L’amiable au service du sauvetage de l’entreprise en difficulté en droit OHADA : la médiation et la conciliation
Laure TOE ADOUABOU
Doctorante en droit privé, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
L’acte uniforme originel sur les procédures collectives avait prévu une procédure préventive, le règlement préventif, au bénéfice des débiteurs qui traversent des difficultés sérieuses. La nécessité de la consécration d’une procédure à la fois amiable et préventive s’est imposée. C’est désormais chose faite depuis la révision de 2015. Le législateur a ainsi consacré les procédures de conciliation et de médiation à l’article 2-1 de l’Acte uniforme sur les procédures collectives d’apurement du passif (AUPC). Si pour la mise en œuvre de la première, il faut se référer à l’AUPC, la deuxième est règlementée dans l’Acte uniforme sur la médiation (AUM). Nous proposons donc dans cette étude, à la suite de la présentation de ces procédures amiables comme modes anticipatifs et efficaces de sauvetage d’entreprises, des pistes de réflexion afin de rendre effectif le recours à cet arsenal juridique.
Introduction
La procédure amiable, par opposition à la procédure contentieuse ou judiciaire, aboutit à une négociation, entre les parties concernées, sur les termes d’un accord amiable, en dehors de tout procès. Elle innerve tous les litiges, qu’ils soient d’ordre patrimonial, familial ou professionnel[1]. En droit des entreprises en difficulté, la procédure amiable vise deux objectifs principaux, à savoir la résolution précoce des difficultés de l’entreprise et la liberté laissée aux parties dans les négociations des solutions de sauvetage. Les avantages attachés aux modes amiables de restructuration des entreprises en difficulté n’ont pas laissé le législateur OHADA indifférent[2]. Ce dernier s’est fortement inspiré de l’arsenal juridique français pour consacrer la procédure de conciliation dans l’Acte uniforme sur les procédures collective d’apurement du passif (AUPC), révisé le 15 septembre 2015. Il a également fait le choix de prévoir une deuxième procédure plus souple, en l’occurrence la procédure de médiation. L’unique article prévu par le législateur, l’article 1-2 alinéa 1 de l’AUPC, prévoit que le débiteur peut demander, avant la cessation des paiements, l’ouverture d’une procédure de médiation selon les dispositions légales de l’État partie concerné[3]. Cependant, à la date de la consécration de la procédure de médiation dans l’AUPC, seuls trois (3) États étaient dotés d’une règlementation sur la médiation[4]. De plus, la référence aux droits nationaux dans un environnement juridique intégré était source d’insécurité. Heureusement, un Acte uniforme sur la médiation (AUM), en date du 23 novembre 2017, a finalement vu le jour[5]. Les nécessités d’attractivité et d’anticipation ont été à l’origine de la consécration de la procédure de médiation.
Il convient de retenir que si la consécration de ces procédures amiables vise à assurer le traitement à la fois amiable et contractuel des difficultés des entreprises, sa mise en œuvre nécessite l’intervention d’un tiers neutre de sorte à préserver les intérêts des intervenants. À titre d’exemple, la présence du médiateur ou du conciliateur assure, d’une part, aux créanciers et contractants appelés à la négociation le respect des règles d’ouverture de la procédure amiable et la préservation de leurs droits à l’issue de la négociation et, d’autre part, au débiteur, un accord qui assure la sauvegarde de son entreprise. De même, l’intervention du juge n’altère pas le caractère contractuel de la procédure dans le sens où il assure le suivi de la mission de l’intermédiaire et le bon déroulement des négociations. Il intervient également en aval pour donner force exécutoire à l’accord issu de la négociation sans en modifier la substance.
En tant que deux procédures amiables, dont l’une est règlementée dans l’AUPC et l’autre par l’AUM, la question de leur articulation se pose. En d’autres termes, comment articuler les procédures de médiation et de conciliation de sorte à rendre effectif le choix offert au débiteur ? En effet, la conciliation s’intègre dans l’arsenal juridique de sauvetage des entreprises en difficulté de sorte à assurer une continuité adéquate avec les procédures judiciaires en cas d’échec de l’accord amiable de conciliation, ou même en termes de protection des intérêts des créanciers qui sont intervenus dans la négociation. Tel ne semble pas être le cas de la médiation, car, outre le fait que son caractère contractuel est renforcé du fait de l’intervention du juge au seul stade de l’homologation, l’AUPC ne dit rien du sort réservé à l’accord de médiation dans les procédures collectives.
La réponse à cette question nous permettra donc, d’une part, de présenter les procédures de conciliation et de médiation en tant que modes amiables et précoces de résolution des difficultés (I) et, d’autre part, de proposer des pistes de réflexion afin de coordonner efficacement les règles juridiques en matière de résolution amiable des difficultés des entreprises mises en place par le législateur (II).
