or explain », dont la nature hybride tient sur l’autorégulation et l’obligation d’information qui pèse sur les sociétés[31]. À ce propos, l’AUSCGIE impose aux sociétés, dans le cas où celles-ci choisissent de se référer à un code de gouvernement d’entreprise, d’expliquer, dans le rapport, les dispositions qu’elles ont choisies d’écarter et en donne la motivation. Et si une société ne se réfère pas à un tel code de gouvernement d’entreprise, le rapport indique les règles retenues en complément des exigences requises par la loi et explique les raisons pour lesquelles la société a décidé de n’appliquer aucune disposition dudit code.

À la lecture des Codes de la CEMAC et de l’UMOA ainsi que celui dédié aux entreprises publiques en RDC, force est de constater l’absence des impératifs de la RSE ou la prise en compte des intérêts des parties prenantes. Ceci n’est pas le cas pour la Charte de la FEC/RDC, le code sénégalais de gouvernance d’entreprise, et le code camerounais de gouvernance d’entreprise qui s’ouvrent aux intérêts de toutes les parties prenantes.

La Charte du FEC contient des dispositions relatives au respect des droits fondamentaux des personnes[32], à la lutte contre la corruption[33], à la responsabilité sociétale[34] et aux relations avec les employés[35]. Par ailleurs, le code camerounais dispose de tout un chapitre consacré aux relations entre les entreprises et les parties prenantes en s’appuyant notamment sur la RSE[36]. Sous cet angle, il peut s’avérer indispensable de penser à la participation des parties prenantes au processus d’élaboration et/ou d’application du code de gouvernement.

II- Participation des parties prenantes au processus d’élaboration et d’application du Code de gouvernement d’entreprise

Les organisations représentatives des entreprises déterminent librement les modalités d’élaboration du code de gouvernement d’entreprise. À ce titre, dans une optique de promotion et d’acceptabilité de la démarche RSE, elles peuvent envisager une participation en amont des parties prenantes au processus d’élaboration du code (A). Également, pour une participation en aval de ces dernières, l’on peut recommander l’institution d’un comité ESG dédié aux questions de gouvernance et de responsabilité sociale et environnementale, à l’exemple du Code camerounais de gouvernance d’entreprise (B).

A- Participation en amont des parties prenantes au processus d’élaboration du Code de gouvernement d’entreprise

Les organisations représentatives des entreprises peuvent associer ou, au minimum, consulter les parties prenantes en vue de l’élaboration du code de gouvernement d’entreprise. En associant autant de partenaires et en leur conférant de si grands pouvoirs et responsabilité dans l’élaboration du code de gouvernement, on l’ouvre ainsi à l’arbitrage des différents intérêts catégoriels susceptibles de surgir au sein de l’entreprise et on place la RSE au cœur de la stratégie d’entreprise. Il s’agit d’une démocratisation procédurale du code de gouvernement en ce sens que de multiples opinions et intérêts peuvent se croiser et se neutraliser, lors de cette association.

L’on peut observer qu’en, France les entreprises sont tenues d’élaborer leur plan de vigilance en matière de RSE en concertation avec les parties prenantes[37]. Elles peuvent aussi recourir à un contrat durable. Ce dernier serait « tout contrat qui, dans son objet et ses modalités d’exécution, concilie les aspects économiques, sociaux et environnementaux en vue de favoriser la protection des droits fondamentaux et de l’environnement »[38].

Cela étant, il est plausible que les entreprises aillent au-delà d’une simple consultation, au titre de demande d’avis, pour impliquer pleinement les parties prenantes à la rédaction du code de gouvernement d’entreprise. Il est vrai que cette participation ressusciterait l’éternelle critique au stakeholderism à savoir l’identification des parties prenantes, étant donné qu’elles seraient multiples et variées. Avec l’évènement des réseaux sociaux et les enjeux climatiques, les parties prenantes se sont multipliées davantage et s’éparpillent à travers le monde entier.

