Panorama critique de l’arbitrage OHADA

Véronique Carole NGONO

Agrégée de droit privé, Professeure à l’université de Douala  


L’arbitrage est une justice qui continue de faire parler d’elle dans le monde, en Afrique, spécialement dans les pays membres de l’OHADA. L’arbitrage, selon l’expression de Pierre TERCIER, s’est « banalisé »[1]. L’institution a même tendance à quitter son berceau d’origine pour s’étendre à d’autres domaines. L’arbitrage se développe dans le domaine des investissements, en matière sportive, il en est de même en droit administratif. Il prend à l’heure actuelle une importance considerable, signe de son intérêt et de son actualité. Mais qu’est-ce que l’arbitrage ? Il est assez curieux de constater que ce mode de règlement des différends n’est défini dans aucune legislation. C’est la doctrine qui s’est attelée à définir l’arbitrage. L’on retiendra la définition donnée par Charles JARROSSON selon laquelle, L’arbitrage est une justice privée par laquelle un tiers règle le différend qui oppose deux ou plusieurs parties en exerçant une mission juridictionnelle qui lui a été confiée par celle-ci. De cette definition, il ressort trois critères caractéristiques de l’arbitrage.  

Premièrement, l’arbitrage est une justice volontaire, consensuelle, en ce que les parties s’accordent pour soustraire leur litige à la connaissance du juge étatique. Aussi, l’arbitrage repose avant tout sur une convention d’arbitrage par laquelle les parties donnent mission à un ou plusieurs arbitres de trancher le litige. Cette convention peut prendre deux formes : la clause compromissoire qui renferme l’accord des parties à un contrat avant l’apparition d’un différend et le compromis stipulant l’accord des parties de soumettre le litige déjà né à l’arbitrage. Toutefois, le consentement à l’arbitrage peut être donné en différé. C’est le cas en matière d’arbitrage des investissements ou en matière d’arbitrage sportif. En effet, en ce qui concerne l’arbitrage d’investissement, le consentement à l’arbitrage est dissocié[2]. L’Etat fait une offre anticipée d’arbitrage impersonnel dans le cadre du Traité.  L’investisseur, quant à lui, donne son consentement au moment du dépôt de la requête d’arbitrage. En matière sportive, la clause d’arbitrage est comprise dans les règlements établis dans les institutions sportives et dans les statuts de divers règlements sportifs. 

Deuxièmement, l’arbitrage est une justice privée. En effet, le recours à l’arbitrage traduit le choix des parties de se soustraire à la justice étatique. L’arbitre, contrairement au juge étatique, n’est pas investi par l’Etat d’un pouvoir juridictionnel permanent, il ne rend pas la justice au nom d’un Etat. Il bénéficie néanmoins ponctuellement d’un pouvoir juridictionnel pour une affaire déterminée que les parties lui ont soumis.

Troisièmement, l’arbitrage a une nature juridictionnelle. L’arbitre est un juge contrairement au médiateur ou au conciliateur. Mis à part le juge étatique, l’arbitre est le seul tiers qui puisse être titulaire d’un pouvoir juridictionnel, il exerce la jurisdictio. Il rend une sentence obligatoire tranchant une contestation entre les parties et ayant autorité de la chose jugée.

L’arbitrage est devenu un mode privilégié de règlement des différends de telle sorte que l’organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires a décidé dès l’article 1er du traité de « promouvoir l’arbitrage comme instrument de règlement des différends contractuels ». Il faut dire qu’avant la signature du traité OHADA en 1993, très peu d’Etats d’Afrique noire francophone disposaient de législation en matière d’arbitrage[3]. Deux raisons principales ont favorisé l’instauration de l’arbitrage comme mode de règlement des différends dans l’espace OHADA. En premier lieu, l’insécurité judiciaire décriée par les opérateurs économiques a poussé les rédacteurs du traité à demander à l’arbitrage une sorte « d’intérim du judiciaire » jusqu’à une réforme complète de celui-ci. Les délais de réforme du système judiciaire étaient jugés excessifs et il fallait « prévoir un dispositif arbitral en état de fonctionner de manière autonome, c’est de cette contrainte qu’est né l’arbitrage OHADA… »[4]. En second lieu, le souci était de délocaliser les arbitrages. Au plan international, la majorité des Etats africains se trouvaient obligés d’admettre des conventions d’arbitrage, car l’acceptation de ces conventions était une condition essentielle de la signature des contrats d’investissements. Par ailleurs, la plupart des procédures d’arbitrage impliquant des parties africaines se déroulaient en Europe ou en Amérique et se caractérisaient par la rareté de la participation des juristes africains, ni comme arbitres, ni comme conseils. 

Dans l’objectif de combattre le monopole géographique selon lequel les sièges des tribunaux arbitraux impliquant des parties africaines sont toujours fixés en Europe ou en Amérique, le législateur OHADA va entreprendre d’améliorer le cadre juridique de l’arbitrage en Afrique et va favoriser ainsi la création des centres d’arbitrage dans les différents Etats-parties à l’OHADA. Cette amélioration va se faire par l’adoption d’un acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage ainsi que de l’institution d’un centre d’arbitrage régional, la CCJA qui sera doté d’un règlement d’arbitrage adopté le 11 mars 1999. Ils vont par la suite faire l’objet d’une révision en novembre 2017. L’acte uniforme s’applique aussi bien aux arbitrages ad hoc qu’aux arbitrages organisés dans le cadre de centres permanents d’arbitrages situés dans les différents pays de l’espace OHADA. Ceux-ci, bien qu’ayant des règlements autonomes, doivent être en conformité avec les dispositions impératives de l’Acte uniforme. Le système d’arbitrage CCJA quant à lui, est un système autonome qui n’est pas soumis aux règles de l’Acte uniforme.[5] 

Après près de 24 ans de droit et de pratique de l’arbitrage dans l’espace OHADA, où en est-on ? Que peut-on dire de l’arbitrage OHADA aujourd’hui ? 

L’arbitrage OHADA a certainement de nombreux atouts (I), mais il doit confronter de nombreux défis (II).

I. Les atouts de l’arbitrage OHADA

Les atouts de l’arbitrage OHADA sont pluriels, on peut mentionner l’ouverture et la liberté d’une part, la fiabilité et la célérité d’autre part.

