Les qualités essentielles de l’arbitre en droit OHADA
Koffi AGBÉNOTO
Agrégé de droit privé, Professeur titulaire à l’université de Lomé
Contexte. La vitalité contemporaine de l’arbitrage, vue comme le signe renouvelé de la libéralisation grandissante du pouvoir judiciaire, n’est plus à démonter. On sait d’ailleurs que dans l’action, sur la scène de la justice arbitrale, les principaux acteurs ou intervenants ont, chacun, un rôle bien déterminé. En vertu de l’adage selon lequel « tant vaut l’arbitre, tant vaut l’arbitrage », et quel que soit l’arbitrage choisi par les parties, qu’il soit ad hoc ou institutionnel, interne ou international, l’attention que les parties vont porter sur le choix de l’arbitre dérivera, sans doute, de sa notoriété et, plus particulièrement, de ses qualités essentielles.
En droit de l’OHADA, l’Acte uniforme relatif à l’arbitrage du 23 novembre 2017, en étendant le champ d’application de l’arbitrage par rapport à l’objet du différend (arbitrabilité des droits dont on a la libre disposition) et aux sujets (personnes privées et personnes publiques), a également essayé de réaménager les qualités de l’arbitre, sans y satisfaire pleinement. Dans ce sens, l’article 5 de l’Acte uniforme se contente d’énoncer que « la mission d’arbitre ne peut être confiée qu’à une personne physique ». Comme s’il allait de soi, tout porte à croire que cette affirmation suffirait à identifier le prototype de l’arbitre, ce que trahit l’incertitude de la pratique.
Notion et mission de l’arbitre. Sur un plan notionnel, l’arbitrage et l’arbitre sont toujours à la recherche d’une définition légale consensuelle, mais des indices et les bonnes pratiques découlant de la mission de l’arbitre offrent les critères qui servent à distinguer celui-ci du médiateur ou du conciliateur. En l’absence de précision légale sur la notion d’arbitre, on peut reprendre la définition doctrinale selon laquelle un arbitre est « une personne physique à laquelle les parties à un rapport juridique donné ont confié la mission de trancher un litige survenu ou à survenir dans le cadre de ce rapport juridique »[1].
Arbitre : un Juge. La définition ainsi adoptée permet de se rendre compte que l’arbitre est un acteur central du déroulement de la procédure d’arbitrage. En réalité, à la place d’un juge public, les parties recourent à un prestataire de service, un sachant, un expert, appelé arbitre, qui a pour mission de régler ou de trancher le différend soumis à l’arbitrage, conformément au contrat d’arbitre. L’arbitrage lui-même étant fondé sur une convention d’arbitrage ou sur un instrument relatif aux investissements, notamment un Code des investissements ou un traité bilatéral ou multilatéral relatif aux investissements[2], cela renforce le côté conventionnel de cette justice alternative.
Arbitre : un juge du tribunal arbitral. En droit uniforme de l’OHADA, l’article 3.1 du Règlement d’arbitrage CCJA du 23 novembre 2017 clarifie davantage les choses. Il prévoit que le différend peut être tranché par le tribunal constitué par un arbitre unique ou par trois arbitres. Ceux-ci sont nommés, révoqués ou remplacés conformément à la volonté des parties (article 6, al. 1er AUA). L’arbitre ou les arbitres désignés doivent néanmoins remplir les conditions requises par le législateur et les règlements d’arbitrage[3].
Problématique des qualités de l’arbitre. Couramment, la qualité renvoie à ce qui fait la valeur de quelqu’un sur le plan moral et intellectuel. A cet égard, la référence est faite à la dimension individuelle du terme, laquelle se manifeste dans la confiance qu’une personne peut provoquer parmi les consommateurs (usagers) de l’arbitrage ou les institutions arbitrales pour être nommé arbitre. On a pu constater, à travers la littérature spécialisée et l’actualité des solutions jurisprudentielles, que l’activité des arbitres est, de plus en plus, sous le feu des projecteurs, car surveillée et les qualités qu’on exige d’eux soigneusement analysées ou scrutées, alors qu’il n’existe pas de modèle préfabriqué, dans le doute.
On observe également que certains vices affectent la crédibilité ou la validité de la sentence, sans possibilité de régularisation. Dans ces conditions, devrait-on convenir qu’il existe certaines qualités qu’on peut considérer comme essentielles, c’est-dire substantielles ou déterminantes, opposées à d’autres qui seraient des qualités accessoires, superficielles ou complémentaires de l’arbitre ? Quels sont les critères de détermination du caractère essentiel d’une qualité chez l’arbitre ?
Approche duale : comportements et expertise. Pour répondre à cette préoccupation embarrassante, il faut relever, d’emblée, que la question se pose, aujourd’hui plus qu’hier, en raison des décisions d’annulation de sentence, parfois discutables, dangereuses pour la fonction arbitrale, même en présence des circonstances douteuses. Or, les qualités les plus connues de l’arbitre[4] font, universellement, soit l’objet d’appréciations disparates, soit elles sont soumises à des épreuves de nature et de portée différentes[5].
Les querelles actuelles entre les acteurs (praticiens, juge du recours en annulation, doctrine) sur ce point critique n’épargnent pas le droit uniforme africain issu de l’OHADA. Les analyses y sont en revanche un peu concentrées sur l’aspect général du statut de l’arbitre ou de la constitution du tribunal arbitral[6]. Mais, au fond, le malaise porte sur la prévisibilité des sentences. Plus généralement, la sécurité de l’arbitrage en dépend. Elle implique de s’accorder, de manière cohérente et certaine, sur ce qui peut bien recouvrir l’essentiel ou la trame des qualités de l’arbitre (contenu et forme), afin d’aboutir à la construction d’un standard du « bon arbitre ».
Cette démarche vise à lever le voile sur les ambigüités qui gangrènent la mise en œuvre des conditions d’accès à cette fonction ou celles de la réalisation de la mission de l’arbitre, devenues très floues[7]. La non-révélation des situations de conflits d’intérêts compromet subjectivement l’autorité de l’arbitre et fragilise intrinsèquement la qualité de la sentence.
Aussi, parce que l’arbitrage est très prisé, il doit s’inscrire, indéniablement, dans une démarche d’assurance qualité. De surcroît, l’arbitrage apparaît comme l’un des modes alternatifs de règlement des litiges contractuels les plus utilisés au regard du niveau de complexité des problèmes qui sont posés et des chiffres impliqués dans les dossiers. Forcément, la professionnalisation des arbitres ne peut être occultée du débat. En conséquence, la spécialisation des arbitres et leurs compétences constituent un enjeu majeur de compétitivité et d’attractivité et sont, pour ainsi dire, en jeu.