I. Des procédures amiables efficaces en raison de leurs natures anticipatives
Le débiteur peut négocier avec ses créanciers des solutions de sauvetage de son entreprise dans le cadre d’une procédure de conciliation en se référant à l’AUPC (A), ou dans le cadre d’une procédure de médiation en se référant à l’AUM (B).
A. La consécration extensive des règles applicables à la procédure de conciliation dans l’AUPC
La conciliation est l’innovation de la révision de l’AUPC en 2015. La procédure de conciliation est définie à l’article 2 de l’AUPC comme une procédure préventive, consensuelle et confidentielle. Elle est d’abord définie comme une procédure préventive. La procédure préventive vise à traiter les difficultés de l’entreprise, à l’initiative du débiteur lui-même, au moment où il ne pèse sur lui aucune contrainte, c’est-à-dire avant la cessation des paiements. Elle vise donc à prévenir les difficultés de l’entreprise ou à éviter l’accroissement des difficultés naissantes. Elle est ainsi présentée comme « le meilleur moyen de prévenir les difficultés des entreprises »[6]. De même, comme le note un auteur, « l’amiable est la promesse d’une résolution optimisée des difficultés d’entreprises »[7]. Pour la réussite de la procédure, le législateur a consacré deux critères de déclenchement. Le premier critère concerne la nature des difficultés de l’entreprise.
L’article 5-1 de l’AUPC ouvre le bénéfice de la procédure de conciliation au débiteur qui connait des difficultés avérées ou prévisibles sans être en cessation des paiements. Les difficultés doivent donc pouvoir être constatées et appréciées. La notion de prévisibilité permet certes d’anticiper les difficultés, mais son appréciation peut s’avérer difficile[8], surtout si le débiteur ne dispose pas de comptes prévisionnels fiables. En tout état de cause, l’appréciation de la difficulté prévisible relève de la compétence des juges du fond. Il peut s’agir de la perte d’un client important, de difficultés d’ordre sociologique[9], juridique ou économique. Il s’agit donc d’indices permettant de juger de la difficulté à venir.
La procédure de conciliation apparait donc comme un moyen de conscientiser les chefs d’entreprises par la reconnaissance des signaux alarmants et la détection précoce des difficultés naissantes. Pour ce faire, le débiteur doit avoir une vision claire de l’évolution prévisible de l’entreprise.
Le second critère a trait à la personne qui prend l’initiative de la demande. Afin d’inciter le débiteur à agir efficacement, l’initiative de l’ouverture des procédures amiables relève de la compétence du débiteur[10] ; il peut d’ailleurs y mettre fin à tout moment[11]. C’est effectivement à l’entrepreneur ou au représentant de la personne morale de saisir le tribunal aux fins d’ouverture de la procédure amiable. Le débiteur peut saisir conjointement le tribunal avec un ou plusieurs créanciers[12]. Cette saisine conjointe ne rend pas la procédure moins volontaire et, dans tous les cas, seul le débiteur a un intérêt à demander officiellement l’ouverture d’une telle procédure. Ainsi, ni le président de la juridiction compétente, ni les créanciers, à leur initiative, ni les salariés ne peuvent saisir le tribunal aux fins d’ouverture d’une procédure amiable.
Elle est ensuite définie comme une procédure consensuelle. Le consensualisme dans la procédure de conciliation renvoie à la faculté de négociation de l’accord de conciliation entre le débiteur et ses principaux créanciers, et le cas échéant ses contractants habituels[13]. Cette faculté offerte au débiteur s’inscrit dans « un mouvement de contractualisation du droit des entreprises en difficulté »[14]. Ce concept permet de rendre compte de l’intrusion des mécanismes contractuels, entendu comme accord de volonté destiné à produire des effets de droit, dans un cadre contraignant ou les volontés individuelles ne peuvent s’exprimer que sous contrôle strict du juge. Il s’agit ainsi de permettre au débiteur de résoudre les difficultés de son entreprise, par le biais de négociations avec les créanciers et ses éventuels cocontractants, avec l’intervention d’un tiers neutre, et dont l’initiative provient du débiteur lui-même, et n’oblige pas les créanciers. Ainsi, l’intervention du juge et du tiers négociateur, ici le conciliateur, est limitée. Dans un premier versant, en amont, c’est le président du tribunal de la juridiction compétente qui peut ouvrir la procédure de conciliation à l’initiative du débiteur[15]. Il désigne également le conciliateur dans la décision d’ouverture de la conciliation et assure donc le bon suivi de ses missions.