Les entreprises se regroupent, au sein de leur organisation représentative, notamment selon le secteur d’activité. Ceci peut faciliter d’identifier les parties prenantes à partir des externalités positives ou négatives ou encore des risques propres au genre d’activité. À titre illustratif, les entreprises minières, dans le contexte de la RDC, pourraient avoir des parties prenantes de même nature. Il pourrait s’agir de représentants de l’autorité administrative locale, du Fonds national de promotion et de service social, représentants de la Direction de protection de l’environnement minier, du titulaire du droit minier et de ceux des communautés locales ou des organisations communautaires de base[39]. En effet, selon la législation minière congolaise, le concept de partie prenante concerne tout « acteur ou groupe d’acteurs impliqués ou ayant des intérêts dans le secteur minier, notamment le gouvernement, les industries extractives du secteur minier ainsi que de la société civile […] »[40]. Cette liste est juste exemplative. En ce qui concerne le code camerounais de gouvernance, « […], les parties prenantes de l’entreprise comprennent notamment son personnel, ses clients, ses fournisseurs, sa banque et ses financiers, ainsi que les pouvoirs publics et collectivités territoriales. Elles ont chacune un intérêt dans les activités de l’entreprise »[41]. Ce code définit aussi la partie prenante en raison de l’intérêt dans le secteur d’activité.

Afin d’assurer leur participation, il convient de réunir ces différentes parties prenantes au sein d’une structure à l’instar d’un comité dédié aux questions de gouvernance et de responsabilité sociale et environnementale (Comité ESG) prévu par le Code camerounais de gouvernance d’entreprise.

B- Participation en aval des parties prenantes au processus d’application du code de gouvernement d’entreprise

Le législateur OHADA reconnait la possibilité de recourir aux comités spécialisés dans le cadre de l’organisation et du fonctionnement des sociétés commerciales[42]. Il s’agit d’une marge que le code de gouvernement peut exploiter pour instituer un comité ESG en vue de contribuer à la protection de l’intérêt social élargi et de renforcer la transparence dans la gestion sociétaire et particulièrement d’intégrer les risques liés à l’environnement, le sociétal et la gouvernance à l’activité de l’entreprise[43].

Le deuxième alinéa de l’article 437 de l’AUSCGIE dispose : « [Le conseil d’administration] peut décider la création de comités composés d’administrateurs chargés d’étudier les questions que lui-même ou son président soumet, pour avis, à leur examen. Il fixe la composition et les attributions qui exercent leur activité sous sa responsabilité ».

Les comités spécialisés, institués conformément à cet article, à en croire MONKAM, ne peuvent remplir leurs missions, car ils ploient sous des pesanteurs, mais surtout fragilisés par leur dépendance vis-à-vis du conseil d’administration[44]. Cette dépendance résulterait d’énormes prérogatives dont dispose le conseil d’administration dans la création, la nomination des membres des comités spécialisés et la détermination de leurs pouvoirs. La création des comités spécialisés dépend du bon vouloir du conseil d’administration. Seuls les administrateurs peuvent être nommés à ces comités, ce qui exclut un large éventail des parties prenantes. Le comité ne peut que recueillir l’avis des experts non-administrateurs[45]. Cette indissociabilité de la qualité d’administrateur et de la qualité de membre du comité est de nature à entraver l’efficacité des comités et l’indépendance de leurs membres[46] encore qu’ils exercent leurs missions sous la responsabilité du conseil d’administration.

Le code camerounais prévoit aussi que son comité ESG comprend les seuls membres du conseil d’administration. Il y a intérêt de suggérer d’ouvrir ce comité aux autres parties prenantes et aux administrateurs indépendants, au regard de fonctions qui lui sont assignées.