Concrètement, on admet que de la condition de l’arbitre résulte des qualités issues de sa mission juridictionnelle et de sa qualité de prestataire de service. De la même façon, de l’interprétation des textes et des solutions positives, il peut ressortir, explicitement et implicitement, que la désignation de l’arbitre ou des arbitres doit être conforme à des qualités comportementales exigées, c’est-à-dire son savoir-être et à des qualités expertales recherchées, c’est-à-dire le savoir-faire.
I. Le savoir-être de l’arbitre
Les qualités exigées sont des compétences comportementales, des vertus imposées par les dispositions de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage et réaffirmées par les règlements d’arbitrage, qui rappellent la vertu de loyauté. Le manquement constitue la violation d’un devoir de bonne foi. Il s’agit en réalité de la dissimulation (encore appelée la non-révélation), qui constitue la violation de l’obligation spéciale d’information, sanctionnée par la récusation de l’arbitre ou par la nullité de la sentence. Les qualités comportementales exigées sont soumises en pratiques à des vérifications en cas de contestation.
1. Les compétences comportementales exigées
A partir des dispositions de l’article 7 de l’AUA et des textes subséquents, les qualités requises peuvent être regroupées autour des valeurs suivantes : disponibilité, indépendance, impartialité et discrétion.
1-1- La qualité de disponibilité
Fondement légal. En droit de l’OHADA, le législateur prévoit à l’article 7, alinéa 2 de l’AUA, la qualité d’un arbitre disponible. Ce texte dispose : « L’arbitre s’engage à poursuivre sa mission jusqu’au terme de celle-ci, à moins qu’il justifie d’un empêchement ou d’une cause légitime d’abstention ou de démission ». Les règlements d’arbitrage et les centres d’arbitrage consacrent expressément cette qualité de l’arbitre. C’est notamment le cas du centre d’arbitrage de la Cour d’arbitrage du Togo (Article 10 du règlement d’arbitrage de la CATO) et de la Cour d’arbitrage de la Côte d’Ivoire (CACI) qui disposent que « Tout arbitre doit avoir la disponibilité permettant de mener l’arbitrage à son terme dans les meilleurs délais ».
La disponibilité exigée a pour corolaire la diligence de l’arbitre qui devrait avoir la volonté de régler le litige qui lui est soumis. Cela n’est possible que s’il fait avancer la procédure et maintient l’instance. Il devra veiller à respecter le calendrier prévisionnel après la signature de l’acte de mission. Lorsque la disponibilité ne fait pas partie des qualités de l’arbitre, on court le risque de voir la procédure d’arbitrage faire l’objet de prorogations intempestives.
Cumul des arbitrages. Il est possible qu’un arbitre ait plusieurs affaires ou activités, avec des délais serrés. De plus, nombreux sont les arbitres qui cumulent les arbitrages en plus de leur profession et ne disposent que de très peu de temps pour mener à bien l’ensemble de leur travail. Ils sont le plus souvent indisponibles, ce qui contrevient à la bonne exécution d’une procédure d’arbitrage. Ainsi, la déclaration de disponibilité permet à l’arbitre pressenti d’attester être en mesure d’exécuter sa mission dans les temps impartis. La disponibilité permet à l’arbitre de rendre une sentence dans les délais prévus. Ainsi, l’arbitre qui exécute mal sa mission l’expose à une annulation. Cette exigence de disponibilité se justifie davantage lorsque l’arbitre est désigné dans une procédure accélérée.
Formule de disponibilité : L’Acte uniforme relatif à l’arbitrage ne prévoit pas l’obligation de déclaration de disponibilité, à la différence de l’acte uniforme relatif à la médiation qui met à la charge du médiateur l’obligation de signature d’une déclaration de disponibilité après sa désignation. L’article 6 de l’AUM prévoit clairement que le médiateur doit confirmer dans une déclaration écrite sa disponibilité. En matière arbitrale, la déclaration d’engagement de l’arbitre contient la formule habituelle suivante : « Je confirme, sur la base des informations dont je dispose actuellement, que je peux consacrer le temps nécessaire pour conduire le présent arbitrage de manière diligente et efficace dans le respect des délais fixés par le Règlement ».
Dans l’ensemble, la disponibilité est une donnée essentielle. Toutefois, il faut se garder de choisir des arbitres dont la disponibilité totale ne s’explique que par leur grand âge. Dans tous les cas, la maladie ou le décès d’un arbitre peut considérablement retarder la procédure arbitrale. Cette éventualité ne doit pas être négligée, mais pourrait être rangée dans les cas de force majeure.
1-2. La qualité d’indépendance
Base légale. L’article 7, al. 3 de l’AUA ajoute que « L’arbitre doit avoir le plein exercice de ses droits civils et demeurer indépendant (…) vis-à-vis des parties ». L’article 4.1 du règlement d’arbitrage de la CCJA va dans le même sens en ces termes : « Tout arbitre nommé ou confirmé par la Cour doit être et demeurer indépendant et impartial vis-à-vis des parties ». Cette disposition sous-tend l’idée selon laquelle l’indépendance de l’arbitre doit se manifester tout au long de la procédure. L’indépendance de l’arbitre est reconnue comme « l’une des qualités essentielles de l’arbitre »[8].
Définition et contenu. D’un point de vue conceptuel, l’indépendance de l’arbitre est entendue comme l’absence de lien matériel ou intellectuel qui caractérise une situation de nature à affecter le jugement de l’arbitre et constituant un risque de prévention à l’égard de l’une des parties. Ainsi défini, l’indépendance de l’arbitre semble inclure et être un préalable à l’impartialité, ce qui justifie la fréquente confusion entre les deux notions.
Contrairement à l’indépendance du juge qui est requise vis-à-vis du pouvoir public, celle de l’arbitre est imposée à l’égard des parties. Il s’agit d’une indépendance fonctionnelle. Dans ce sens, la CCJA a jugé qu’il n’est pas possible d’annuler une sentence arbitrale parce que l’un des arbitres a la qualité de fonctionnaire[9]. Cette jurisprudence enseigne qu’il ne faut point en ajouter aux conditions fixées par le législateur uniforme.
D’un point de vue pratique, l’indépendance suppose que l’arbitre nommé ne doit pas s’ériger ni en procureur de la partie qui l’a nommé, ni en défenseur de la partie adverse pour se bâtir, une réputation d’intégrité ou d’indépendance (ne pas recevoir d’ordre ou d’instruction sur la manière de conduire la procédure et de trancher le différend). En dehors de ses rapports avec les parties, l’indépendance de l’arbitre peut également être exigée dans les rapports entre les arbitres composant la collégialité. De même, pour renforcer la qualité d’indépendance de l’arbitre, il serait nécessaire que le droit OHADA consacre également l’indépendance de l’arbitre vis-à-vis des centres d’arbitrage qui jouent un rôle fondamental dans l’organisation de la procédure d’arbitrage.