La présence du juge vise à assurer la protection des intérêts contradictoires du débiteur et des créanciers. En effet, pour la protection des créanciers, le juge veille au respect des conditions d’ouverture de la procédure de conciliation afin d’éviter les actions qui sont de nature à retarder l’ouverture des procédures collectives et donc qui feraient perdre des droits aux créanciers. Pour la protection du débiteur et la réussite des négociations, le juge peut paralyser certaines actions des créanciers[16]. Durant la négociation, il peut, en effet, ordonner la suspension des poursuites et ordonner le report de paiements lorsqu’un créancier entreprend de poursuivre le débiteur durant la négociation[17].
Dans un second versant, le rôle du conciliateur est limité puisqu’il a pour mission de favoriser la conclusion de l’accord destiné à mettre fin aux difficultés de l’entreprise[18]. Il agit en toute indépendance, même si c’est la société débitrice qui paie ses honoraires.
En tout état de cause, la négociation peut porter sur les concours consentis par les établissements financiers ou le renouvellement d’un contrat par un contractant important. La particularité repose sur la désignation des principaux créanciers par le débiteur et la liberté des créanciers d’adhérer ou non aux propositions faites par le débiteur, tout en sachant que tout refus peut laisser suspecter des difficultés plus importantes.
Elle est enfin définie comme une procédure confidentielle. La confidentialité est la particularité de la procédure de conciliation, car à ce stade, le débiteur ne doit pas perdre la confiance de ses partenaires. Le législateur prévoit que toute personne qui a connaissance de la procédure est tenue à la confidentialité[19]. De même, le juge doit statuer à huis clos et les décisions d’ouverture et de clôture de la procédure ne font l’objet d’aucune publicité[20]. La confidentialité est « un pilier de la politique de sauvetage de l’entreprise »[21] dans le sens où l’efficacité de la négociation serait mise à mal en cas de non-respect, étant donné que la négociation ne se déroule qu’avec certains des créanciers.
B. L’autonomisation des règles applicables à la procédure de médiation de l’AUPC
Le législateur prévoit à l’article 1-2 de l’AUPC la possibilité pour le débiteur de recourir à une médiation, avant la cessation des paiements[22], suivant les dispositions légales de l’État partie concerné. Le débiteur devait donc se référer aux dispositions internes de son État pour sa mise en œuvre. Or, seuls quelques États étaient dotés d’une règlementation sur la médiation[23]. Désormais, l’Acte uniforme sur la médiation (AUM) est applicable depuis son adoption en 2017. L’article 1er de l’AUM désigne la médiation comme « tout processus, quelle que soit son appellation, dans lequel les parties demandent à un tiers de les aider à parvenir à un règlement amiable d’un litige, d’un rapport conflictuel ou d’un désaccord ci‐après le « différend » découlant d’un rapport juridique, contractuel ou autre ou lié à un tel rapport, impliquant des personnes physiques ou morales, y compris des entités publiques ou des États »[24]. Il convient de retenir que si le débiteur fait le choix de recourir à la conciliation, les dispositions prévues dans l’AUPC sont applicables, alors qu’il doit se référer à l’AUM en ce qui concerne la médiation, et plus précisément la médiation conventionnelle.
En ce qui concerne les critères d’ouverture de la procédure de médiation, il faut se référer à la fois à l’AUPC et à l’AUM, tout en retenant qu’il ne s’agit nullement de régler un litige ou un rapport conflictuel. Il s’agit pour le médiateur d’aider le débiteur et ses créanciers à parvenir, par un consensus, à la restructuration de l’entreprise en difficulté, à travers la renégociation du rapport contractuel. D’une part, l’ouverture de la procédure de médiation peut résulter de la mise en œuvre d’une convention de médiation entre le débiteur et l’un ou plusieurs de ses contractants, prévue lors de la conclusion du contrat ou insérée ultérieurement par un avenant[25]. Elle peut également s’ouvrir sur invitation d’une des parties, en l’occurrence le débiteur ou un créancier ou par le biais d’un recours conjoint. Dans le cadre du droit des entreprises en difficulté, tout laisse à penser que seul le débiteur a intérêt à introduire la demande[26].