A. L’ouverture et la liberté

L’ouverture se caractérise par la simplification et par l’élargissement du domaine de l’arbitrage OHADA, tant sur le plan matériel que sur le plan de l’arbitrabilité du litige. Sur le plan matériel, l’article 1er de l’AUA dispose que « le présent acte uniforme a vocation à s’appliquer à tout arbitrage lorsque le siège du tribunal arbitral se trouve dans l’un des Etats-parties ». L’expression « tout arbitrage » ne distingue pas entre les matières civiles, commerciales, internes ou internationales. Toutes les matières comprises dans l’article 2 du traité OHADA relèvent en principe du champ matériel de l’OHADA. Le champ matériel peut même s’étendre au-delà, dès lors que le litige est contractuel ou relève des droits disponibles. L’article 2 de l’AUA dispose que « toute personne physique ou morale peut recourir à l’arbitrage sur les droits dont elle a la libre disposition ». En effet, le champ des droits disponibles est plus large que les litiges contractuels[6] et peut intégrer des litiges relevant de la responsabilité civile ou des aspects patrimoniaux des droits indisponibles.[7] Le champ matériel de l’OHADA est donc très large. Qui plus est, l’OHADA s’est lancé dans la conquête de nouveaux champs. De manière explicite, l’arbitrage d’investissement a été introduit à l’occasion de la réforme de 2017. Cette introduction est plus formelle que réelle, car bien que non consacré, il était déjà pratiqué et la CCJA a dû trancher des affaires d’investissements. Mais en le prévoyant de manière formelle, l’OHADA entend concurrencer les centres d’arbitrages internationaux en la matière.[8] L’arbitrage d’investissement n’est pas défini par l’AUA la doctrine le définit comme « tout arbitrage opposant des entités publiques, le plus souvent l’Etat à des personnes privées étrangères et portant sur une opération d’investissement ».[9]

L’ouverture de l’arbitrage se manifeste également par une approche simplifiée de l’arbitrabilité subjective. En effet, l’AUA a autorisé les personnes morales de droit public à compromettre, contrairement à certaines dispositions des codes de procédures civiles qui interdisaient de compromettre sur les causes communiquables au ministère public.[10] Ainsi, l’Etat et toute autre personne morale de droit public, quelle que soit la nature juridique du contrat, peuvent également être parties à l’arbitrage, sans pouvoir invoquer leur propre droit pour contester l’arbitrabilité du différend. Si la capacité des personnes morales de droit public a rapidement été admise pour ce qui concerne l’Etat en matière internationale, notamment dans les arbitrages d’investissements[11], il n’en a pas toujours été ainsi au plan interne. 

La liberté quant à elle, est prégnante dans l’arbitrage OHADA. Sans doute, l’exaltation de l’autonomie de la volonté qui se caractérise sur le plan économique par le recul de l’interventionnisme étatique et sur le plan juridique par un essor des droits subjectifs en est le fondement.[12] La volonté des parties domine ainsi tout le processus arbitral, de la convention d’arbitrage à l’exercice des voies de recours contre la sentence. Quel que soit le mode arbitral choisi, ad hoc ou institutionnel[13], la volonté individuelle domine. La convention d’arbitrage qui peut prendre la forme d’une clause compromissoire ou d’un compromis est indépendante du contrat principal et sa validité s’apprécie en tenant compte de la commune volonté des parties.

L’indépendance de la clause d’arbitrage par rapport au contrat principal est une solution admise en droit comparé.[14] En revanche, l’appréciation de la validité de la convention d’arbitrage uniquement en référence à la commune volonté des parties est une spécificité de l’arbitrage OHADA. 

En matière internationale notamment, la capacité de compromettre ainsi que l’existence et la qualité du consentement relèvent de la méthode conflictuelle. Mais le droit OHADA pose une règle matérielle relayant ainsi la méthode conflictuelle à une position subsidiaire. La volonté des parties est manifeste également dans le choix des arbitres appelés à connaître leur litige, dès lors qu’il leur appartient prioritairement de désigner des arbitres.[15] Le déroulement de la procédure arbitrale s’effectue sous le prisme de la liberté des parties tant sur le plan procédural[16] qu’en ce qui concerne les règles applicables au fond[17]. Sur le plan procédural, les parties peuvent régler la procédure arbitrale par elles-mêmes, la soumettre à la loi de leur choix ou se référer à un règlement d’arbitrage. Les parties sont également libres de désigner le droit qui sera appliqué au fond du litige. Elles peuvent même demander à l’arbitre de statuer en amiable compositeur. 

La liberté intervient également après la reddition de la sentence. Les parties ont la possibilité de renoncer au recours en annulation.[18] Cette possibilité qui a été admise dans la réforme du droit français de l’arbitrage survenue en 2011, notamment à l’article 1522 du CPC français, a été consacrée à l’occasion de la révision de l’acte uniforme en 2017. Même si elle n’est pas très utilisée par les parties qui considèrent le recours en annulation comme un paravent contre les tares de la justice arbitrale, elle traduit néanmoins la place prépondérante accordée à la volonté dans l’arbitrage OHADA.

B. La fiabilité et la célérité

Le choix par les parties de la justice arbitrale traduit leur volonté de se soustraire à la justice étatique. L’arbitrage repose donc sur la confiance des parties dans le choix de ce mode de règlement des litiges et dans les arbitres qu’elles ont elles-mêmes désignés. Cette confiance s’appuie en grande partie sur les qualités professionnelles, de probité, d’intégrité, d’indépendance et d’impartialité de l’arbitre. En effet, comme le dit l’adage, « tant vaut l’arbitre, tant vaut l’arbitrage ». L’arbitrage ne saurait subsister sans la foi des parties. Ainsi, pour garantir la fiabilité de la justice arbitrale, le droit OHADA a mis sur pied des mécanismes. La fiabilité de la justice arbitrale repose sur trois piliers importants : les qualités de l’arbitre, l’égalité des parties et la confidentialité de la procédure arbitrale. 

S’agissant des qualités de l’arbitre. On distingue les qualités intrinsèques et les qualités extrinsèques. Les qualités intrinsèques, qui sont propres à l’arbitre, ce sont les compétences professionnelles de l’arbitre. Rien n’est dit dans l’AUA, mais les centres d’arbitrages inscrivent sur leurs listes des arbitres en fonction de leur savoir-faire et de leurs spécialités dans des domaines spécifiques qui les rendent aptes à trancher les litiges. Les parties choisissent ainsi les arbitres en fonction de la présomption qu’elles ont des compétences de l’arbitre dans le domaine objet du litige. Ce choix s’effectue généralement dans la demande d’arbitrage qui est faite au centre d’arbitrage ou dans la réponse à celle-ci.[19] C’est une particularité de l’arbitrage et un avantage de cette justice sur la justice étatique où les magistrats ont une formation générale et ne sont pas forcément spécialisés dans le champ du litige qui leur est soumis. S’agissant des qualités extrinsèques de l’arbitre, le droit OHADA, aussi bien l’AUA que l’arbitrage institutionnel de la CCJA, de même que les différents règlements d’arbitrage des centres d’arbitrage, posent comme qualité de l’arbitre qu’il soit indépendant et impartial vis-à-vis des parties.  L’article 7 alinéa 3 de l’Acte Uniforme relatif au droit de l’arbitrage dispose que « l’arbitre doit avoir le plein exercice de ses droits civils et demeurer indépendant et impartial vis-à-vis des parties ». 