Quels comportements de l’arbitre caractérisent son indépendance ? Evidemment, le droit uniforme OHADA n’a pas énuméré les causes de récusation. A notre avis, cette question peut être résolue à partir de l’analyse des cas d’absence d’indépendance. On peut procéder au recensement des situations de défaut d’indépendance relevées ailleurs : Arbitre rémunéré par une partie en tant que conseil habituel ou par une société dépendant du groupe auquel appartient l’une des parties ; arbitre ayant présidé une société qui joue un rôle intermédiaire dans la vente objet du litige ; arbitre ayant exercé les fonctions de commissaire aux comptes pour plusieurs filiales d’une partie ; arbitre qui est parent du conseil d’une partie ; arbitre dont la fille exerce dans le cabinet d’une des parties ; dépendance en raison d’un courant d’affaires.
Normalement, l’arbitre qui suppose en sa personne, en cours d’instance, des circonstances susceptibles d’affecter son indépendance doit, selon le cas, refuser la mission, s’abstenir ou démissionner (pour convenance personnelle).
1-3. La qualité d’impartialité
Source textuelle. L’impartialité est communément admise comme un état d’esprit psychologique qui consiste à ne pas avoir de préjugé ou de penchant pour ou contre une partie. En droit uniforme africain de l’OHADA, l’article 7 de l’AUA dispose clairement que « l’arbitre doit (…) demeurer indépendant et impartial vis-à-vis des parties ». Le Règlement d’arbitrage CCJA du 11 mars 1999 ne faisait allusion qu’à l’indépendance de l’arbitre. Le Règlement de 2017 corrige désormais cette faiblesse et met à la charge de l’arbitre une obligation d’impartialité. La question est d’autant plus cruciale que dans la pratique, cette qualité essentielle d’impartialité est souvent affectée par une certaine instabilité en fonction de divers facteurs.
Premièrement : hypothèse de cumul de fonctions d’arbitre et de conseil. Dans le monde de l’arbitrage, l’impartialité de l’arbitre ne semble pas totalement acquise lorsque l’arbitre assume les fonctions en tant que conseil et en tant qu’arbitre, dans des affaires liant les mêmes parties ou même des parties différentes. Le cumul de la fonction d’arbitre et de conseil pourrait, sans doute, entrainer un conflit d’intérêt de l’arbitre. Or, on sait, comme il en est pour l’indépendance, qu’avant sa confirmation et pendant tout le cours du processus arbitral, l’arbitre est tenu de révéler toutes les circonstances de nature à mettre l’arbitrage à l’abri des conflits d’intérêts qui porteraient atteinte à la crédibilité de ce mode de règlement des différends. Une impartialité relevée postérieure à la sentence arbitrale ouvre droit à la révision de la décision ayant rejeté le recours en annulation[10]. Les faits révélés postérieurement permettent à la partie qui y a intérêt de s’en prévaloir pour s’opposer à la nomination ou récuser l’arbitre.
En revanche, la partie qui a été dûment informée des faits susceptibles de mettre en cause l’impartialité d’un arbitre et qui s’est abstenue de contester celui-ci, perd le droit de s’opposer ultérieurement à la sentence. Cette solution est consacrée par l’article 16 al.3 du Règlement d’arbitrage. La CCJA a, dans un arrêt du 09 avril 2020, approuvé le juge d’annulation d’avoir décidé que la partie qui, ayant eu connaissance de la composition du tribunal arbitral, avait laissé l’instance se poursuivre, sans objection aucune, est réputée avoir acquiescé à cette composition et donc de renoncer à son droit de faire objection[11].
Deuxièmement, l’impartialité de l’arbitre serait en cause lorsque, dans le cadre d’une instance arbitrale, l’arbitre est nommé par l’une des parties. La compromission de sa marge d’action en tant qu’arbitre nommé par l’une des parties n’est pas moins évidente. Les arbitres sont des juges et non point des mandataires des parties[12].
Troisièmement, l’éventuel lien direct ou indirect entre les entités en matière d’affaires et les nominations répétées d’un arbitre par la même partie et/ou la multiplication de rôles joués par la même personne, sont de nature à remettre en cause, éventuellement, cette qualité d’un arbitre.
En définitive, on peut penser que la notion d’indépendance de l’arbitre est plus globalisante et absorbe celle de l’impartialité. Mais, l’indépendance est considérée comme une précaution imposée pour garantir l’impartialité de l’arbitre. Ainsi, si les parties à l’arbitrage pourraient renoncer facilement à l’exigence d’indépendance de l’arbitre, il est plus délicat d’admettre la renonciation à son impartialité.
1.4. La qualité de discrétion
Le législateur OHADA impose explicitement le secret du délibéré et implicitement la discrétion sur les informations confidentielles (article 18 AUA et article 14 du Règlement d’arbitrage CCJA). C’est le prolongement de la qualité de l’indépendance de l’arbitre. Dans ce sens, l’article 18 de l’AUA énonce que les délibérations du tribunal sont secrètes. L’article 14 du Règlement d’arbitrage CCJA, intitulé « confidentialité de la procédure », dispose : « la procédure arbitrale est confidentielle. » Les travaux de la Cour relatifs au déroulement de la procédure arbitrale sont soumis à cette confidentialité, ainsi que toutes réunions de la Cour pour l’administration de l’arbitrage. Elle couvre les documents soumis à la cour ou établis par celle-ci à l’occasion des procédures qu’elle administre.
Sous réserve d’un accord contraire de toutes les parties, celles-ci et leurs conseils, les arbitres, les experts et toutes les personnes associées à la procédure d’arbitrage, sont tenus au respect de la confidentialité des informations et des documents qui sont produits au cours de cette procédure. La confidentialité s’étend, dans les mêmes conditions, aux sentences arbitrales.
Le secrétaire général est autorisé à publier des extraits de sentences arbitrales sans mentionner les éléments permettant d’identifier les parties ».
La confusion peut être vite faite entre discrétion, secret et confidentialité. La discrétion renvoie à l’obligation de se taire, le secret traduit l’idée de ce qui ne doit pas être dévoilé par ceux qui en sont légalement soumis. À ce titre, le secret est une « discrétion qui pèse sur certains professionnels et dont la violation [consiste en] la révélation de confidences acquises lors de l’exercice de fonction ou de mission »[13]. Le secret, qui n’est pas classé dans la catégorie des devoirs de secret professionnel et qui n’est pas sanctionné sur le plan pénal ou disciplinaire, est pris en charge par le devoir civil de discrétion. S’agissant de la confidentialité, elle est une déclinaison de la discrétion, qui est une qualité ou une valeur requise d’une personne en relation avec autrui. Mieux, la discrétion est plus générale que la confidentialité, en ce sens qu’elle est une norme prudentielle de conduite, qui peut être écrite ou non écrite. Sous-entendue dans les relations sociales, elle s’extériorise, en droit, par le caractère confidentiel attribué aux informations détenues (on parle d’information à caractère confidentiel).