Suivant le code camerounais de gouvernance d’entreprise, le comité ESG remplit les principales fonctions :

  • « Veiller à l’efficacité du fonctionnement du conseil d’administration et de ses comités spécialisés et en rendre compte périodiquement à ce même conseil ;
  • proposer un règlement intérieur du conseil d’administration et une charte des membres du conseil d’administration au conseil d’administration ;
  • assurer le suivi de la mise en conformité progressive de la gouvernance de l’entreprise avec les principes à suivre et les pratiques à mettre en œuvre de ce document ;
  • revoir périodiquement la stratégie de l’entreprise et s’assurer qu’elle englobe la diversité, l’inclusion sociale et la protection de l’environnement ;
  • discuter des questions environnementales et sociales pertinentes pour la société et les présenter au conseil d’administration ;
  • s’assurer que la responsabilité sociale et environnementale de l’entreprise est dûment intégrée dans la stratégie, y compris dans les opérations quotidiennes ;
  • examiner les risques pour l’entreprise (physiques, transitoires et de litiges) liés à l’approche sociale et environnementale de l’entreprise ;
  • tenir le conseil d’administration informé des questions relatives à ses fonctions, y compris la divulgation d’informations non financières »[47].

Sans le remplacer, le comité ESG se met au service du conseil d’administration afin de l’éclairer sur les enjeux de la durabilité et/ou la prise en compte des intérêts de toutes les parties prenantes selon le cas.

Conclusion

En somme, le code de gouvernement d’entreprise peut se hisser parmi les instruments volontaristes d’intégration de la RSE en droit des sociétés OHADA. Pour ce faire, un changement de paradigme de gouvernance d’entreprise de ces codes s’impose sans partage. Il est question de passer d’une vision de gouvernance renfermée aux relations entre les actionnaires et les dirigeants à celle ouverte à toutes les parties prenantes à la vie de l’entreprise.  Cette ouverture implique la prise en compte de la RSE et la participation des parties prenantes au processus de l’élaboration et au contrôle d’application desdits codes. Toutefois, le caractère volontaire de ces codes reste un handicap majeur à leur efficacité, surtout qu’en l’état actuel de l’AUSCGIE, seule la société faisant appel public à l’épargne est soumise à l’obligation d’en faire rapport d’application selon la règle « comply or explain ». Au reste, l’éthique dans le chef des entreprises peut juguler ces faiblesses.

 

[1] Lors de la 50ème Session du Conseil des ministres de l’OHADA, du 24 au 25 mars 2021, le chantier d’une étude exploratoire sur l’intégration de la RSE dans le droit OHADA a été lancé. Voy. https://www.ohada.com/actualite/5826/50e-session-du-conseil-des-ministres-de-lohada-bamako-mali.html ; P. C. EWANE MOTTO, La gouvernance des sociétés commerciales en droit de l’OHADA, Thèse de doctorat, Université Paris-Est et Université de Douala, 2015, en ligne : https://theses.hal.science/tel-01303945/document ; S. L. KAROUNGA DIAWARA, « La Responsabilité Sociale de l’entreprise (RSE) dans l’espace OHADA : pour une ouverture aux considérations non économiques », Revue internationale de droit économique, 2014/4 ; K. DIAWARA et S. LAVALLÉE, « Corporate Social Responsibility (CSR) in the Ohada Law», Journal of Business Law and Ethics, December 2014, Vol. 2, n°2, pp. 39-62.

[2] D. ABIB TRAORE, Droit OHADA et responsabilité sociétale des entreprises. Un processus d’actualisation indispensable, L’Harmattan, Paris, 2023 ; L. KAROUNGA DIAWARA, op.cit.; D. ABIB TRAORE, « Du code vert aux normes vertes : quel modèle d’intégration de la RSE en droit OHADA pour un taux d’investissement toujours en croissance ? », Ohadata D-22-06, en ligne : https://www.ohada.com/documentation/doctrine/ohadata/D-22-06.html ;  G. MUBERANKIKO, « La responsabilité sociétale des entreprises dans la gouvernance des sociétés en droit OHADA », Lexbase Afrique-OHADA, édition n° 34 du 11 juin 2020, p. 12, en ligne : https://www.association-jae.com/wp-content/uploads/2021/03/La-RSE-dans-la-gouvernance-des-entreprises-en-droit-OHADA-par-Gervais-MUBERANKIKO.pdf

[3] R. INTOLE, La responsabilité des grandes entreprises en matière sociétale et environnementale à l’aune du devoir de vigilance, Thèse de doctorat, Inédit, Université Paris-Panthéon-Assas, 2023, p.168 ; C. MBACKE DIOP, A. NGAHA BAH, « Peut-on parler de l’émergence d’un modèle RSE africain : la situation du Sénégal ? », Revue Congolaise de Gestion, 2018/1 (Numéro 25), p. 67-96, en ligne : https://www.cairn.info/revue-congolaise-de-gestion-2018-1-page-67.htm ; T. MBUYU KABWE, La responsabilité sociétale des entreprises selon les nouveaux codes miniers africains, Thèse de doctorat, Inédit, Université Paris 2, 2019, pp. 285-262.