D’autre part, pour déterminer la nature des difficultés, la seule certitude qui ressort est l’absence de cessation des paiements[27]. Il faut donc se référer aux règles applicables à la procédure de conciliation. Ainsi, le débiteur peut désigner un médiateur lorsqu’il connait des difficultés avérées ou simplement prévisibles[28]. Cependant, la question des créanciers concernés se pose. En effet, s’il est établi qu’en conciliation le débiteur peut introduire une négociation avec ses principaux créanciers et cocontractants, rien n’est mentionné en médiation, de telle sorte qu’on pourrait envisager une négociation isolée avec un cocontractant ou une négociation incluant les principaux créanciers. Dans sa mise en œuvre, le débiteur en difficulté peut procéder au choix de ses créanciers, avec qui il compte entrer en négociation et recueillir leur accord. Ceux-ci doivent donc être avisés par lui afin qu’ils puissent, conformément à l’article 5 de l’AUM, procéder au choix du médiateur. Pour ce faire, les parties peuvent procéder à sa désignation d’un commun accord ou, dans le cas d’une médiation institutionnelle, recourir à une autorité de désignation. La procédure est confidentielle, sauf si les parties en décident autrement. La question de l’appréciation de l’absence de cessation des paiements ou de la nature des difficultés se pose également. Celle-ci peut se faire par le médiateur choisi par les parties, puis contrôlée par les organes de la procédure en cas d’ouverture ultérieure d’une procédure de conciliation ou de procédures judiciaires.
Le médiateur doit être indépendant et impartial envers les parties afin d’assurer au mieux sa mission. La neutralité du tiers négociateur envers les parties est bénéfique pour elles. En effet, elle assure une procédure dans laquelle les parties se feront mutuellement confiance dans les efforts à consentir[29]. Le rôle du médiateur est important, car de ses qualités dépendent l’issue des négociations[30]. Ses missions sont déterminées par les parties. Mais en matière de difficultés économiques, il s’agit de négocier des délais de paiements et des remises de dettes. Il peut procéder à toutes les propositions afin de parvenir à un accord, sans pouvoir leur imposer une quelconque solution[31]. De ce fait, ses missions se rapprochent du conciliateur. L’accord de médiation qui résultera des négociations revêtira la forme de contrat, négocié entre partenaires économiques, régi par le droit des contrats.
En définitive, la procédure de médiation peut être qualifiée de procédure préventive, amiable, contractuelle et confidentielle. Elle a l’avantage de la souplesse dans sa mise en œuvre que la procédure de conciliation, laquelle est encadrée par des règles strictes. Son déroulement dans un cadre amiable est de nature à instaurer un environnement de confiance dans la négociation afin de mettre fin aux difficultés de l’entreprise. Cependant, les règles régissant la médiation semblent ne pas être suffisamment adaptées au sauvetage de l’entreprise en difficulté.
II. Des procédures amiables perfectibles en raison du défaut d’articulation dans l’AUPC
La procédure de médiation, comme procédure amiable, s’inscrit dans un cadre plus large de résolution des difficultés des entreprises aux côtés de la conciliation. De fait, il demeure essentiel d’assurer une articulation adéquate avec, non seulement la procédure de conciliation avec laquelle elle semble faire doublon (A), mais aussi avec la procédure judiciaire, dans laquelle, l’accord de médiation est susceptible de produire des effets juridiques à l’ouverture d’une procédure judiciaire (B).
A. Les pistes d’articulation de l’accord de médiation et de conciliation
Dans l’hypothèse où les parties n’ont pas donné force exécutoire à l’accord par l’homologation ou l’exéquatur, l’accord revêt la force juridique d’un contrat et n’engage que les parties[32]. A ce titre, le contenu de l’accord est fragilisé parce que la date de cessation des paiements peut être reportée à une date antérieure à l’accord négocié en cas d’ouverture d’une procédure collective. Un tel accord peut donc être frappé par les inopposabilités de la période suspecte[33]. Dans une autre hypothèse, il peut être déposé au rang de minute d’un notaire, soumis à l’homologation ou à l’exequatur[34]. L’homologation et l’exequatur confèrent à l’accord amiable la force exécutoire à l’issue d’un contrôle de conformité par le juge[35]. En d’autres termes, le sceau judiciaire renforce l’efficacité du contrat issu de la négociation. La question de l’étendue du contrôle de conformité par le juge se pose en matière de médiation. De plus, peut-on affirmer que l’accord de médiation homologué revêt la même force juridique que l’accord de conciliation homologué ? Le juge saisi à l’issue de la négociation d’un accord de médiation procède à un contrôle formel par la vérification des conditions de validité de l’accord. Il s’agit de l’effectivité du consentement, de leur capacité à contracter et d’un contenu certain et licite. Les privilèges de new money[36] de l’article 5-11 de l’AUP ne concernent que l’accord de conciliation homologué. À ce titre, l’ouverture ultérieure d’une procédure collective n’améliore pas la situation des créanciers et de la caution du débiteur. Ils sont, au pire, dans une situation bien défavorable par rapport aux autres créanciers puisque leurs efforts ne peuvent être récompensés. Ils peuvent également se voir opposer les inopposabilités de la période suspecte.