2. Les vérifications des qualités exigées
L’obligation légale de révélation. Il est affirmé à juste titre que les qualités sont assurées par l’obligation de révélation de l’arbitre et la collaboration des parties qui exercent un contrôle du respect de l’indépendance et de l’impartialité de l’arbitre et peuvent même déclencher des mécanismes de vérification[14].
Aux termes de l’article 7, al. 3 et 4 de l’AUA, « Tout arbitre pressenti informe les parties de toute circonstance de nature à créer dans leur esprit un doute légitime sur son indépendance et son impartialité et ne peut accepter sa mission qu’avec leur accord unanime et écrit.
A partir de la date de sa nomination et durant toute la procédure arbitrale, l’arbitre signale sans tarder de telles circonstances aux parties ».
A titre de comparaison, on peut évoquer l’article 1456 du Code de procédure civile français, applicable également en matière internationale : « Il appartient à l’arbitre, avant d’accepter sa mission, de révéler toute circonstance susceptible d’affecter son indépendance ou son impartialité. Il lui est également fait obligation de révéler sans délai toute circonstance de même nature qui pourrait naître après l’acceptation de sa mission ».
Discussions du contenu de la révélation. Les textes imposent le devoir de revelation, mais ne précisent pas le contenu, ni la liste des circonstances ou des informations à révéler[15]. Lorsque l’arbitrage est institutionnel, le centre d’arbitrage formule des recommandations.
De manière générale, l’obligation de révélation pose le problème des circonstances que doit révéler l’arbitre. A ce sujet, deux thèses s’opposent : la thèse classique selon laquelle il faut dire uniquement ce qui est nécessaire, ce qui est de nature à soulever un doute chez les parties. C’est cette thèse qui a cours sur plusieurs grandes places d’arbitrage. L’autre thèse est beaucoup plus large et invite à tout révéler. Normalement, l’arbitre ne devrait révéler que ce qui est caché, pas ce qui est notoire. Il reste que les obligations de révélation, d’indépendance et d’impartialité de l’arbitre nourrissent le contentieux des recours contre les sentences. La tendance actuelle va vers une obligation de révélation croissante des liens de l’arbitre avec les parties ou leurs conseils.
Circonstances de nature à faire naître un doute sur l’impartialité et l’indépendance de l’arbitre. Dans un arrêt n° 151/2017 du 29 juin 2017 de la CCJA, il ressort des faits de l’espèce que par délibérations en dates des 11 septembre 2012 et 25 janvier 2013, le Conseil d’administration de la société SAFREL, présidé par monsieur NGUESSI Jean-Pierre, a respectivement révoqué Monsieur WANMO Martin de ses fonctions de Directeur Général de ladite société et procédé à son remplacement par Monsieur NGUESSI TEGUEM Fabrice. Monsieur WANMO Martin (l’ex Directeur général) et consorts se fondant sur les statuts de la société relativement aux règlements des différends, ont initié une procédure d’arbitrage ad ‘hoc contre les administrateurs ayant siégé à ces conseils et contre la société SAFREL aux fins d’annulation desdites délibérations et de paiement de dommages-intérêts. Le tribunal arbitral, par la sentence rendue le 10 mars 2014, faisait droit à leur demande. Monsieur NGUESSI Jean-Pierre, le Président du Conseil d’administration de la société SAFREL a introduit un recours en annulation de la sentence. La Cour d’appel de Douala a accueilli favorablement cette demande en annulation. Selon la Cour d’appel de Douala, la non révélation par l’un des arbitres de ses liens avec le conseil de la partie demanderesse est un dol procédural de nature à remettre en cause non seulement son indépendance, mais aussi la sentence à venir.
Un pourvoi a alors été formé. Selon le moyen du pourvoi formé par Monsieur WANMO Martin (l’ex Directeur général) et consorts, la révélation mise à la charge de l’arbitre par l’article 7, alinéa 2, ensemble l’article 26, alinéa 2, de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage n’est constitutive d’obligation que si l’arbitre suppose en sa personne une cause de récusation. La Cour d’appel n’a pas recherché dans ces liens une situation récurrente ou notoire de nature à affecter raisonnablement le jugement de l’arbitre, en faisant apparaître un risque certain à l’égard d’une partie à l’arbitrage. En conséquence, la Cour d’appel n’a pas caractérisé en quoi le fait prétendument non révélé par l’un des arbitres portait atteinte à son indépendance.
En réponse, la CCJA a décidé que « le tribunal arbitral n’est régulier que s’il est composé d’arbitres indépendants et impartiaux et si la procédure de sa constitution est exempte de tout vice ». Selon la Cour, il est, en outre, de jurisprudence constante que l’arbitre doit révéler toute circonstance de nature à affecter son jugement et à provoquer dans l’esprit des parties un doute raisonnable sur ses qualités d’impartialité et d’indépendance qui sont l’essence même de la fonction arbitrale. Par conséquent, l’interpellation formelle du tribunal arbitral sur la nature des liens de collaboration que l’arbitre désigné par le demandeur à la procédure arbitrale, avait avec le conseil dudit demandeur n’a reçu aucune réponse permettant d’apprécier l’incidence de ces liens non révélés sur son indépendance et son impartialité.
Au titre d’enseignement, on retient de cette décision de la CCJA que l’arbitre doit révéler toute circonstance de nature à affecter son jugement et à provoquer dans l’esprit des parties un doute raisonnable sur ses qualités d’impartialité et d’indépendance.
L’exigence de révélation qui pèse sur l’arbitre l’oblige à s’informer et informer les parties de manière continue[16]. Parfois, on constate qu’un arbitre, désigné sur une liste fermée, a émis une déclaration d’indépendance au « caractère délibérément tronqué et réducteur » quant à ses relations avec le cabinet d’avocat de l’une des parties[17].
L’appréciation du doute. L’appréciation du défaut d’indépendance ou d’impartialité d’un arbitre, en plus de poser de véritables problèmes d’articulation avec l’obligation de révélation, se fait aujourd’hui par recours à des critères objectifs et subjectifs. L’existence d’un doute raisonnable est appréciée par référence à une personne raisonnable placée dans une situation similaire ; ce doute, au cœur du contrôle du juge de l’annulation, doit naître dans l’esprit des parties au litige[18].
En droit de l’OHADA, un arrêt récent rendu par la CCJA[19] illustre parfaitement le malaise. Il ressort des circonstances en cause que la société Fontaine à bière (FAB) sollicite l’annulation de la sentence au motif qu’elle a été rendue par un tribunal irrégulièrement composé, en ce que l’un des arbitres, sieur EBE-EVINA, chef d’entreprise et expert financier, désigné d’office par le Centre d’arbitrage du GICAM, présente « des liens inextricables » avec la partie demanderesse, la société anonyme des brasseries du Cameroun (SABC). L’arbitre en cause avait été pendant longtemps un collaborateur du Directeur Général de la SABC et par ailleurs vice-président du GICAM. Le sieur EBE-EVINA, l’arbitre en cause, n’avait pas révélé cette proximité avec la partie demanderesse dans sa déclaration d’acceptation de sa mission d’arbitre. Partant de ces éléments factuels, la société FAB soutient que l’arbitre doit être et demeurer indépendant et impartial vis-à-vis des parties, et qu’aucun doute ne doit subsister sur cette exigence qui procède de l’essence même de la fonction juridictionnelle de l’arbitre.