[4] D. ABIB TRAORE, Droit OHADA et responsabilité sociétale des entreprises. Un processus d’actualisation indispensable, op.cit., pp. 129-153 ; R. INTOLE, op.cit., p.153.

[5] Ibid.

[6] D. ABIB TRAORE, Droit OHADA et responsabilité sociétale des entreprises. Un processus d’actualisation indispensable, op.cit., p. 132.

[7] S. L. KAROUNGA DIAWARA, op.cit., p.446 ; R. INTOLE, op.cit., p.237.

[8]Règlement n° 04/08 relatif au Gouvernement d’entreprise dans les établissements de crédit de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC), 06/10/2008. Voy. En ce sens, Règlement de la Commission bancaire de l’Afrique centrale/Etablissements de Microfinance R-2017/04 (CEMAC) relatif au Gouvernement d’entreprise dans les établissements de Microfinance, 24/01/2017 ; Circulaire N° 01-2017/CB/C relative à la gouvernance des établissements de crédit et des compagnies financières de l’Union Monétaire Ouest Africaine (UEMOA).

[9] A. SUNKAM KAMDEM, G. NGUEFACK DONZEU, « L’attribution d’actions gratuites aux salariés en droit des sociétés commerciales OHADA», Uniform Law Review, Volume 22, Issue 3, August 2017, pp.585-586, en ligne : https://doi.org/10.1093/ulr/unx033

[10] Acte uniforme révisé relatif au droit des sociétés et du groupement d’intérêt économique, adopté à Ouagadougou (BURKINA FASO) le 30 janvier 2014, Journal officiel de l’OHADA, n° spéc. du 15 novembre 2023, Article 831-2.

[11] Installée depuis 1998, la CCJA a son siège à Abidjan en Côte d’ivoire. Siégeant en dernier et en cassation, elle a le monopole de l’interprétation et de l’application du droit OHADA, en lieu et place des Hautes Cours nationales. Elle est également investie de compétences consultatives pour émettre des avis sur l’interprétation du Traité OHADA et des actes de droit dérivé. Elle est composée de 13 Juges. Elle abrite par ailleurs un centre d’arbitrage institutionnel. Voy. https://www.ohada.com/l-ohada/institutions-de-l-ohada.html

[12] A. HANNOUILLE, L’indépendance en droit des sociétés comme vecteur de responsabilité sociétale des entreprises, Thèse de doctorat, Inédit, Université catholique de Louvain, 2023, pp. 171-172.

[13] CCJA, arrêt N° 107/2020 du 09 avril 2020, Société ONYX DEVELOPPEMENT (SAS) et consorts c/ Monsieur Sani SABO GADO et Monsieur Hadi ALI MAAZOU ; CCJA, arrêt n0134/2015 du 12 novembre 2015, Société Générale de Banques en Guinée Société Générale France c/ Société Hann et consorts.

[14] R. INTOLE, op.cit., p.193.

[15] Ibid; K. AGUEMON, Réflexion sur l’abus en droit des sociétés dans l’espace OHADA : contribution du droit français, Thèse de doctorat, Inédit, Université Jean Moulin (Lyon 3), 2013, p. 106, disponible sur : www.theses.fr/2013LYO30038

[16] S. L. KAROUNGA DIAWARA, op.cit., p.51.

[17] J.-M., GOLLIER, « Parties prenantes – Double materiality » in J.-Q. DE CUYPER, B. INGHELS et al., Gouvernance et responsabilité, 1ère édition, Bruxelles, Larcier-Intersentia, 2023, p.558.