Dans tous les cas, l’accord amiable de médiation doit permettre de mettre fin aux difficultés passagères de l’entreprise. Dans le cas contraire, ou en cas d’échec de la négociation, le débiteur en difficulté peut saisir le président du tribunal pour demander l’ouverture d’une procédure préventive, à condition de ne pas être en cessation des paiements. La procédure dépendra du niveau des difficultés de l’entreprise. Si ses difficultés sont avérées ou prévisibles, il peut demander l’ouverture d’une procédure de conciliation[37]. Par contre, s’il justifie de difficultés financières ou économiques sérieuses, il peut demander le bénéfice d’une procédure de règlement préventif[38]. Il est donc urgent d’aligner la procédure de médiation à la conciliation afin d’accorder toutes les garanties aux créanciers qui acceptent de négocier dans le cadre de la médiation. Les créanciers seront également davantage réticents à s’engager dans une seconde démarche de négociation dans le cadre d’une conciliation à l’échec d’une médiation.
Il demeure possible d’assurer une articulation efficiente entre les procédures de médiation et de conciliation, en tant que modes amiables et anticipatifs de résolution des difficultés d’entreprise. La procédure de médiation est, certes, distincte de la conciliation, mais elle semble également se calquer sur celle-ci. Premièrement, la procédure de médiation peut être un préalable à la procédure de conciliation au regard de la durée de cette dernière[39]. Pour ce faire, le débiteur peut demander l’ouverture d’une médiation suivant les critères consacrés en matière de conciliation, c’est-à-dire en présence de difficultés avérées ou prévisibles avant la cessation des paiements. Les différentes négociations envisagées devraient permettre de poser les bases de l’accord à négocier et de juger également du succès de la procédure de conciliation à venir. Sa poursuite dans une conciliation vise à faire profiter à l’accord les avantages dont est dépourvue la médiation. Un tel choix nécessite une mutualisation des fonctions de médiateur et de conciliateur afin d’éviter de faire peser sur le débiteur le coût d’une procédure successive[40]. Il nécessite également, même sommairement, de consacrer des règles, dans l’AUPC, sur les conditions de mise en œuvre de la médiation afin qu’elle ne reste pas lettre morte. Deuxièmement, la procédure de médiation peut demeurer autonome par rapport à la conciliation. Du fait de sa souplesse et de son aspect consensuel plus marqué par rapport à la conciliation, elle peut devenir un instrument juridique privilégié dans le sauvetage d’entreprises. Elle nécessite, cependant, un minimum de réglementation juridique, à l’instar de ce qui est prévu en droit français en matière de procédure de mandat ad hoc.
En résumé, l’accord amiable peut être un puissant instrument de sauvetage anticipatif des entreprises en difficulté. Cependant, il demeure nécessaire de coordonner les procédures de conciliation et de médiation pour plus d’efficacité, soit en faisant de la médiation un préalable à une conciliation, soit en assignant un but différent à ces deux procédures.
B. La proposition de simplification de la procédure de médiation
La consécration de la médiation élargit, certes, les possibilités prévues par le législateur au bénéfice des débiteurs en difficulté en matière de résolution amiable des difficultés des entreprises. D’ailleurs, dans son commentaire sous l’article 2-1 de l’AUPC, le Professeur Michel FILIGA précise qu’il s’agit de faire œuvre de pédagogie en consacrant la procédure de médiation dans l’AUPC, laquelle consécration met en exergue son existence dans le corpus juridique de l’OHADA[41]. En effet, un tel rappel a l’avantage de la pédagogie, aussi bien pour les praticiens que pour les débiteurs en difficulté. Cependant, du fait justement de l’absence d’une articulation suffisante de la médiation dans l’AUPC, le risque est de relayer la médiation au rang d’hypothèse d’école[42]. La difficulté ressort, d’une part, de l’amalgame dans les objectifs et la définition des procédures de médiation et de conciliation, d’autre part, de l’absence d’une règlementation en matière de médiation, adaptée aux objectifs de sauvetage des entreprises en difficulté, à l’instar de la procédure de conciliation.