En réplique, la société SABC soutient que le fait que sieur EBE-EVINA siège comme membre du conseil exécutif du GICAM aux côtés du Directeur Général de la SABC n’est pas une circonstance de nature à faire douter de son impartialité.
La CCJA a ordonné l’annulation de la sentence arbitrale rendue le 21 juillet 2021 par le Centre d’arbitrage du GICAM. Selon la Cour, la régularité de la composition d’un tribunal arbitral, au sens de l’article 26 de l’Acte uniforme relatif au droit de l’Arbitrage, s’apprécie non seulement au regard de la procédure de sa constitution, qui doit se conformer aux articles 5 et 8 dudit Acte uniforme, mais aussi des critères d’impartialité et d’indépendance du ou des arbitres qui le composent, conformément à l’article 7 du même Acte uniforme. Pour la Cour, l’article 14 de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage ne peut être opposé au demandeur de l’annulation de la sentence que si ces faits reprochés à l’arbitre étaient portés à sa connaissance dès le début de la procédure arbitrale, conformément à l’article 7, alinéa 4 dudit Acte uniforme, repris par l’article 10.1. du Règlement d’arbitrage du Centre du GICAM. Ce texte énonce que « tout arbitre pressenti informe les parties de toute circonstance de nature à créer dans leur esprit un doute légitime sur son indépendance et son impartialité et ne peut accepter sa mission qu’avec leur accord unanime et écrit ». Or, en l’espèce, c’est en date du 11 juin 2021, soit neuf (9) mois après sa prise de fonction d’arbitre et quatre (4) jours après la clôture définitive des débats et la mise en délibéré du dossier intervenue le 07 juin 2021, que l’arbitre Sieur EBEEVINA a, dans une « déclaration complémentaire » laconique, reconnu « avoir occupé la fonction de Président de la Commission “Amélioration Environnement des Affaires” du GICAM ». Il s’agit d’une violation des articles 7 de l’Acte uniforme et 10.1. du Règlement du Centre d’arbitrage suscité. Dans ces circonstances, l’invocation par la défenderesse de l’article 14 de l’Acte uniforme est inopérante.
Cette décision est riche en enseignement dans ce sens qu’un tribunal arbitral, au sein duquel il subsiste un doute légitime sur l’indépendance et l’impartialité de son membre, est considéré comme irrégulièrement constitué.
L’amitié arbitrale : dilemme entre l’étendue de l’obligation de révélation et le devoir de réaction des parties. En droit OHADA comme en droit français, le débat est toujours ouvert sur les contours et les implications de l’obligation de révélation[20].
Tout partait d’un éloge funéraire. Selon les faits parfaitement résumés par Me Marc HENRY[21] et qu’il importe de reprendre (pour sa vertu de clarté et de pédagogie), une sentence arbitrale partielle a été rendue le 10 novembre 2020, entre Port Autonome de Douala (PAD) et Douala International Terminal (DIT). Selon les faits, suite à un éloge funèbre du président du tribunal arbitral, au conseil de la société Douala International Terminal, qui deux semaines auparavant, était brutalement décédé, en cours de procédure arbitrale, l’une des parties (le Port autonome de Douala) a exercé un recours en annulation contre la sentence. Au soutien de sa demande, le requérant allègue que le président du tribunal aurait, volontairement, caché des « rapports de proximité » avec le conseil de la société Douala International Terminal, qui auraient pris la forme d’une « fréquentation régulière et soutenue » et d’une « amitié profonde » quand ce n’était pas une « admiration extatique » pendant 21 ans. C’est donc la non révélation de cette amitié qui aurait « provoqué un doute raisonnable dans l’esprit des dirigeants du Port Autonome Douala quant à l’indépendance et l’impartialité » du président du tribunal arbitral. Selon les prétentions relevées, le Port autonome de Douala aurait pris conscience de cette amitié, non notoire et discriminante, le 15 avril 2021, date de publication de l’hommage.
En réponse à la demande d’annulation de la sentence, la Cour d’appel de Paris a estimé que le président du tribunal n’avait pas respecté son obligation de révélation en n’informant pas les parties, dans sa déclaration d’indépendance, de l’existence d’une « relation » avec le défunt consistant en des « liens d’amitié (…) révélant (…) l’intensité d’une relation dépassant la simple amitié ordinaire », l’intensité de la relation s’exprimant notamment par le fait que selon l’hommage, le président consultait le défunt « avant tout choix important », et que ce dernier, selon l’arrêt, « “se livrait à lui”, alors même que l’auteur souligne le caractère exceptionnel d’une telle attitude de la part de l’intéressé (“lui qui le faisait peu”) ». Dans la motivation de sa décision, la Cour d’appel précise, sans ambages, que « la proximité et l’intimité » apparaissant à la lecture de l’hommage ne pouvaient « que conduire à regarder cette relation comme caractérisant l’existence de liens personnels étroits », qui ne devraient pas être dissimilés, mais auraient dû être révélés.
Au total, la non révélation n’est pas en soi une cause d’annulation de la sentence[22]. La révélation étant libre et se faisant souvent par une lettre ou une déclaration accompagnée du CV, les points susceptibles de mettre en cause l’indépendance et l’impartialité de l’arbitre pourraient y être précisés. Normalement, la circonstance non révélée doit être de nature à provoquer, dans l’esprit des parties, un doute raisonnable sur l’indépendance et l’impartialité de l’arbitre. Mais l’évolution des solutions jurisprudentielles démontre qu’en tout état de cause, il est désormais prudent de tout révéler. Ce qui est contestable dans la doctrine spécialisée. Néanmoins, au-delà des compétences comportementales, le savoir et le savoir-faire restent des critères déterminants ou des qualités recherchées dans la désignation de l’arbitre.
II. Le savoir-faire de l’arbitre
La lecture de l’article 5 AUA selon lequel « la mission d’arbitre ne peut être confiée qu’à une personne physique », autorise à soutenir que toute personne physique peut être arbitre, sans restriction. Aucune référence aux qualités professionnelles de l’arbitre n’est précisée. Or, dans la plupart des professions, il existe des examens professionnels obligatoires, voire un ordre, un corps ou une organisation quelconque qui attestera des qualités professionnelles de l’intéressé. En matière arbitrale, il serait naïf de conclure qu’il y aurait une sorte de libéralisme absolu. En pratique, le choix de l’arbitre va être orienté par des considérations de compétences intellectuelles ou professionnelles en matière arbitrale et/ou en fonction de l’objet du différend.