Dans le règlement d’arbitrage de la CCJA, tout arbitre nommé ou confirmé par la Cour doit être et demeurer indépendant et impartial vis-à-vis des parties[20]. Dans le règlement du centre d’arbitrage et de médiation du GICAM, l’article 10.1 dispose que « l’arbitre se doit d’être indépendant et impartial vis-à-vis des parties, de leur conseil et des autres membres du tribunal arbitral et de préserver cette indépendance et cette impartialité durant tout le processus ». En dehors de l’espace OHADA de nombreux centres d’arbitrages posent également cette exigence, c’est le cas par exemple du règlement 2021 d’arbitrage de la chambre de commerce internationale (CCI) qui prévoit en son article 11 alinéa 1 que « Tout arbitre doit être et demeurer impartial et indépendant des parties en cause ».

L’indépendance et l’impartialité de l’arbitre sont consubstantielles à la fonction de juger des arbitres. C’est une exigence déontologique universelle qui constitue la garantie d’une justice équitable[21]. Toute la fiabilité de la justice arbitrale en dépend. 

L’indépendance de l’arbitre évoque son autonomie ou sa liberté vis-à-vis des parties, elle suppose qu’il n’y ait pas de lien de dépendance, de subordination entre l’arbitre et l’une ou l’autre des parties qui puisse influencer ou affecter le jugement de l’arbitre. Ainsi, l’indépendance implique l’absence de tous liens personnels, affectifs ou professionnels entre l’arbitre et les parties.  Cette exigence peut s’étendre aux autres membres du tribunal arbitral et aux conseils des parties. 

L’impartialité quant à elle renvoie au fait que les arbitres ne puissent former leur conviction que sur des éléments objectifs sans se laisser influencer par des arguments subjectifs ou des émotions personnelles.[22] Contrairement à l’indépendance qui est une notion objective, l’impartialité est une qualité subjective qui ne peut être mise en cause qu’une fois la procédure engagée. Ces deux qualités de l’arbitre constituent des éléments phares de la fiabilité de la justice arbitrale.

Pour assurer leur garantie, le droit OHADA de l’arbitrage a prévu une obligation de révélation ou d’information à la charge de l’arbitre qui consiste pour ce dernier à révéler tout fait de nature à jeter le doute sur son indépendance ou son impartialité. L’Acte uniforme ou le règlement d’arbitrage de la CCJA ne précise pas les faits susceptibles d’être révélés. Cependant il existe des recommandations CCI pour évaluer l’obligation de révélation, qui énumèrent de manière non limitative les faits qui doivent être révélés par l’arbitre. On peut aussi mentionner les directives de l’international bar association publiées dans les lignes directrices sur les conflits d’intérêt dans l’arbitrage international. Ces directives ne sont qu’indicatives, elles mettent en relief les éléments objectifs qui doivent être pris en compte par l’arbitre dans ses déclarations aux parties ou au centre d’arbitrage.

Toutefois, cette obligation de révélation comporte quelques limites qui ont été fixées par la jurisprudence. Premièrement, l’obligation de révélation ou d’information ne concerne pas les informations aisément accessibles, disponibles sur internet par exemple ou ayant fait l’objet d’une publication. La cour d’appel de paris, dans un arrêt rendu le 10 janvier 2023 dans l’affaire opposant le port autonome de Douala (PAD) à société Douala international Terminal (DIT), a réitéré cette position en précisant que « l’arbitre est dispensé de révéler des faits notoires, entendus comme ceux qui recouvrent des informations publiques aisément accessibles que les parties ne pouvaient manquer de consulter avant le début de l’arbitrage… »[23].  

Cependant, cette limite est un couteau à double trenchant, si elle met à la charge des parties une obligation de se renseigner. L’exception de notoriété soulevée par un arbitre peut être rejetée par une instance saisie d’une demande en récusation. Il est donc toujours préférable que l’arbitre respecte son obligation de révélation. 

Deuxièmement, l’obligation de révélation de l’arbitre ne concerne pas les informations non pertinentes, c’est-à-dire qui ne sont pas susceptibles d’avoir une incidence sur le jugement de l’affaire.[24] En outre, elle vise à renforcer la confiance des parties en l’arbitre et en la justice arbitrale toute entière. Dès lors que les parties découvrent des faits susceptibles de jeter un doute sur l’indépendance ou l’impartialité de l’arbitre, elles peuvent engager une procédure de récusation visant à remplacer l’arbitre mis en cause. Le règlement d’arbitrage de la CCJA prévoit que la demande de récusation se fasse par une déclaration écrite, envoyée au secrétaire général du centre[25]. Toutefois, les parties peuvent saisir une juridiction étatique. Cette possibilité est offerte par l’Acte uniforme OHADA, notamment à l’article 8, en cas de différend et si les parties n’ont pas réglé la procédure de récusation. Il faut signaler que cette demande de récusation est enfermée dans des délais pour ne pas perturber le bon déroulement de la procédure arbitrale. L’Acte uniforme OHADA, de même que le règlement d’arbitrage de la CCJA fixe le délai à 30 jours à compter de la découverte du fait ayant motivé la demande en récusation.[26]

Un autre élément phare de la fiabilité de la justice arbitrale, c’est le principe de l’égalité des parties qui assure le déroulement d’une procédure équitable et le prononcé d’une sentence juste. L’égalité des parties est un principe cardinal de l’arbitrage interne ou international. Il relève d’une sorte de lex processualis ou lex mercatoria de la procédure arbitrale.[27] Il s’étend de la constitution du tribunal arbitral au prononcé de la sentence.[28]