[18]I. SAMA-LANG et N. ABEL ZESUNG, «The stakeholder theory of corporate control and the place of ethics in OHADA: The case of Cameroon», African Journal of Business Ethics, Vol. 10 N° 1/2016, p.97; I. TCHOTOURIAN, La gouvernance d’entreprise après la Pandémie, Les Presses de l’Université de Laval, 2020, p.71; D. KERSHAW, « Corporate Law and Self-Regulation», LSE Legal Studies Working Paper, n°5/2015. available at http://ssrn.com

[19] J.-M., GOLLIER, op.cit., p.558.

[20] Ibid.

[21]Voy. T. TÉNÉ, « Déployer une culture RSE en Afrique », Annales des mines-Réalités industrielles, n° 3(8), 2019, pp. 77-78, disponible sur : https://www.cairn.info/revue-realites-industrielles-2019-3-page-76.htm ; R. M. DONGMO, « Analyse des déterminants des disparités structurelles des supports de reporting durabilité dans un contexte réglementaire coercitif », Revue africaine de management— African management review, vol. 9 (1), 2023, p.28; P. M. LOÉ-MIE NOUHOU TARI, Les nouveautés du plan comptable révisé de l’OHADA (SYSCOHADA révisé), Paris, L’Harmattan, 2018, p.417.

[22] Cette rubrique contient des items relatifs à l’emploi, aux relations sociales, à la santé et à la sécurité, à la formation ainsi qu’à l’égalité de traitement. C’est sous cette rubrique que l’entité assujettie doit communiquer l’effectif total et la répartition des salariés par sexe, âge et zone géographique ; les embauches et les licenciements ; les rémunérations et leurs évolutions ; l’organisation du dialogue social et le bilan des accords collectifs. Elle y communique les conditions de santé et de sécurité au travail ; le bilan des accords signés avec les organisations syndicales ou les représentants du personnel en matière de santé et de sécurité au travail ; les politiques mises en œuvre en matière de formation ; le nombre total d’heures de formation ; les mesures prises en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes ; les mesures prises en faveur de l’emploi et de l’insertion des personnes handicapées (Voy. Acte uniforme relatif au droit comptable et à l’information financière, adopté à Brazzaville [CONGO] le 26 janvier 2017, Journal Officiel de l’OHADA, n° spéc., 15 février 2017 ; précisément la Note 35 du Système comptable OHADA [SYSCOHADA]. Note annexe 35 : Liste des informations sociales, environnementales et sociétales à fournir.).

[23] La deuxième rubrique se rapporte aux items sur la politique générale en matière environnementale, la pollution et la gestion des déchets, l’utilisation durable des ressources, le changement climatique et la protection de la biodiversité. À ce niveau, les entreprises communiquent comment elles procèdent pour prendre en compte les questions environnementales, le cas échéant, les démarches d’évaluation de certification en matière d’environnement ; les actions de formation et d’information des salariés menées en matière de protection de l’environnement ; les moyens consacrés à la prévention des risques environnementaux et des pollutions. Elles y indiquent les mesures de prévention, de réduction ou de réparation de rejets dans l’air, l’eau, et le sol affectant gravement l’environnement ; les mesures de prévention, de recyclage et d’élimination des déchets ; la prise en compte des nuisances sonores et de toute autre forme de pollution spécifique à une activité. On peut également trouver dans cette rubrique des informations sur la consommation d’eau et l’approvisionnement en eau en fonction des contraintes locales ; la consommation de matières premières et les mesures prises pour améliorer l’efficacité de leur utilisation ; la consommation d’énergie, les mesures prises pour améliorer l’efficacité énergétique et le recours aux énergies renouvelables ainsi que le rejet de gaz à effet de serre (Cf. Note annexe 35)

[24] La troisième rubrique reprend des informations relatives aux engagements sociétaux en faveur du développement durable. Il s’agit en premier lieu des informations sur l’impact territorial, économique et social de l’activité de l’entreprise en matière d’emploi et de développement régional ainsi que sur les populations riveraines et locales. Deuxièmement, la société rend compte des relations entretenues avec les personnes ou les organisations intéressées par l’activité de la société où il y a comme informations principales : les conditions du dialogue avec ces personnes ou organisations ; les actions de partenariat ou de mécénat. En dernier lieu, l’entreprise communique sur la prise en compte dans la politique d’achat des enjeux sociaux et environnementaux dans ses relations de sous-traitance et avec ses fournisseurs (Cf. Note annexe 35).