La première piste de réflexion repose sur le choix du médiateur. En matière de désignation du médiateur, l’article 5 alinéa 1er de l’AUM prévoit que les parties choisissent, de commun accord, un ou plusieurs médiateurs. Par ailleurs, les parties peuvent convenir de recourir à une autorité de désignation pour les assister dans le choix du médiateur ou procéder à sa désignation[43]. Il est à mentionner, de façon préliminaire, qu’il n’est pas nécessaire de désigner deux médiateurs, quand l’urgence et la situation financière de l’entreprise ne justifient pas un tel choix. Les règles qui assurent l’indépendance du médiateur sont générales et relatives à celles qui régissent tout tiers intervenant dans une procédure de négociation. Il s’agit de l’indépendance et de l’impartialité[44]. Des incompatibilités ont également été édictées, elles ne sont cependant pas spécifiques au traitement des entreprises en difficulté[45], mais à la survenance ultérieure d’un différend. La question qui se pose est celle de savoir s’il est possible de se référer à celles applicables en matière de conciliation. En effet, l’article 5-4 de l’AUPC prévoit des incompatibilités à l’égard de toute personne désignée en qualité de conciliateur, lorsqu’elle a été rémunérée par les parties ou lorsqu’elle contrôle ou est contrôlée par le débiteur en difficulté. De même, aucun parent ou allié du débiteur ne peut être désigné en qualité de conciliateur. Il est, dès lors, possible de recourir à cet arsenal juridique afin de compléter la règle applicable aux incompatibilités en procédure de médiation.
La deuxième piste de réflexion a trait au coût de la procédure[46]. Le débiteur qui demande l’ouverture d’une procédure de médiation n’est, certes, pas en cessation des paiements, mais la nature de ses difficultés nécessite d’engager moins de coût financier afin de ne pas creuser davantage sa situation financière, surtout dans l’hypothèse de procédures successives. Alors qu’en matière de médiation, il est prévu que la rémunération du médiateur repose sur les parties et que le prix s’en répartisse équitablement entre elles[47]. Deux doutes se révèlent en matière de traitement des difficultés d’entreprises. Le premier repose sur le montant de la rémunération, qui peut devenir un obstacle à son recours. En effet, en dehors du cas où les parties ont recours à une institution de médiation, la fixation du coût relève d’une négociation entre les parties et le médiateur. Une telle liberté est une entrave à la prévisibilité de la rémunération. Le deuxième repose sur la charge de la rémunération. Il est à douter que les créanciers acceptent de supporter la charge financière d’une procédure dans laquelle ils pourraient consentir des délais de paiements ou des abandons de créances au bénéfice du débiteur. Ils peuvent donc, par une clause contraire, prévoir que le débiteur supporte la charge de la procédure. Il devient très vite tentant de recourir à la conciliation, dans laquelle le juge s’érige en garant d’une procédure moins coûteuse[48].
Enfin, le délai de recours à la médiation peut constituer un obstacle. La procédure de médiation n’est soumise à aucune limite de durée. En effet, c’est aux parties de fixer la durée de la procédure avec la possibilité de la proroger conjointement avec l’accord du médiateur[49]. Puisque la procédure de médiation ne peut être demandée par le débiteur qu’avant la cessation des paiements, la question se pose de savoir quelle sera l’autorité qui se chargera de procéder à une telle vérification. De plus, deux situations peuvent se présenter : soit la procédure aboutit à un accord, de nature à maintenir durablement la situation de l’entreprise, soit la procédure échoue. Dans ce dernier cas, la cessation des paiements pourrait intervenir et le débiteur pourrait n’avoir d’autre choix que de demander l’ouverture d’une procédure collective.
En définitive, la procédure de médiation complète l’arsenal juridique du droit OHADA en matière de traitement amiable des difficultés des entreprises. Cependant, elle se heurte à des obstacles dans sa mise en œuvre. Ainsi, aux difficultés d’ordre pratique se rajoutent les difficultés d’ordre juridique, lesquelles peuvent être surmontées lorsque la procédure s’intègre dans une démarche de sauvetage de l’entreprise.
[1] Dans l’arsenal juridique français de sauvetage des entreprises en difficulté, nous relevons l’existence des procédures amiables de conciliation et de mandat ad hoc. Pour la mise en œuvre de ces procédures, la présence d’un conciliateur et d’un mandataire ad hoc est indispensable, assisté par un juge.
[2] L’absence de procédures préventives et extrajudiciaires visant à promouvoir les négociations privées avaient d’ailleurs été relevée dans le rapport d’audit préalable à la révision de l’AUPC. Un auteur défendait également le recours au mode de règlement extrajudiciaire de litiges à travers l’arbitrage et la conciliation-médiation, en privilégiant ce dernier mode parce qu’il serait conforme aux traditions africaines. Nulle part, dans la loi sur les entreprises en difficulté, il n’est fait mention du terme de médiation en droit français. Cependant, le Code de procédure civile envisage une définition commune de la médiation et de la conciliation (art. 1530 du CPC). L’autonomie de la conciliation et de la médiation en droit OHADA nécessite leur distinction ; voir : C. HOGUIE, « L’arbitrage et la conciliation : quels intérêts pour les entreprises ? », Ohadata D-10-23; C. BERGER, BRUNENGO (S.), Médiation, négociation et entreprises en difficulté, in les procédures collectives complexes, ss. la dir. A. CERATI-GAUTIER; voir: PERRUCHOT-TRIBOULET, Joly éd., Pratique des affaires, Lextenso, p.212
[3] AUPC, art. 1-2 al. 1.