Dans l’arbitrage CCJA, il est prévu une première réunion de cadrage entre l’arbitre et les parties dont l’un des objectifs principaux est le déroulement de la procédure d’arbitrage[29]. Une pleine possibilité est donnée aux parties de s’exprimer afin d’assurer l’égalité des armes, notamment la communication des pièces, le calendrier procédural, les délais de l’arbitrage, l’appel à témoin. Une ordonnance de procédure est généralement rendue pour de régler les détails de la procédure. L’égalité des parties est généralement assurée par le respect du contradictoire. Il doit se faire dans le strict respect du calendrier procédural. Le troisième et non moins important pilier de la fiabilité de la justice arbitrale, c’est la confidentialité de la procédure. Les investisseurs et plus généralement les hommes d’affaires, ne souhaiteraient pas que les contentieux soient portés à la connaissance du public. L’arbitrage est ainsi une justice confidentielle, sans publicité des débats, afin de garantir le secret des affaires. Cette confidentialité est prévue à l’article 14 du règlement d’arbitrage CCJA. La confidentialité recouvre les réunions de la Cour dans le cadre de l’administration des arbitrages, les travaux de la Cour relatifs au déroulement de la procédure, les documents soumis ou établis par la Cour à l’occasion des procédures qu’elle diligente, ainsi que les sentences arbitrales. Cependant, il faut mentionner que cette confidentialité dépend de la volonté des parties et de leurs conseils. Elles peuvent choisir d’y renoncer dans le contrat.[30] Cela nous conduit à l’autre spécificité de l’arbitrage OHADA, qu’est la célérité[31]. La célérité se traduit par une grande rapidité à agir, on pourrait également parler de réactivité. Dans le cadre de l’arbitrage, elle renvoie au fait de trouver rapidement une solution au différend des parties. C’est l’une des qualités de la justice arbitrale, car l’un des reproches qui a souvent été fait à la justice étatique est la lenteur. La justice arbitrale est réputée être une justice rapide.

En mettant l’accent sur la célérité dans le déroulement de la procédure arbitrale, le législateur OHADA a entendu renforcer son attractivité. On peut donc affirmer que l’arbitrage est une justice rapide, tout au moins telle qu’elle est organisée dans le droit OHADA. Cependant, la célérité ne doit pas se confondre avec la précipitation ou avec l’urgence, mais plutôt avec la diligence requise pour atteindre l’objectif de l’obtention d’une sentence arbitrale dans un délai raisonnable. Une analyse de l’Acte uniforme sur l’arbitrage démontre que le législateur a accordé une large place au principe de célérité pendant le déroulement de la procédure arbitrale et après la reddition de la sentence arbitrale. L’action des différents acteurs de l’arbitrage, des parties, de l’arbitre et du juge étatique est enserrée dans le temps. Il est notamment institué des délais à différentes phases de la procédure.

Pour garantir la célérité, des délais ont été institués pour la constitution du tribunal arbitral. Afin d’empêcher que cela ne constitue un facteur de blocage, les parties ont un délai de 30 jours à compter d’une demande à cette fin pour nommer un arbitre, si les deux arbitres nommés ne s’accordent pas sur la désignation du troisième, la juridiction compétente saisie à la demande d’une partie dispose de 15 jours pour se prononcer.[32] On peut estimer, comme une certaine doctrine (Alain Fénéon) que cette ingérence du législateur OHADA dans le droit interne des Etats est heureuse parce qu’elle facilite le déroulement de la procédure arbitrale. Au Cameroun, c’est la loi du 10 juillet 2003 qui désigne les juridictions compétentes visées dans l’Acte uniforme et fixe leur mode de saisine. Cette loi indique que le juge est saisi comme en matière de référé. 

Dans le but d’assurer l’évolution de la procédure arbitrale, tout motif de récusation de l’arbitre doit être soulevé dans les 30 jours qui suivent la découverte du fait motivant la récusation. Si les parties n’ont pas réglé cette question, le tribunal compétent saisi dispose d’un délai de 30 jours pour statuer sur la récusation. S’il ne le fait pas, il est dessaisi et la demande de récusation peut être portée devant la CCJA par la partie la plus diligente. Les acteurs économiques qui ont recours à l’arbitrage ne souhaitent pas que la procédure s’éternise. Plus tôt le différend est réglé, moins ils engagent des frais. La durée de la procédure est corrélativement liée au coût de l’arbitrage. Dans L’Acte Uniforme, les parties peuvent fixer librement le délai de la procédure arbitrale, mais il ne peut excéder six (6) mois à compter de la date d’acceptation par le dernier arbitre de sa mission. Le délai légal ou conventionnel peut être prorogé soit à la demande des parties, soit du tribunal arbitral, par la juridiction compétente[33]. Toute démarche procédurale accomplie hors du délai initial, légal ou prorogé, encours la nullité. 

La célérité se manifeste également dans la continuation de l’instance. Malgré la non-comparution volontaire d’une partie ou son omission de produire des documents, le tribunal arbitral statue sur la base des éléments de preuve dont il dispose. La non-comparution ne peut donc être utilisée par une partie pour gagner du temps. En plus, il est interdit de former une demande ou de soulever un moyen après la mise en délibéré de l’affaire.[34] Après la reddition de la sentence, le législateur OHADA a également prévu des mécanismes pour accélérer l’exécution de la sentence arbitrale. Premièrement, les voies de recours sont réduites au strict nécessaire, la sentence arbitrale n’est susceptible ni d’appel, ni d’opposition, ni de pourvoi en cassation. Les seules voies de recours possibles sont le recours en annulation, la tierce opposition et le recours en révision. L’exercice du recours en annulation est également enfermé dans un délai. Il n’est recevable que 30 jours après la signification de la sentence munie de l’exéquatur. Dans le règlement de la CCJA le recours en annulation cesse d’être recevable s’il n’a pas été exercé dans les 2 mois de la notification de la sentence visée.[35]Le tribunal compétent dispose d’un délai de 3 mois à compter de sa saisine pour statuer sur le recours en annulation. Lorsqu’il n’a pas statué dans ce délai, le tribunal compétent est dessaisi et le recours peut être porté devant la CCJA qui doit statuer dans un délai de 6 mois à compter de sa saisine.[36]

Il y a aussi la possibilité qu’offre le règlement d’arbitrage de la CCJA. En cas d’annulation d’une sentence arbitrale, les parties ont la possibilité de lui demander d’évoquer et de statuer sur le fond de l’affaire.[37]Cette possibilité permet aux parties de gagner en temps au lieu de saisir à nouveau la juridiction arbitrale qui a statué, (à partir du dernier acte de l’instance arbitrale reconnu valable par la cour). Lorsqu’on sait que la sentence dessaisit le tribunal arbitral du différend (art. 26 du règlement d’arbitrage de la CCJA).[38] Toutefois, les parties ont eu à utiliser cette possibilité d’utiliser cette faculté dans l’affaire arrêt[39]. Dans le même ordre d’idées, l’exécution rapide de la sentence a également été prise en compte par le législateur. Avant la réforme de l’arbitrage OHADA survenue en 2017, de nombreux acteurs économiques étaient frustrés de voir l’exécution de leur sentence paralysée. 