1. Le sachant : savoir-faire en matière arbitrale
Le choix d’un arbitre par les parties repose souvent sur des « labels de qualité » développés par la soft law[23].
Qualité pour conduire la mission. L’arbitre est devenu sujet aux critiques. A cet égard, la recherche d’un bon arbitre, c’est-dire celui qui a des compétences théoriques et pratiques requises en matière arbitrale, celui en mesure d’offrir les garanties de la procédure ou les avantages comparatifs par rapport à la justice étatique, est une réalité indéniable. C’est à alors que la question de la règlementation de la fonction arbitrale est légitimement en réflexion[24]. Et pourtant, on ne peut pas parler, à l’heure actuelle, de profession d’arbitre. Du reste, l’arbitrage requiert des qualités d’ordre juridique, linguistique et rédactionnel. Ces compétences ne sont pas obligatoires puisqu’elles sont facultatives, en ce sens que rien n’empêche les parties de choisir un arbitre ne possédant aucune d’elles. Mais elles peuvent être une plus-value !
Concrètement, l’arbitre a une fonction juridictionnelle, donc il est un véritable juge investi par les parties. Outre les qualités légales, d’autres qualités, surtout la compétence (juridique, processuelle et technique) sont requises. A ce titre, l’arbitre doit connaître les principes directeurs du procès et les règles de la procédure arbitrale : le respect du principe du dispositif et du principe du contradictoire (assurer l’accès égal à la procédure arbitrale ; obligation d’entendre chacune des parties). En l’absence de règlementation de la fonction d’arbitre, de nombreux centres d’arbitrage dressent des listes (listes d’arbitres) ainsi que divers guides (directives de l’IBA) ou codes internationaux (Code of ethics) non contraignants (soft law) pour combler cette insuffisance normative.
La pratique arbitrale recommande davantage un standard du bon arbiter, d’autant plus que le recours en annulation peut être fondé sur la non-conformité de l’arbitre à sa mission ou tiré de la prohibition faite aux arbitres de prononcer l’exécution provisoire[25].
Nécessité de pouvoir se prononcer sur l’existence, la validité ou l’applicabilité d’une convention. Il est nécessaire de choisir des arbitres de qualité, précisément ceux qui répondent à des critères techniques et juridiques relatifs à l’arbitrage[26]. En la matière, un arbitre averti sait que l’arbitrage est fondé sur une convention d’arbitrage. Aux termes de l’article 11 AUA, « le tribunal arbitral seul est compétent pour statuer sur sa propre compétence, y compris sur toutes les questions relatives à l’existence ou à la validité de la convention d’arbitrage ». Une convention supposant la rencontre de volontés, un bon arbitre doit savoir que le consentement à l’arbitrage ne peut donc résulter d’un silence[27].
Néanmoins, les motifs sont parfois tirés de l’inexistence de la convention d’arbitrage et de l’irrégularité de la constitution du Tribunal arbitral[28]. L’arbitre doit pouvoir reconnaître que la volonté de recourir à l’arbitrage existe dans une espèce où dans le contrat principal, il était prévu une clause intitulée « Juridiction/Arbitrage », et qui prévoyait le recours à l’arbitrage en cas de litige. Une Cour d’appel du Cameroun avait annulé une sentence arbitrale pour absence de convention d’arbitrage[29]. La CCJA, a également prononcé l’annulation d’une sentence arbitrale pour absence de convention[30].
La vigilance sur l’application de la convention d’arbitrage à un tiers. Il existe des hypothèses d’application de la convention au tiers :
- adhésion aux statuts d’une société qui prévoient que tous les litiges entre associés doivent être réglés par voie d’arbitrage ;
- reprise des droits et obligations d’une partie signataire d’une convention d’arbitrage ;
- transmission des droits affectés par une clause d’arbitrage ;
- appartenance à un même groupe que le signataire de la convention (sur extension à des filiales de deux sociétés mères la clause compromissoire conclue par ces dernières[31].
La CCJA a cependant jugé, dans une espèce où un associé lié par un pacte d’actionnaires avait vendu à un tiers une partie de ses actions, que l’acquéreur ne pouvait être lié par la clause compromissoire contenue dans le pacte d’actionnaires que s’il avait signé ledit pacte[32].
Problématique de la représentation de la personne morale de droit public à la convention. Conformément à l’article 2, al. 2b de l’AUA, la CCJA a eu l’occasion de préciser que le défaut de pouvoir d’un ministre représentant l’État ne peut être un motif d’invalidité de la convention d’arbitrage signée par ce ministre[33].
L’autorité de l’arbitre : Au sein de la communauté arbitrale ou au club des arbitres, il y a des arbitres qui brillent par leur autorité ; ceux-là ont des connaissances et expériences avérées des bonnes pratiques et des usages. S’agissant des bonnes pratiques, on peut évoquer : l’obligation ou non pour le tribunal arbitral de discuter tous les arguments soulevés par les parties ; le devoir pour le tribunal de tester les allégations du demandeur en cas de défaut du défendeur ; les démarches que le président du tribunal arbitral devrait adopter afin d’obtenir une décision unanime). En ce qui concerne les usages de l’arbitrage (prérogatives et devoirs des arbitres, régularité de la procédure, écriture de la sentence), en théorie, l’article 15 de l’AUA dispose que « le tribunal arbitral tranche le différend conformément aux règles de droit choisies par les parties. A défaut, le tribunal arbitral applique les règles de droit qu’il estime les plus appropriées en tenant compte, le cas échéant, des usages du commerce international ». En pratique, les spécialistes soutiennent que les différents modes de délibéré relèvent de la pratique ou de « l’art » de l’arbitrage, tout en admettant que chacun a sa manière et aucune ne s’impose.
Plus largement, la question de la connaissance des règles et des pratiques arbitrales s’étend aux autres intervenants dans le processus arbitral, notamment le juge de l’annulation. Dans un arrêt[34] on peut constater que la société Gravel Benin SARL a saisi la Cour d’appel de Cotonou le 21 juillet 2021 d’un recours en annulation de la sentence finale n°9/SF 009/2020/TA/CAMeC-CCIB rendue le 21 décembre 2020 par le Tribunal arbitral. Or, cette Cour, qui n’avait que trois mois pour se prononcer sous peine de dessaisissement, n’a rendu l’arrêt attaqué en cassation que le 17 novembre 2021 soit neuf mois après sa saisine, en violation de l’article 27 de l’AUA, ce qui pose le problème, de façon générale, de la gestion du contentieux arbitral par les acteurs (et non seulement l’arbitre).
A cet égard, même si l’arbitre peut jouir d’une immunité dans la fonction juridictionnelle, les qualités de connaisseur du phénomène arbitral (compétences dans la conduite de la procédure) peuvent déterminer les parties à choisir tel ou tel arbitre.