[4] Seuls trois pays étaient dotés d’une règlementation sur la médiation à la consécration de cette procédure de médiation dans l’AUPC. Il s’agit du Burkina Faso qui a adopté la Loi 2012-52 du 7 décembre 2012, de la Côte d’ivoire qui a adopté la loi n°2014-389 du 20 juin 2014 et du Sénégal avec la consécration du décret n°2014-1653 du 24 décembre 2014. Avec l’adoption de l’Acte uniforme sur la Médiation le 23 septembre 2017, la procédure de médiation consacrée par l’article 1-2 de l’AUPCAP relève désormais de cet acte uniforme.
[5] À l’origine, les instances compétentes de l’OHADA avaient prévu d’intégrer la médiation commerciale à l’acte uniforme relatif à l’arbitrage
[6] A.-F. TJOUEN, « la graduation des finalités du droit Ohada des entreprises en difficulté », Lexbase, 2017, https://www.lexbase.fr/article-juridique/42508134-doctrine-la-graduation-des-finalites-du-droit-ohada-des-entreprises-en-difficulte-premiere-partie
[7] F. REILLE, « L’instauration d’une conciliation à la française en droit des entreprises en difficulté », LPA, n°49, p. 7
[8] P.-M. LE CORRE, Droit et pratique des procédures collectives, 10ème éd., Dalloz, 2018, n°141-211 ; A. JACQUEMONT, N. BORGA, T. MASTRULLO, Droit des entreprises en difficulté, 11ème éd., LexisNexis, 2019, n°93 ; X. De ROUX, Rapport A.N. n°2095 sur le projet de loi de sauvegarde des entreprises en difficulté, 2005, p.130
[9] J.-J. HYEST, Rapport Sénat n° 335 (2004-2005) fait au nom de la commission des lois, déposé le 11 mai 2005, p. 105
[10] AUPC, art. 5-2 ; voir : aussi P. ROUSSEL GALLE, « Prévention, dynamique de l’anticipation: le mandat ad hoc et la conciliation après le décret du 28 Décembre 2005 », LPA, n°138; p. 10
[11] L’article 5-8 de l’AUPC conditionne la possibilité pour le débiteur de mettre fin à la procédure de conciliation en l’absence de cessation de paiement.
[12] AUPC, art. 5-2
[13] AUPC, art. 5-5
[14] M. KOEHL, La négociation en droit des entreprises en difficultés, thèse, Paris Nanterre, 2019.
[15] AUPC, art. 5-3
[16] Voir. Not : M.-E. MFINI, « La protection des intérêts des créanciers dans le droit OHADA des entreprises en difficulté », Lexbase Afrique-OHADA, n° 69, 2023.
[17] Ibid.
[18] AUPC, art. 5-5
[19] AUPC, art. 5-1 in fine
[20] AUPC, art. 5-3
[21] L. C. BIASSALY, « La procédure de conciliation dans la prévention des difficultés des entreprises en droit OHADA : distinct ou copie du droit français ? » 20 mars 2017, Actualité juridique, Village de la justice.
[22] Sur la notion de cessation des paiements, voir : W. MARTINEAU-BOURGINAUD, « La cessation des paiements, une notion fonctionnelle », RTD Com. 2002, p.245. Voir aussi : G. TEBOUL, « La cessation des paiements : une notion dépassée ? », Gaz. Pal. n° 13, 2023, p. 38; G. TEBOUL, « La cessation des paiements: point de convergence des intérêts contraires? », Gaz. Pal. 2008, doctr. 1703, note G. TEBOUL ; TGI Ouagadougou, jugement n°192 du 24 février 1999, Ohadata J-04-178, selon lequel la cessation des paiements est l’état dans lequel le débiteur est dans l’impossibilité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible.
[23] Il s’agissait du Burkina Faso, de la Côte-d’Ivoire et du Sénégal.
[24] En réalité, la définition de la médiation, telle que prévue par l’AUM, est une calque de l’art. 21 de l’ordonnance n° 2011-1540 du 16 novembre 2011 portant transposition de la directive 2008/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale qui prévoit que la « médiation régie par le présent chapitre s’entend de tout processus structuré, quelle qu’en soit la dénomination, par lequel deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à un accord en vue de la résolution amiable de leurs différends, avec l’aide d’un tiers, le médiateur, choisi par elles ou désigné, avec leur accord, par le juge saisi du litige ».