Afin de remédier à cet état de choses, le législateur a entrepris d’accélérer les délais d’obtention de l’exéquatur. Au terme de l’article 31, al. 5, la juridiction saisie d’une requête en reconnaissance ou en exéquatur d’une sentence arbitrale dispose d’un délai de 15 jours à compter de sa saisine pour statuer. Si, à l’expiration de ce délai, il n’a pas rendu son ordonnance, l’exéquatur est réputé avoir été accordé. La partie diligente saisit alors le greffier en chef pour l’apposition de la formule exécutoire sur la minute de la sentence. L’Acte uniforme précise que la demande d’exéquatur soit établie par requête, ce qui exclut l’examen contradictoire de la demande. En outre, la décision qui accorde l’exéquatur n’est pas susceptible de recours. Quant à l’arbitrage institutionnel de la CCJA, les délais prévus par le règlement d’arbitrage sont encore plus courts. L’exéquatur de la sentence est accordé après une demande adressée au Président de la Cour qui dispose d’un délai de 15 jours à compter du dépôt de la requête pour accorder l’exéquatur.[40]

Cependant, tout ce beau dispositif mis en place par le législateur OHADA ne rencontre-t-il pas des difficultés dans sa mise en œuvre ? C’est la question des défis de l’arbitrage OHADA.

II. Les défis de l’arbitrage OHADA

Le système d’arbitrage mis en place par l’OHADA ne présente pas seulement de nombreux atouts, il doit également faire face à des défis.

A. Le défi de l’efficacité

Le premier défi de la justice arbitrale en général et de l’arbitrage OHADA en particulier, c’est celui de l’efficacité. Thomas CLAY a affirmé que l’ensemble du droit et de la pratique de l’arbitrage est traversé par la recherche de la meilleure efficacité[41]. L’efficacité vient du latin efficax qui signifie, qui produit l’effet voulu.  On dit d’une norme qu’elle est efficace si elle réalise l’effet voulu, l’effet attendu[42]. Appliquée à l’arbitrage, l’efficacité de cette justice signifie qu’elle permet d’atteindre l’effet recherché. Un auteur a défini l’efficacité de l’arbitrage comme « l’ensemble des techniques juridiques destinées à lutter contre son inefficacité »[43]. Ainsi, mesurer l’efficacité de l’arbitrage, c’est mesurer le degré de correspondance entre les effets produits et les objectifs poursuivis. Mais quels sont les objectifs poursuivis ou l’effet attendu de l’arbitrage ?

De manière générale, on attend de l’arbitrage un règlement du différend par une sentence susceptible d’être exécutée au besoin par la force publique. Par consequent, tout ce qui est de nature à empêcher ou à retarder l’obtention d’une sentence est nécessairement un obstacle à l’efficacité de la justice arbitrale. De même, tout ce qui est de nature à retarder ou à empêcher l’exécution de la sentence contrarie l’efficacité de l’arbitrage puisqu’il ne sert à rien d’avoir une sentence qu’on ne peut pas exécuter.[44] Ces objectifs sont les effets principaux recherchés, mais pour y parvenir, il y a des sous-objectifs. Il faudrait, pour obtenir une sentence arbitrale dans les meilleurs délais, que l’instance arbitrale se déroule sans entrave, ou du moins que l’arbitre ait les moyens de lutter contre les éléments susceptibles de paralyser le bon déroulement de la procédure arbitrale. Il devrait également disposer des moyens de préserver l’intérêt de la sentence à venir : c’est la question des mesures provisoires et conservatoires.

De manière spécifique, l’objectif premier poursuivi par le législateur OHADA est contenu dans l’article 1er du traité OHADA révisé de 2008. C’est celui « d’encourager le recours à l’arbitrage dans le règlement des différends contractuels ». Dans cette optique, le législateur a mis sur pied un système d’arbitrage composé d’un Acte Uniforme relatif à l’arbitrage et d’un arbitrage institutionnel qui dispose d’un règlement propre. Dans ces différents textes, le législateur poursuit, on l’a vu, un objectif de fiabilité et de célérité. Il s’agit de contrecarrer le reproche qui a souvent été fait à la justice étatique dans les pays d’Afrique noire francophone[45], à savoir son manque de fiabilité, l’insécurité judiciaire dû à de nombreux facteurs, les conditions de travail des magistrats, la corruption, les délais excessifs pour parvenir au prononcé d’une décision.

La fiabilité de la justice arbitrale OHADA est pratiquement atteinte, du moins en théorie[46], parce que les questions d’indépendance et d’impartialité de l’arbitre, d’égalité des parties dans la procédure arbitrale sont assez bien traitées. Mais des problèmes se posent au niveau de la célérité dans l’obtention et l’exécution d’une sentence arbitrale, de même qu’en ce qui concerne les mesures provisoires destinées à préserver l’intérêt de la sentence à obtenir.

S’agissant du temps de la procédure arbitrale, le législateur OHADA ainsi que les règlements des centres d’arbitrage en ont fait un objectif majeur. Les textes fixent de courts délais dans le but de parvenir à l’obtention d’une sentence dans des délais raisonnables, mais tel n’est pas toujours le cas dans la pratique. L’obtention et l’exécution rapide d’une sentence arbitrale sont parfois menacées.

En ce qui concerne l’obtention de la sentence, il faut tout de même saluer certains centres d’arbitrages tels que celui du GICAM au Cameroun qui ont mis en place des procédures accélérées d’arbitrage. Le tribunal est constitué d’un arbitre unique, le prononcé de la sentence peut intervenir dans les 3 mois après sa saisine. Les centres d’arbitrages pourraient s’inspirer du règlement CCI 2017 pour introduire cette procédure accélérée dans leurs centres. 

L’obtention rapide d’une sentence arbitrale passe aussi par les moyens qui sont mis à la disposition de l’arbitre pour réduire les entraves au bon déroulement de la procédure, et préserver l’intérêt de la sentence à venir. C’est la question des mesures provisoires et conservatoires. On affirme généralement que l’arbitre dispose de la jurisdiction, c’est-à-dire du pouvoir de juger, de trancher le litige, mais qu’il n’a pas l’imperium, le pouvoir d’accompagner ses décisions de la force qui seul appartient au juge étatique[47]. Cette assertion est partiellement vraie. 