2. Le spécialiste de l’objet du litige ou du différend
La technicité. La justice arbitrale trouve sa raison d’être dans le fait qu’elle s’adapte plus facilement à la technicité des litiges (finances, mines, ouvrages). Ce n’est plus la qualité subjective de l’arbitre désigné qui seule compte, mais la qualité expertale de l’arbitre qui lui confère sa légitimité, et par voie de conséquence, le rayonnement des institutions d’arbitrage.
La spécialisation s’est imposée par la spécialisation à outrance des matières ou des domaines d’intervention. La recherche des spécialités est devenue une donnée fondamentale de nos jours. Le profil des arbitres, dans la pratique de l’arbitrage ad hoc, de l’arbitrage institutionnel ou de l’arbitrage international, est en un indicateur qualitatif incontesté. En la matière, les institutions d’arbitrage aident les litigants, en établissant des listes d’arbitres, sur lesquelles on retrouve très souvent une grande variété de compétences, pas nécessairement juridiques. On pourrait ainsi y trouver des ingénieurs, des comptables, des banquiers, des assureurs, etc. Les listes d’arbitres mettent en exergue les spécialistes et des juristes chevronnés, répondant à des litiges plus ou moins complexes[35]. Parfois, ces listes ne sont pas fermées, de sorte qu’on puisse désigner un arbitre qui n’en fait pas partie. Cependant, ne seront souvent désignées arbitres que les seules personnes ayant une compétence reconnue et en rapport avec l’objet du litige.
Qualité expertale de l’arbitre et la renommée de l’institution arbitrale. De façon générale, il existe une imbrication certaine entre le savoir-faire des arbitres inscrits et la renommée des institutions d’arbitrage dans l’organisation de leurs activités, notamment en ce qui concerne les règles de procédure et de délai[36]. Par exemple, dans un arrêt récent de la CCJA[37] une requérante fait grief à une Cour d’appel d’avoir annulé la sentence arbitrale du 02 octobre 2019, aux motifs qu’à cette date le délai d’arbitrage avait expiré et qu’aucune autorisation de prorogation de ce délai n’avait été produite aux débats, alors, selon le moyen, que le Comité de gestion du CAMC « avait autorisé le rendu de la sentence arbitrale au plus tard le 10 octobre 2019 par lettre du 12 juillet 2019, reprise dans les qualités de la sentence ». Selon la CCJA, « pour annuler la sentence rendue par le tribunal arbitral le 02 octobre 2019, la cour d’appel a retenu, en substance, que « sauf prorogation, toute décision du tribunal arbitral prise au – delà du délai légal ou conventionnel qui lui est imparti, peut être frappée de nullité » ; qu’en se déterminant de la sorte, alors même qu’il ressort nettement des qualités et des visas de la sentence que le Comité de gestion du CAMC avait bien autorisé le tribunal à déposer sa décision au plus tard le 10 octobre 2019, la cour d’appel a fait une mauvaise application des dispositions de l’article visé au moyen et exposé son arrêt à la cassation (…) ».
Par ailleurs, certains domaines, notamment tout ce qui pourrait avoir un lien avec les plates-formes minières, l’énergie ou les BTP, nécessitent des techniciens spécialisés dans ce secteur, pouvant se prévaloir d’une longue expérience. En somme, les institutions d’arbitrage qui adoptent des listes d’arbitres essaient, en général, de constituer des listes d’élite, afin de parfaire leur fiabilité et de favoriser ou fidéliser ainsi leur recours.
Il semble que l’acceptation sur une liste d’arbitres n’est pas un critère suffisant pour conférer les qualités d’expertise et d’expérience. Néanmoins, le destin de la qualité expertale de l’arbitre est lié à celui du centre : A titre d’exemple, il a été jugé qu’un centre d’arbitrage qui manque d’assurer la régularité des échanges contradictoires entre les parties et l’arbitre, comme lui impose son règlement engage sa responsabilité[38].
Cependant, en droit français, il a été récemment jugé[39] que si un centre d’arbitrage peut engager sa responsabilité contractuelle à l’égard des parties à l’arbitrage, y compris en cas de méconnaissance des principes du procès équitable, sa responsabilité ne peut être engagée que pour les fautes qu’il a personnellement commises dans l’exécution de sa mission d’organisation de l’arbitrage. Les fautes prétendues de l’arbitre ne sauraient ainsi permettre de l’engager.
Pour cette raison, les arbitres qui souhaitent s’inscrire dans un centre suivent généralement une formation (atelier) d’imprégnation du Règlement, des pratiques (Guidelines, ou best practice) et des usages en matière arbitrale. Le partage d’expériences sur les qualités des arbitres amène les institutions d’arbitrage à organiser fréquemment des événements scientifiques ou déontologiques : Paris Abitration week, Lagos Arbitration week ou Lomé arbitration weeek (bientôt).
Cas du Centre d’arbitrage et de médiation de Lomé. A titre illustratif, on peut citer le cas du Centre d’arbitrage et de médiation de Lomé (CIAM) qui a vocation à se spécialiser dans le règlement des litiges maritimes et financiers. A la création, les discussions ont porté notamment sur le cadre juridique, les spécificités et les perspectives de l’arbitrage des litiges maritimes et financiers dans le Golfe de Guinée, la particularité de la clause d’arbitrage dans les secteurs financier et maritime et l’efficacité des sentences arbitrales maritimes et financières. En réalité, la création d’un tel centre est motivée par deux arguments majeurs. Le premier argument part de l’idée que le recours à l’arbitrage est devenu presque un usage maritime. Ainsi, l’existence à Lomé d’un port en eau profonde utilisé par les grandes compagnies maritimes et les opérateurs économiques de l’hinterland (Burkina-Faso, Niger, Mali) justifierait la mise en place d’un centre de justice arbitrale de proximité. Le second argument est relatif au fait que Lomé abrite le siège de nombreuses institutions financières et bancaires, en l’occurrence la Banque ouest africaine de développement (BOAD), Ecobank Transnational Incorporated (ETI), ORAGROUP, la Banque d’investissement et de développement de la CEDEAO (BIDC), la Compagnie commune de réassurance des Etats Membres de la Conférence interafricaine des marchés d’assurance (CICA-RE), African Guarantee Fund (AGF) et la Conférence interafricaine de la prévoyance sociale (CIPRES), ce qui constituerait un potentiel marché de la justice alternative efficace et accessible. Pour attirer les grands spécialistes, un colloque a été organisé les 28 et 29 avril 2022 sur « Arbitrage des litiges maritimes et financiers en Afrique »[40]. Dans cette dynamique, s’en est suivie une formation dite de recrutement des arbitres les 3 et 7 septembre 2023. L’engouement des participants observé témoigne de l’existence de centres d’intérêt ou des domaines de compétences au sein de la communauté des arbitres à ne pas négliger dans la recherche d’un arbitre.
[1] G. BELIARD, E. RIQUIER, X-Y. WANG, Glossaire de droit international privé, Bruylant, 2002, p.42.
[2] Article 3 de l’Acte uniforme relatif à l’arbitrage.
[3] Disponibilité, loyauté, discrétion.
[4] Indépendance, impartialité, disponibilité.
[5] D. FERNANDEZ ARROYO, « Les qualités des arbitres », Cahiers de droit de l’entreprise, n°4, 2012, p. 1 et s.
[6] J.-M. TCHAKOUA, F. KOLLOKO, S. DARANKOUM, Droit de l’arbitrage, coll. Précis de droit uniforme africain, Juriscope, 2022, p. 186.
[7] T. LABATUT, « Faut-il réglementer l’accès à la fonction d’arbitre ? », Petites affiches, n° 46, 4 mars 2020, p. 18 et s.
[8] Civ. 1re, 13 avril 1972, JCP 1972, II, 17189, note P. LEVEL ; Rev. Arb. , 1975, p. 235, note E. LOQUIN
[9] CCJA, arrêt n°203/2018 du 22 novembre 2018, Airtel Gabon c/ Société 2JTH Gabon Sarl, rec ; jurisp. CCJA n°30, Juillet-décembre 2018, vol. 2, p. 250 et s.
[10] CCJA, arrêt 087/2018 du 12 avril 2018, Etat du Niger c/ Société AFRICARD
[11] CCJA, arrêt n°094/2020 du 09 avril 2020, Société GFB c/ Société CDS, inédit
[12] V. en dans ce sens, Cass. civ. 18 mai 1942, DA, 1942, p. 105
[13] R. CABRILLAC Dictionnaire juridique, v° « discrétion »
[14] voir J. BILE AKA, « Indépendance et impartialité de l’arbitre en droit de l’OHADA », Cahiers de l’arbitrage, n°2, 2023, p. 409
[15] F. ANOUKAHA, « L’obligation d’information de l’arbitre en droit OHADA », in L’obligation, Etudes P.-G. POUGOUE, L’Harmattan, 2015, p. 87 et s.
[16] Cass. 1re civ., 16 déc. 2015, no 14-26279, Columbus Acquisitions et Columbus Holdings c/ AGI
[17] Civ. 1re, 18 déc. 2014.
[18] CA Paris, 5-16, 11 janv. 2022, no 19/19201, Rio Tinto c/ Alteo Gardanne
[19] Ass. Plén., arrêt n° 199/2022 du 29 décembre 2022, aff. Société fontaine à bière c/ Société anonymes des brasseries du Cameroun
[20] voir Paris, pôle 5, ch. 16, 10 janvier 2023, Port Autonome de Douala (PAD) c/ Douala International Terminal (DIT)
[21] « L’amitié arbitrale », Cahiers de l’arbitrage, n° 3, juillet 2023, p. 501
[22] H. KENFACK, « Bref retour sur l’obligation de révélation dans l’arbitrage », in La loyauté en droit économique, Mélanges Yves PICOD, Dalloz, 2023, p. 547 et s
[23] Voir les discussions doctrinales dans ce sens : J. C. SCHULTSZ, A. J. VAN DEN BERG, The art of arbitration : Essays on international Arbitration Liber Amicorum Pieter Sanders, Kluwer, 1982 ; G. KAUFMANN-KOHLER « Soft law in International Arbitration : Codification and Normativity », Journal of International Dispute Settlement, 2010, p. 1 et s. ; M. De BOISSESON, « La « Soft Law » dans l’arbitrage », Les cahiers de l’arbitrage, n° 3, 2014, p. 519
[24] Th. LABATUT, « Faut-il réglementer l’accès à la fonction d’arbitre ? » Petites affiches, n°4, 2020, p. 18
[25] Rejet de la demande en annulation Arrêt N°001/2021 du 14 janvier 2021 Affaire : Société Africaine de Construction au Congo S.A c/ Société PARKLAND S.A ; Cassation d’un arrêt d’annulation, CCJA, Arrêt N° 035/2023 du 09 mars 2023, Affaire SOCIETE ITF TRADING COMPANY SARL c/ SOCIETE CAMEROUNAISE DES INDUSTRIES ALIMENTAIRES dite SOCIA SARL.
[26] M. ROBINE, « Le choix des arbitres », Rev. arb. ,1990, 315
[27] CA de l’Ouest, arrêt nº 2 du 12 mars 2008, Ohada, Recueil de jurisprudence nationale, 2010, 7CM251 ; sur l’interprétation d’une convention d’arbitrage, voir Arrêt N° 312/2020 du 22 octobre 2020, Affaire Société Accor Afrique SAS, Société Togolaise d’Investissement et d’Exploitation Hôtelière en abrégé STIEH S.A c/contre Etat Togolais
[28] Arrêt N°063/2021 du 08 avril 2021, Monsieur Marc ORPHANIDES C/ Monsieur Alkarim ALNOOR JAMAL.
[29] CA du Centre, arrêt nº 318/civ., 30 sept. 2009, Ohadata J-10-133.
[30] arrêt nº 039/2014 du 17 avr. 2014). En l’espèce, la convention était alléguée par le demandeur, contestée par le défendeur et il n’y avait pas la preuve de son existence.
[31] CA du Littoral, arrêt nº 026/C du 18 janv. 2013, Juridis Périodique nº 100 (2014), revue de jurisprudence, p. 77.
[32] CCJA, arrêt nº 003/ 2011 du 31 janv. 2011, Affaire Planor Afrique SA c/Atlantique Télécom. SA, Recueil Penant nº 881, déc. 2012, note J.-M. TCHAKOUA
[33] CCJA, arrêt nº 012/2011, du 29 nov. 2011, Ohadata J-13-142.).
[34] CCJA, 3e ch. Arrêt n°216/2023 du 30 novembre 2023, affaire Société GRAVEL Bénin Sarl c/ Société COTTIN Carrières Bénin Sarl
[35] E. LOQUIN, Arbitrage commercial international, JCL Droit international, fasc. 720
[36] E. LOQUIN, « L’accélération de la procédure d’arbitrage à l’intérieur de l’espace OHADA », JDI (Clunet) n° 2, avril 2019, doctr. 4.
[37] Arrêt N° 221/2021 du 23 décembre 2021 Affaire ELAF Sénégal SARL c/ SAUDI ARABIAN AIRLINES Corporation, dite SAUDIA
[38] CA Paris, 1-1, 19 févr. 2019, n° 17/16113, M. L. et EURL L. c/ M. M. et Conseil régional de l’ordre des experts-comptables Paris Île-de-France
[39] Cass. 1re civ., 22 mars 2023, no 21-16238, Société Kraydon Ltd c/ Chambre de commerce internationale de Paris (CCI), F-D (rejet pourvoi c/ CA Paris, 10 nov. 2020
[40] voir les actes du colloque, Les Mercuriales, 2022
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