[25] AUM, art. 4
[26] Il est à douter que, dans le cadre strict du traitement amiable des difficultés des entreprises, les créanciers puissent appeler le débiteur à la négociation. Ils auront plutôt tendance à se tourner vers les modes judiciaires de traitement des difficultés.
[27] AUPC, art. 2-1
[28] AUPC, art. 5-1
[29] La personne désignée en qualité de médiateur doit présenter aux parties ou à l’autorité de désignation toute situation qui mettrait en cause en indépendance et son impartialité à l’égard des parties. Une telle exigence intervient au moment de sa désignation mais aussi ultérieurement ; v. à ce propos, voir les art. 5 al. 6 et 6 de l’AUM.
[30] C. TIRVAUDEY, « L’amiable, une boîte à outil pour les sociétés», in Rencontre multicolore autour du droit, Mélange en l’honneur de (D.) GIBIRILA ; Presses UT1 ; 2021, p. 347
[31] Art. 7. Al. 4 de l’AUM.
[32] Cette hypothèse n’est pas différente de celle dans laquelle les parties n’ont accordé aucune force exécutoire à l’accord de conciliation à travers l’homologation ou l’exequatur.
[33] Voir : AUPC, art. 67 et suiv.
[34] Voir : AUM, art. 16, al. 1, 2 et 3. L’accord de médiation acquiert alors force exécutoire. Il en est de même de la conciliation à l’article 5-10 de l’AUPC.
[35] L’art. 1565 du Code de procédure civil français prévoit que « l’accord auquel sont parvenus les parties à une médiation, à une conciliation ou à une procédure participative peut être soumis, aux fins de le rendre exécutoire à l’homologation du juge compétent dans la matière considérée. Le juge à qui est soumis l’accord ne peut en modifier les termes.
[36] P.-M. LE CORRE, « Le privilège de conciliation : questions-réponses », Gaz. Pal. 14 janv. 2014, n° 161n7, p. 44.
[37] Voir : art. 5-1 de l’AUPCAP.
[38] AUPC, art. 6.
[39] La procédure de conciliation est prévue pour une durée de trois mois, prorogeable d’un mois, v. art. 5-3 de l’AUPC.
[40] Le médiateur peut, donc, être nommé en qualité de conciliateur et le juge fixe la rémunération en tenant compte des fonctions successives qu’il aura endossées.
[41] F.-M. SAWADOGO, Commentaire sous article 1-2 de l’AUPC, Code OHADA, 2018, p. 1135
[42] Une recherche au sein de quelques tribunaux de commerce (notamment du Burkina Faso, du Gabon, du Cameroun et du Bénin) révèle l’absence de traces quant à un éventuel recours à la médiation en matière de prévention des difficultés des entreprises. Cependant, il n’est pas permis de conclure hâtivement à son inexistence. En effet, la procédure étant confidentielle, il n’est pas aisé de prouver l’absence ou l’insuffisance d’un tel recours. Cependant il est permis d’avancer que le recours à la procédure de médiation n’a pas atteint l’objectif escompté par le législateur.
[43] AUM, art. 5, al. 2
[44] AUPC, art. 6
[45] L’article 14 du l’AUM prévoit que « sauf convention contraire des parties, le médiateur ne peut assumer les fonctions d’arbitre ou d’expert dans un différend qui a fait ou qui fait l’objet de la procédure de médiation ou dans un autre différend né du même rapport juridique ou lié à celui‐ci. Le médiateur ne peut assumer les fonctions de conseil dans un différend qui a fait ou qui fait l’objet de la procédure de médiation, ou dans un autre différend né du même rapport juridique ou lié à celui‐ci. »
[46] A. DIDOT-SEID ALGADI, « Médiation et droit OHADA des procédures collective », in Rencontre multicolore autour du droit, Mélange en l’honneur de Deen GIBIRILA, voir aussi : B. BOLI DJIBO, « Les obstacles à la médiation dans l’espace OHADA », Lexbase Afrique-OHADA, n°8, 2018
[47] L’art. 13 de l’AUM prévoit que les parties déterminent, soit directement, soit par référence à un règlement de médiation, les frais de la médiation, y compris les honoraires du médiateur et que les frais de la médiation sont supportés par les parties à parts égales, sauf convention contraire.
[48] En matière de désignation du médiateur, l’article 5 alinéa 1 de l’AUM prévoit que les parties choisissent, de commun accord, un ou plusieurs médiateurs. Par ailleurs, les parties peuvent convenir de recourir à une autorité de désignation pour les assister dans le choix du médiateur, ou procéder à sa désignation, v. art. 5, al. 2 de l’AUM.
[49] Voir. AUM, art. 12.
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