Dans l’Acte uniforme relatif à l’arbitrage, l’article 14 octroie à l’arbitre le pouvoir de prononcer des mesures provisoires et conservatoires, à l’exception des saisies conservatoires, des sûretés judiciaires et des mesures qui impliquent des tiers à la procédure arbitrale. Les mesures provisoires et conservatoires, sont des actes d’imperium qui ont pour principal objectif de sauvegarder un état de fait ou de droit, dont la reconnaissance est demandée au juge ou à l’arbitre qui doit connaitre du fond du litige. Ces mesures peuvent consister en un séquestre, une interdiction de poursuivre les travaux, l’octroi d’une provision, la production forcée de preuves. Cependant, la difficulté de l’arbitre tient à ce que l’exécution de ces mesures dépend dans une large mesure de la volonté des parties. L’arbitre ne dispose pas en droit OHADA, par exemple du pouvoir d’ordonner à une partie de produire des éléments de preuve que celle-ci pourrait détenir, il ne peut que tirer les conséquences dans la sentence du refus par une partie de collaborer. 

Par ailleurs, il ne peut contraindre aucune partie à exécuter les mesures provisoires, le recours au juge étatique est donc inévitable en la matière. Pourtant, le législateur OHADA est resté muet sur la question dans l’Acte Uniforme, laissant donc ainsi à chaque Etat partie le soin de régler la question de l’exéquatur des sentences ordonnant des mesures provisoires. 

Seul le règlement d’arbitrage de la CCJA a fixé le délai d’octroi de l’exéquatur des sentences, ordonnant des mesures provisoires et conservatoires rendues sous son égide à 3 jours.[48]

Pour les sentences ad hoc ou les sentences rendues sous l’égide d’autres centres d’arbitrage, il faudra recourir au juge et rien n’est dit sur la question dans l’Acte uniforme OHADA. Quel est le juge d’appui à l’arbitrage en droit OHADA ? cette question dépend de l’Etat dans lequel on se trouve. Cela constitue une entrave sérieuse à l’efficacité de la procédure d’arbitrage. Quant à l’exécution de la sentence, une analyse de la jurisprudence OHADA avant la réforme de 2017 révèle que le prononcé de décisions judiciaires en matière d’arbitrage était très long, notamment en ce qui concernait les recours en annulation. On peut citer l’affaire BDC c/ NICOM[49], dans laquelle la CCJA avait annulé une sentence arbitrale rendue sous l’égide de la Cour d’arbitrage des Comores, elle avait rendu sa décision le 7 novembre 2019, soit 3 ans après que le pourvoi ait été formé. Dans une autre affaire NCT Traiding contre société Gamby service sarl,[50] les juges de la CCJA ont statué en 2019 sur un pourvoi en cassation qui avait été enregistré au greffe de la CCJA en février 2016. Il a donc toujours fallu attendre 3 ans pour que la CCJA affirme que c’est en violation des dispositions de l’Acte Uniforme et de l’ancien code de procedure civile commercial et social du mali que le tribunal de commerce de Bamako avait retenu sa compétence pour statuer sur un recours en annulation formé contre une sentence arbitrale. 

Depuis la réforme, les juridictions font des efforts pour réduire les délais, mais les délais fixés par le législateur ne sont pas toujours respectés. Dans l’affaire opposant la république du Bénin à la Société Générale de surveillance S.A (SGC), le Bénin a formé un pourvoi en cassation devant la CCJA le 21 mars 2019 contre la décision de la Cour d’appel de Ouagadougou qui avait rejeté son recours en annulation. La CCJA a statué 5 mois après le délai légal qui est de 6 mois.[51] Il y a certes des améliorations, mais la CCJA peine encore à respecter ce délai qui est posé par le législateur. Ce qui constitue une entrave à l’efficacité de l’arbitrage.

Les juridictions nationales, elles aussi, ne respectent pas toujours le délai de 15 jours fixé par le législateur pour l’octroi de l’exéquatur. Dans de nombreux pays, comme au Cameroun par exemple, la pratique a montré qu’il faut compter plusieurs mois pour avoir un jugement d’exéquatur. En plus, les parties ne saisiront pas toujours forcément le greffier en chef de la juridiction compétente pour que la formule exécutoire soit apposée. Il n’est pas non plus sûr que le greffier exerce le pouvoir implicite qui lui est reconnu par l’Acte Uniforme. Les seules sentences véritablement avantagées, ce sont les sentences rendues sous l’égide de la CCJA qui bénéficient d’un exéquatur commun rendu dans des délais assez courts. Les parties bénéficient également de l’avantage d’exercer le recours en annulation devant la même cour qui dispose également d’un délai de 6 mois pour statuer.[52]

Si l’efficacité de l’arbitrage est mise à mal par certaines insuffisances, l’attractivité de l’arbitrage OHADA, elle aussi, en prend un coup.

B. Le défi de l’attractivité

L’attractivité, selon le petit Larousse, est le caractère de ce qui est attractif, c’est la capacité d’une personne ou d’une chose à séduire, à attirer ou à plaire. On dit d’une norme ou d’un système qu’il est attractif lorsqu’il séduit et influence les comportements des acteurs sociaux ou des personnes auxquelles il s’applique.[53]  L’attractivité permet d’évaluer le rayonnement d’une règle de droit ou d’un système. Le droit OHADA de l’arbitrage est-il attractif ? Est-ce que ce mode de résolution des différends séduit les opérateurs économiques africains et étrangers ? 

L’attractivité de l’arbitrage OHADA s’apprécie donc d’une part vis-à-vis de la justice étatique au plan interne et au plan international par le choix du siège de l’arbitrage dans un Etat partie à l’OHADA dans un litige international. On peut aussi se demander si l’OHADA peut constituer une source d’inspiration pour les autres systèmes d’arbitrage dans le monde. Relativement à la justice étatique, on peut affirmer que l’arbitrage séduit de plus en plus. La preuve en est l’engouement que suscite une formation comme celle-ci. Cette séduction est la résultante de la vulgarisation croissante mais, malheureusement insuffisante, du droit de l’arbitrage dans les universités mais, aussi dans les milieux professionnels. 

En ce qui concerne les universités africaines de l’espace OHADA (Cheik Anta Diop, Yaoundé 2 ou Niamey…) notamment dans les facultés de droit on constate que l’enseignement de l’arbitrage n’intervient qu’en cycle master et est noyé dans le cours relatif aux modes alternatifs de résolution des litiges. Les étudiants au sortir de leur cursus n’ont que très peu d’informations relativement à l’arbitrage. 

En ce qui concerne les professionnels, les institutions de l’OHADA que sont l’ERSUMA et la CCJA, de même que les centres nationaux d’arbitrage, s’efforcent de vulgariser l’arbitrage OHADA. Mais ces efforts restent insuffisants, d’où l’importance de renforcer la formation en arbitrage dans les Etats parties à l’OHADA. La preuve en est que le volume des affaires en matière d’arbitrage est encore faible. Entre janvier 2021 et décembre 2022, la CCJA a rendu une quinzaine d’arrêt en matière d’arbitrage. Une dizaine d’arrêts en 2021 et seulement 5 arrêts en 2022.[54] Le Centre d’arbitrage et de médiation du GICAM basé au Cameroun a enregistré environ 184 affaires depuis sa création en 2000 et a notifié 95 sentences.  Soit une moyenne d’environ 8 affaires par an. Avec un pic atteint en 2014 avec 17 affaires enregistrées. En 2023, 9 affaires ont été enregistrées et 4 sentences ont été rendues. Ce qui est très en deçà des objectifs visés par l’OHADA. 

Il y a une crise de confiance en l’arbitrage qui ne se justifie pourtant pas par une réglementation inappropriée. L’OHADA dispose d’une législation moderne en matière d’arbitrage, et comme l’a affirmé le professeur Abdoulaye SAKHO : « … l’une des réglementations les plus achevées » dans le monde, c’est celle mise en place par le législateur OHADA et si l’offre d’arbitrage OHADA peine à trouver demandeur ce n’est pas faute d’une bonne réglementation.[55]

Au plan international, l’attractivité de l’arbitrage OHADA est également problématique. On a pu noter un certain essor de l’arbitrage international en Afrique, notamment à travers l’arbitrage d’investissements. La CCJA a eu à trancher certains litiges en matière d’investissements, mais cela reste vraiment embryonnaire. Selon Roland ZIADIÉ, avocat associé au cabinet Linklaters, on compte près de 1700 arbitrages en lien avec le continent africain, soit en raison de la nationalité d’une des parties, de la loi applicable, du siège de l’arbitrage. Mais ce qui est paradoxal, c’est que les sièges des tribunaux arbitraux sont généralement choisis en dehors de l’Afrique. La plupart des arbitrages en lien avec l’Afrique ont lieu à Paris ou à Londres.

Pourtant, on assiste à une prolifération des centres d’arbitrage nationaux dans les pays de l’espace OHADA. Plusieurs Etats ont ratifié la convention de New york de 1958 relative à la reconnaissance et à l’exécution des sentences arbitrales étrangères, ainsi que la convention CIRDI de Washington de 1965 relative aux investissements entre Etats. Qu’est-ce qui peut donc justifier ce désintérêt de l’arbitrage OHADA en matière internationale ?

Cet état de choses peut se justifier par plusieurs raisons. La législation OHADA ne fait pas de distinction entre arbitrage interne et international, se rangeant ainsi derrière les pays qui adoptent un système moniste qui applique les mêmes règles à l’arbitrage interne et international, (on peut mentionner parmi ces pays, la Belgique, l’Allemagne, les pays bas, l’Angleterre) si cette solution a l’avantage de faire bénéficier à l’arbitrage interne de la souplesse de l’arbitrage international, elle ne permet pas de mettre en relief les spécificités du commerce international, et cela peut justifier une réticence des parties étrangères à choisir le siège de l’arbitrage dans un Etat partie à l’OHADA. 

Dans des contrats internationaux impliquant des parties étrangères à l’espace OHADA, la partie adverse ne veut pas prendre le risque de se retrouver devant un juge local, alors même que des efforts sont faits pour sécuriser l’environnement judiciaire des affaires, les pays africains en général et ceux membres de l’OHADA souffrent peut-être des préjugés parce que la législation est largement favorable à l’arbitrage. Certains citent le manque suffisant de formation des avocats et des arbitres africains à l’arbitrage international. Il existe donc un besoin d’un plus grand nombre de professionnels du droit africain à même d’intervenir comme arbitres internationaux.

Pour remédier à tout cela il faut renforcer davantage la formation de tous les acteurs de l’arbitrage notamment les magistrats d’appui à l’arbitrage qui doivent être spécialisés dans le domaine de l’arbitrage, les avocats et tous les professionnels du droit intervenant dans les procédures d’arbitrage. 


[1] P. TERCIER, « Banalisation de l’arbitrage ? », in liber Amicorum S. Lazareff , Pedone, 2011, p. 579.

[2] Sent. CIRDI, 27 Juin 1990, AAPL c. Sri Lanka, n° ARB/87/3, JDI 1992, obs. E. GAILLARD. ; M. AUDIT, S. BOLLEE, P. CALLE, Droit du commerce international et des investissements étrangers, 3e éd.  LGDJ 2019, n°998.

[3] Il s’agit du Cameroun, du Congo du Gabon, du Sénégal et du Tchad, V° R. AMOUSSOU NGENOU, Le droit et la pratique de l’arbitrage commercial international en Afrique francophone, Thèse paris II 1995, p. 47.

[4] R. BOURDIN, « l’OHADA : information à ce jour », Document CCI n° 420/405 du 30 mars 2000.

[5] CCJA, Ass.plén., arrêt n°045/2008 du 17 juil. 2008, Affaire société nationale pour la promotion Agricole So (SONAPRA) c/ Société des Huileries du Bénin (SHB), Rev.arb. 2010, p. 595 et s.

[6] Art. 3 de l’AUA, art.2 du règlement d’arbitrage de la CCJA. Les contrats peuvent être de tous ordres, les contrats d’Etats, les contrats mixtes, les contrats de travail et même les contrats de consommation seules sont exemptés les transactions fiscales, V° P.-G. POUGOUE, « L’arbitrage OHADA », R.C.D.A.I, 2015, p. 146 et s.

[7] Art. 2 de l’AUA ; A cet égard l’expression « … différend mettant en jeu des intérêts patrimoniaux », employée à l’article 4.2 du  règlement d’arbitrage du CMAG, est plus adéquate par rapport à la terminologie de l’AUA.

[8] Notamment le CIRDI

[9] W. Ben HAMIDA, L’arbitrage transnational unilatéral. Réflexions sur une procédure réservée à l’initiative d’une personne privée contre une personne publique, Thèse Paris II 2003.

[10] Au Cameroun par exp. L’article 36 al.1 et 577 du code de procédure civile et commerciale du Cameroun.

[11] Notamment par la convention CIRDI de Washington de 1965 qui a été ratifiée par plusieurs Etats.

[12] V° A. SAHKO, « Deux clés de compréhension des atouts de l’arbitrage dans l’espace OHADA », RADA 2023 n° 1, p. 59 et s ;

[13] L’arbitrage institutionnel renvoie non seulement aux centres d’arbitrages présents dans plusieurs Etats parties à l’OHADA, mais aussi l’arbitrage institutionnel spécifique de la CCJA.

[14] J.P. ANCEL, « l’actualité de l’autonomie de la clause compromissoire », in T.C.F.D.I.P, 1991-92, p. 75. ; en droit Suisse, l’article al. 3 de la LDIP.

[15] J.-P. GRANJEAN, Cl. FOUCHARD, « Le choix de l’arbitre : de la théorie à la pratique », JCP, Cah.Dr ; Ent., n° 4, Juil-Août 2012, p. 33.

[16] Art. 14 de l’AUA et 16 du règlement d’arbitrage CCJA.

[17] Art. 15 de l’AUA.

[18] Art. 25 de l’AUA, cette renonciation peut être prévue dans la clause d’arbitrage même s’il n’est pas exclu que les parties s’accordent pour la renonciation en cours d’instance.

[19] Art. 3 al. 3 du règlement d’arbitrage de la CCJA.

[20] Art. 4. 1. du règlement d’arbitrage de la CCJA ; art. 10.1 et 10.2 du centre d’arbitrage et de médiation du GICAM au Cameroun ;

[21] Th. CLAY, « L’indépendance et l’impartialité et les règles du procès équitable », in l’impartialité du juge et de l’arbitre, Etudes de droit comparé, sous la dir. de J. VAN COMPERNOLLE et G. TARZIA, Bruylant, 2006, p. 201.

[22] T. KAVUNDJA MANENO, L’indépendance et l’impartialité du juge en droit comparé belge français et de l’Afrique francophone, Thèse l’université de Louvain 2005.

[23] Paris, CCI, pôle 5, ch. 16, 10 Janv. 2023, (PAD c/ DIT), inédit.  Sur le commentaire de cette décision, D. MAINGUY, « Exigence d’impartialité de l’arbitre et témoignage d’admiration d’un arbitre professeur pour un avocat professeur. Pour l’emphase dans un éloge funèbre », JCP Entreprises et affaires, n° 08-09 23 février 2023, p. 1061.

[24] Cass. civ. 1ère 29 Juin 2011, D. 2011, 3023, obs. Th. CLAY.

[25] Art. 4.2 du règlement d’arbitrage CCJA.

[26] Art. 8 al. 3 de l’AUA et 4.2 al 2 du règlement d’arbitrage CCJA/

[27] Ph. FOUCHARD, E. GAILLARD, B. GOLDMAN, op.cit., n°1202, p. 665. Plusieurs lois nationales en matière d’arbitrage et plusieurs règlements d’arbitrage ont consacré ce principe, Art. 1510 du CPC français, Art. 25 du Concordat Intercantonal sur l’arbitrage du 27 mars 1969, art. 182-3 de la loi Suisse du Droit international privé ; Art. 18 de la loi type de la CNUDCI relative à l’arbitrage, Art. 22 (4) du règlement CCI 2021, art.35(1) du règlement de la CIETAC 2015, art.14 (4) du règlement LCIA 2014.

[28] G. BORN, Arbitrage commercial international, 2ème éd. 2014, p. 2172-2173.

[29] Art 29 du règlement d’arbitrage CIRDI ; art.15 du règlement d’arbitrage de la CCJA.

[30] Art. 14 al. 2  du règlement d’arbitrage de la CCJA.

[31] C. NDONGO DIMOUAMOUA, « la célérité dans l’arbitrage OHADA : un géant aux pieds d’argile ? », Lexbase Afrique- OHADA, n° 46, 2021.

[32] Art. 6 de l’AUA

[33] Art. 12 de l’AUA.

[34] Art. 17 al.2 de l’AUA

[35] Art. 29.3 du règlement d’arbitrage de la CCJA.

[36] Art. 27 de l’AUA.

[37] Art. 29.5. al. 2 du règlement d’arbitrage de la CCJA.

[38] Art. 26 du règlement d’arbitrage de la CCJA.

[39] CCJA n° 28/ 2007- Aff Nestlé Sahel c/ Société commerciale d’importation Azar et Salame dite SCIMA

[40] Art. 30.2. du Règlement d’arbitrage de la CCJA.

[41] Th. CLAY, « La réactivité dans l’arbitrage », in Réactivité et adaptation, également des devoirs, Actes de colloque, Gaz.pal. Juin 2019, n° hors-série, p. 51 et s.

[42] Ch. MINCKE, « Effets, effectivité, efficience et efficacité du droit : le pôle de la validité », RIEJ, 1998, p. 130.

[43] J. BILLEMONT, La liberté contractuelle à l’épreuve de l’arbitrage, LGDJ, n° 9, p.8, 2013.

[44] CHEDLY LOFTI, « L’efficacité de l’arbitrage commercial international », R.C.A.D.I, Vol. 400, 2019, 

[45] A. SAKHO, « Deux clés de compréhension des atouts de l’arbitrage dans l’espace OHADA », op. cit., p. 65 et s.

[46] G. A. TAMKAM SILATCHOM, « Arbitrage OHADA et éthique », Uniform Law Review, Vol. 28, Issue 2, June 2023, p.163-177

[47] Sur la question, Voir V. C. NGONO, « L’impérium de l’arbitre : réflexion à partir du droit OHADA », Revue africaines des sciences politiques et sociales, n° 31 avril 2021, p. 354 et s.

[48] Art. 30.2. al. 5 du règlement d’arbitrage de la CCJA.

[49] CA de Moroni, arrêt n° 249/2019 du 7 novembre 2019. Aff. BDC c/NICOM. www.ohada.org.

[50] CCJA, 1ère chambre, arrêt du 14 mars 2019, « NCT Trading SA contre Gamby service Sarl », disponible sur www.ohada.org.

[51] CCJA, 3e chambre, arrêt n°068/ 2020 du 27 février 2020, aff. République du bénin c/ SGS Société générale de surveillance SA.

[52] Art. 29.3. du règlement d’arbitrage de la CCJA.

[53] A. AKAM AKAM, « L’attractivité et efficacité du droit OHADA », in les deux visages de la juridicité. Ecrits sur le droit et la justice en Afrique, L’Harmattan 2020, p. 3 et s.

[54] D.-A. DJOFANG, « Panorama de la jurisprudence de la Cour commune de justice et d’arbitrage en droit de l’arbitrage : année 2021 et 2022 », cahiers de l’arbitrage, n° 2, p.163 et s.

[55] A. SAKHO, art. préc. p. 59.

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