[25] R. INTOLE, op.cit., p. 207.

[26] En ce sens, voy. B. KEITA, « La timide consécration du reporting extra-financier dans l’espace OHADA », Revue internationale des services financiers/International Journal for Financial Services, 2021/1-2, p.39.

[27] Les articles 823 à 853-23 de l’AUSCGIE forment les dispositions spécifiques aux sociétés anonymes faisant appel public à l’épargne.

[28] https://fec-rdc.com/presentation-de-la-fec/

[29] Groupement Interpatronal du Cameroun, Code camerounais de bonne gouvernance d’entreprise. Préceptes et pratiques d’entreprise, 2022.

[30] Ministère du Portefeuille de la République démocratique du Congo, Note Circulaire relative aux règles de bonne gouvernance applicable aux entreprises publiques transformées en sociétés commerciales, n° 0516/MINPF/JDK/ABL/LMMM/2013, adopté le 05 juillet 2013.

[31] C. LIEURY « Le principe “comply or explain” : suivi et mise en œuvre des codes de gouvernement d’entreprise au Royaume-Uni et en France », Revue internationale des services financiers/International Journal for Financial Services, 2017/4, pp.39-40.

[32]Fédération des Entreprises du Congo/Chambre Mines, Charte d’éthique et de bonne gouvernance des sociétés minières, Kinshasa, 26 mars 2015, articles 5 et 6.

[33] Ibid., article 7.

[34] Ibid., article 8 : « Les Sociétés minières soutiennent la protection de l’environnement, l’amélioration de la santé, la promotion de l’éducation et du bien-être des populations locales. Dans leur sphère d’influence, elles prennent toutes initiatives pour promouvoir une attitude responsable dans ces domaines et encourager le développement et la diffusion des technologies et de programmes favorables ».

[35]Ibid., article 9.

[36]Code camerounais de bonne gouvernance d’entreprise. Préceptes et pratiques d’entreprise, 2022, p.40.

[37] R. INTOLE, op.cit., p. 235.

[38] Voy. A. LAUNAY et Y. QUEINNEC, « De la prévention à la réparation des impacts ESG. Le contrat durable, outil de formalisation du devoir de vigilance raisonnable », in K. MARTIN-CHENUT et R. De QUENAUDON (dir), La RSE saisie par le droit : Perspectives interne et internationale, Paris, Pédone, 2015.

[39] Voy. Arrêté interministériel du 21 décembre 2021 portant approbation du Manuel des procédures de gestion de la dotation de 0,3 % minimum du chiffre d’affaires pour contribution aux projets de développement communautaire dans le secteur minier, JO.RDC, n° du 15 janvier 2021.

[40] Décret n°038/2003 du 26 mars 2003 portant Règlement minier tel que modifié et complété par le Décret n° 18/024 (textes coordonnés), JO.RDC, n° spéc., 12 juin 2018, Article 1er.

[41] Code camerounais de bonne gouvernance d’entreprise. Préceptes et pratiques d’entreprise, 2022, p.40.

[42] Acte uniforme révisé relatif au droit des sociétés et du groupement d’intérêt économique, op.cit., Article 437, al.2.

[43] R. INTOLE, op.cit., p.232.

[44] C. MONKAM, « Remarques sur la réforme du droit des sociétés commerciales dans l’espace OHADA : à propos des comités supplémentaires à la gestion », Uniform Law Review, 23(3-4), 2018, pp. 650-653.

[45] Acte uniforme révisé relatif au droit des sociétés et du groupement d’intérêt économique, op.cit., Article 437, al.3.

[46] C. MONKAM, op. cit., pp.651.

[47] Code camerounais de bonne gouvernance d’entreprise. Préceptes et pratiques d’entreprise, 2022, p.2.

0 réponses

Laisser un commentaire

Rejoindre la discussion?
N’hésitez pas à contribuer !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *